A la recherche du Marsupilami

Le jeune homme marchait à travers les branchages, la sueur coulant sur son front. Grommelant dans sa barbe, il coupait grossièrement la verdure devant lui avec sa machette. Son lourd sac à dos lui faisait un mal de chien, et il était obligé de garder un oeil sur sa boussole dans sa main gauche.

Les moustiques qui vrombissaient autour de sa tête n'arrangeaient rien à son état.

Il ragea une fois de plus. Son professeur n'avait pas trouvé mieux que de lui demander de partir dans la jungle, en pleine saison chaude ! Il soupira. Enfin ! Ce n'était pas comme s'il avait eu mieux à faire...

Le cri d'un singe dans les hautes branches le sortit de ses pensées. Il scruta un instant la verdure, mais nulle trace de fourrure tachetée.

Sa main en visière, il observa le soleil. il devina qu'il ne devait pas être plus de deux heures de l'après-midi. Cependant, il avait bien besoin de boire.

Il s'assit sur les racines d'un grand arbre et sortit sa gourde ainsi que sa carte. Entredeux gorgées d'eau, il l'examina. A sa vitesse actuelle, il devrait mettre environ une heure pour rejoindre le campement. Avec un nouveau soupir, il rangea ses affaires, se leva, épousseta son pantalon et se mit en route. Il n'avait pas à se presser ; il arriverait bien avant le coucher du soleil.


Lorsqu'il dégagea la dernière branche de fougères de devant lui, un ensemble hétéroclite de tentes et de maisons en bois s'ouvrit devant lui. Un intense soulagement l'envahit. Alors qu'il pensait n'en avoir que pour une heure de cheminement, le trajet s'était avéré beaucoup plus long que prévu ; il avait fait détour sur détour et s'était perdu à maintes reprises.

Avisant un homme d'à peu près son âge, penché sur une carte étalée par terre, il dédcida d'aller lui parler. Les cheveux noués en catogan, son visage était masqué par l'ombre, et il semblait concentré sur sa tâche. Si concentré qu'il sursauta lorsque le nouveau venu lui adressa la parole.

- Bonjour, hum... Je cherche le, euh, docteur Brown... Pouvez-vous me renseigner ?

Le jeune se leva. Cette fois, ce fut l'explorateur qui sursauta. Ce n'était pas un jeune. C'était une jeune.

Il en resta bouche bée, honteux de sa méprise. Cependant, elle n'en savait rien, alors il se reprit. Lorsqu'elle parla, ce fut d'une voix beaucoup plus grave et rauque que celle à laquelle il s'attendait.

- Et qu'est-ce que tu lui veux, au docteur Brown ?

Il fut surpris par son tutoiement, mais ne se décida pas à abandonner l'emploi de la deuxième personne du pluriel.

- Eh bien, mon professeur m'envoie pour... de recherches. Et il m'a dit de, une fois au camp, m'adresser au docteur Brown... Vous savez où le trouver ?

La fille le regarda d'un air moqueur, et il s'aperçut qu'elle portait un anneau à l'oreille. Il remarqua aussi que ses yeux étaient d'un bleu glacé peu commun.

- Attendez, réalisa-t-il soudain, ne me dites pas que c'est vous ?

Son sourire s'accentua.

- Pourquoi ? Ce serait si étonnant ?

- Euh, non, c'est que...

Elle le coupa :

- C'aurait pu, mais ce n'est pas moi.

Devant son air perplexe, elle ajouta en lui tendant la main :

- Alexandra Brown, bienvenue parmi nous.

- Euh... De même. Jérémy Lampion, précisa-t-il après un temps.

Ils se serrèrent la main d'une poigne ferme et déterminée, les yeux dans les yeux. Finalement, comme à regret et avec un dernier regard de défi, elle retira sa main et fit volte-face.

- Je vais te conduire à ma mère.

Devant l'air perplexe de son interlocuteur, elle leva les yeux au ciel et précisa :

- Le docteur Brown.

- J'avais compris, glissa Jérémy, même si ce n'était pas le cas.

Elle le guida à une petite cabane de bois grossier, semblant simplement posée sur le sol. A l'intérieur, derrière une table en plastique qui détonnait, une femme était assise. La lumière filtrant des deux fenêtres n'était pas suffisante, et une petite lampe de table était allumée. Cependant, la pénombre laissait l'ombre envahir le visage du docteur Brown, lui conférant un air un peu mystérieux. Jérémy ne put s'empêcher de frissonner.

Mais dès qu'elle les vit, la femme se leva, un chaleureux sourire sur les lèvres.

- Alex ! Et toi, tu dois être Jérémy.

Les zones d'obscurité s'étaient évaporées. L'intéressé acquiesça.

- Jacques... Ton professeur m'a envoyé un mail pour m'avertir de ton arrivée. Viens, assieds-toi. Et toi aussi, Alex, si tu veux.

Jérémy fronça les sourcils. Un... mail ? Dans cette zone de la jungle ? Apercevant son incompréhension, Alexandra sourit, une fois de plus, moqueusement :

- Quoi ? Tu croyais qu'on avait pas Internet ?

- Euh, non, non. Bien sûr que non.

Encore une fois, c'était faux. Mais il n'avait pas envie d'avouer l'étendue de son ignorance, surtout devant elle, qui paraissait prête à l'enfoncer au premier faux pas.

La femme s'assit.

- Comme ma fille te l'a sans doute déjà dit, je suis le docteur Brown. Marie Brown, pour être exact. Tu dois avoir quelque chose pour moi.

Sans un mot, Jérémy sortit le document que son professeur lui avait envoyé afin qu'il le remette à la scientifique. Celle-ci mit de fines lunettes et parcourut le message du regard.

- D'après ce que me dit ici monsieur Bonzeau, tu devais arriver à huit heures ce matin à l'aéroport. Comment se fait-il que tu ne sois ici que maintenant, alors qu'il est seize heures ?

- Eh bien, le trajet jusqu'ici a été quelque peu... éprouvant, je dirais.

Les sourcils du docteur Brown se froncèrent, et son regard parcourut le jeune homme des pieds à la tête.

- Pourquoi n'as-tu pas marché sur la route, tout simplement ?

- Je...

Alexandra le coupa encore une fois, avec un ton railleur :

- Enfin, Maman ! Il ignorait qu'il y avait une route, tout simplement !

- C'est faux, protesta l'accusé, je le savais parfaitement.

Et pour une fois, c'était vrai.

Les sourcils des deux femmes se froncèrent simultanément, et Jérémy put constater leur ressemblance. Puis, le visage du docteur Brown se détendit. Elle se pencha vers lui.

- Tu cherchais le Marsupilami, pas vrai ? s'enquit-elle sur le ton de la confidence.

Jérémy soupira, et hésita un instant avant de répondre.

- C'était censé être un secret...

- Et c'est le réel but de ta venue ici, n'est-ce pas ? Tu n'es pas venu pour observer les papillons.

- Non, en effet. Je suis bel et bien à la recherche du Marsupilami.

Le docteur Brown se redressa et se rencogna dans son fauteuil en plastique. Le regard qu'elle échangea avec sa fille n'échappa pas à Jérémy.

- Eh bien, mon cher, il va te falloir apprendre que les bandes-dessinées pour enfant ne sont que des bandes-dessinées.

Alexandra prit le relais :

- De nombreux explorateurs sont venus ici à la recherche de cette bête mystique. Certains voulaient l'étudier, d'autres voulaient vendre sa peau, d'autre encore pensaient qu'il s'agissait d'une forme extraterrestre voulaient entrer en contacte avec lui... Aucun n'a réussi. Le Marsupilami n'est qu'une légende, Lampion.

L'emploi de son nom de famille lui parut étrange. De la bouche d'Alexandra, on aurait un nom tout à fait différent.

- Peu importe, affirma Jérémy en se levant, sa confiance en lui-même retrouvée. Moi, j'y crois, et je le trouverais.


Trois semaines plus tard, son voyage presque achevé, il avait récolté une cinquantaine de piqûres de moustiques sur tout le corps ; une demi-douzaine de pages remplies de ses observations sur la faune et la flore amazonienne ; quelques centaines de photos floues de queues de léopard... mais pas de Marsupilami. A croire qu'il n'existait pas.

Le surlendemain, il devrait rejoindre son hôtel près de l'aéroport, y dormir une nuit puis retrouver la France. Cependant, il n'était pas question d'abandonner, surtout avec ce qu'il avait dit aux deux Brown. Pour son honneur, il lui fallait trouver le Marsupilami.

Il avait fini par sympathiser avec Alexandra, même si celle-ci se montrait toujours aussi moqueuse, en particulier lorsqu'il faisait allusion à la "bestiole tachetée", comme le nommait justement la fille. Et, pour cette raison même, il lui fallait trouver le Marsupilami.


Ce fut le lendemain, veille de son départ pour la ville, que la chance lui sourit. Parti pour une dernière expédition, une expédition désespérée ad honores, sa route croisa celle du Marsupilami.

Comme s'il avait toujours été là, il tomba des branches, juste devant un Jérémy saisi de stupeur.

Par la suite, celui-ci jurerait qu'il s'étaient regardés un bon moment - le Marsupilami avait des yeux bleu glacé -, que la bête avait poussé son caractéristique "Houba", puis qu'elle s'était volatilisée.

Ensuite, Jérémy se souviendrait d'un visage cagoulé penché sur lui, d'une voix féminine qui disait :

- Pour sa survie...

Puis de draps blancs.

Et le noir.


Jérémy se réveilla, trempé de sueur, dans un lit qu'il ne connaissait pas. La migraine lui faisait entendre un sifflement aigu dans les oreilles. La lumière s'échappant de la fenêtre, bien que masquée par les rideaux, lui était insupportable. Il referma les yeux, tenta de se souvenir. Mais il ne se souvenait de rien. Ou du moins, de pas grand-chose.

Au prix d'un effort qu'il trouva inhumain, il se mit debout. Chancelant, il fit quelques pas. Des tâches noires apparurent dans son champ de vision, et il se rassit. Sur sa table de chevet, adossée à sa lampe, il avisa une enveloppe.

Il s'en saisit. "Jérémy Lampion". C'était lui. Il la déchira sans précaution, et en sortit une photographie et une mince feuille papier, pliée en deux et sur laquelle on avait tracé, d'une écriture fine et légère, ces quelques mots !

Jérémy,

Pour toi et pour sa protection, il vaut mieux que tu ne parles pas du Marsupilami. Ci-joint une photo, pour que tu saches que tu n'as pas rêvé. Détruis ces documents, ou garde-les. Mais, je t'en conjure, n'en parle à personne.

Ta valise est prête, et ton avion part demain, comme prévu. Nous avons payé à l'hôtel les deux nuits, tu n'as pas à t'en soucier.

J'espère te revoir un revoir un jour.

Avec toute mon amitié,

A.M.B.

Jérémy releva la tête. Sa valise était bien là, au pied de son lit. Mais qu'allait-il bien pouvoir dire à son professeur, lui qui tenait tant à la découverte du Marsupilami ? Il devrait forcément lui mentir.


Le professeur le regardait par-dessus la monture de ses lunettes en haussant les sourcils.

- Tu ne l'as pas trouvé, donc ?

- Non, professeur. Je n'ai rien trouvé.

Jacques Bonzeau sourit, avant de se pencher et de lui chuchoter à l'oreille :

- Il avait les yeux bleus, pas vrai ?

Il ne dit rien de plus, s'éloignant dans la cour de l'université, et laissant planté là Jérémy, incapable de comprendre ce qu'il lui arrivait.


Ce ne fut que bien plus tard qu'il comprit qui lui avait écrit la lettre. Son deuxième prénom  était celui de sa mère.

Alexandra Marie Brown.


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