A la folie
M'aime-t-il...
Ils s'étaient rencontrés un jour d'été, alors qu'il pleuvait des rayons de soleil. Le temps était doux, propice à la rêverie et la mer chantait répondant en écho aux blés soulevés par le vent. En vacances, les barrières tombent plus facilement : il lui avait dit ''salut'', elle avait sourit. Ils s'étaient baignés dans la mer chaude qui avait bercé leur jeu adolescent au rythme de ses vagues. Ils avaient construit des châteaux-forts avec le sable pour les sirènes et les crabes. Ils avaient vécu mille aventures dans les rochers escarpés, écorchant leurs genoux blonds sur la pierre dure. Cependant, ils n'avaient pas osé, du haut de leurs treize ans, tenter une aventure plus périlleuse encore : celle de l'amour. Les vacances, comme toutes choses, ont une fin. Les adieux ne sont pas déchirants, les enfants sont encore innocents et ne restera de cet été que le souvenir d'un visage souriant s'effaçant petit à petit dans la lumière pâle du soleil d'enfance.
...un peu...
La voici maintenant dans la capitale. Elle a quitté son petit village natal, sa famille, ses amis pour se lancer dans l'aventure des études supérieures, découvrant ainsi la faculté, les papiers administratifs et le loyer, l'impression d'être noyée dans une masse, d'être un peu perdue, à la ramasse, les économies et les petits boulots à côté, le travail par soi-même, même lorsqu'on manque de volonté, les partiels, les pâtes en fin de mois et les fêtes universitaires, les cours en amphithéâtre et le théâtre de la vie étudiante. C'est un plongeon dans un monde inconnu. Inconnu, pas tant que cela : au détour d'un couloir pour se rendre au RU, elle entend son nom. D'abord hésitant, comme si on n'était pas sûr ''est-ce bien elle ?''. Puis répété de manière beaucoup plus certaine, lorsqu'on voit qu'elle se détourne, pour vous dévisager, cherchant dans sa mémoire à qui peut bien appartenir ce sourire et ses boucles brunes, autrefois baignés de soleil. C'est lui. Comment s'appelle-t-il, déjà ? On se souvient. De la mer et des champs de blés, des châteaux de sable et des jeux sur les rochers. Commence alors un jeu, beaucoup plus sérieux que les jeux d'enfance : celui de la séduction, de la découverte de l'autre. C'est à qui plaira à l'autre en premier. Bien sûr, c'est ridicule : ils se plaisent tous les deux. Le goût du sel de la mer sur les lèvres, réminiscence des jours heureux, est alors bientôt remplacé par un autre : celui de son gloss à la cerise, qu'elle s'était mis ce jour-là, quand il l'avait invitée au cinéma.
...beaucoup...
Encore tâtonnant, il ne faudrait pas aller trop vite. Elle a l'estomac qui se noue de plaisir dès qu'il vient à sa rencontre, entre deux cours en amphithéâtre. Il apprécie ces petits moments, où les autres les regarde, se demandant ce qu'il se passe vraiment. Un jour, il faudra bien leur dire, briser ce petit flottement, ces questionnements. S'engager. Il le sait, mais il prend son temps. L'annonce officielle des deux amants arrive, quelques mois plus tard : changer son statut Facebook, c'est déjà s'engager beaucoup, c'est crier son amour à tout un public d'amis passé et présent, à toute la famille -sa mère avait insisté pour l'avoir en ami. C'est quelque chose de sérieux, ils ont dépassé le ''un peu'' pour s'élancer encore dans une nouvelle aventure, celle du couple. C'est à celui qui tiendra le plus longtemps, qui deviendra la référence des nouveaux qui se forment parce que cela fait ''quand même deux ans''. Deux ans qu'ils s'aiment beaucoup, beaucoup, beaucoup.
...passionnément...
Il faut ensuite passer au second cap, le navire est désormais paisible et près à accoster au port. Bientôt le master, et il a pour projet de trouver un nouvel appartement. Un plus grand, pas trop loin de la fac, où ils pourraient être tous les deux. Un petit nid d'amour douillet rien qu'à eux. Ils pourraient y inviter leurs amis communs, leurs parents parfois le week-end ou pendant les vacances. Ils pourraient faire les courses ensemble et manger ensemble et faire la vaisselle ensemble et dormir ensemble et se lever ensemble et travailler ensemble et jouer ensemble et regarder la télé ensemble et faire la fête ensemble et se laver ensemble et et et. Ils pourraient habiter ensemble. Cela leur paraît être une bonne idée. Ils ont même fait leurs cartons ensemble, avant-goût du bonheur à deux.
...A la folie...
Mais comme tout soleil, il est parfois caché par des nuages. La routine s'installa et avec elle, la suspicion. Où vas-tu ? Que fais-tu ? Avec qui ? Qui est-elle ? Qui est-il ? Un ami ? Tu veux venir avec moi au cinéma ? Au marcher ? Au parc ? Chez mes parents ? N'importe où ? Non ? A s'aimer de trop, on en devient fou, jaloux, à bout. On se déchire et on se fait peur, on pleure et on supplie. On continue de s'accrocher un peu à l'autre. On s'accroche beaucoup trop et on l'étouffe. On ne se comprend plus, on devient étranger. On en devient étrange. Ce n'est peut-être qu'une mauvaise passe, il faut essayer. Après tout, ils s'aiment encore, non ? C'est ce que les autres disent, en tout cas. Il a presque fini ses études, elle poussera sûrement jusqu'au doctorat -une thèse sur le motif du papillon dans la littérature, un truc comme ça. C'est vrai que ça deviendra plus compliqué, avec lui qui travaille et elle qui étudie. Mais d'autres l'ont fait avant eux, non ? Non. Il ne reste qu'une pétale sur la pâquerette, le temps est écoulé. Le sable a glissé sur le sablier, la mer l'a avalé. Elle avalera bientôt l'amour qu'il reste. Et ils ne s'aimeront même plus à la folie.
...pas du tout.
Après cette folle histoire, que reste-t-il ? Il n'y a plus d'amour, il n'y a plus de rêve. Oublié les châteaux de sable pour les sirènes, la mer qui chante et les rochers qui écorchent les genoux. C'est désormais leur cœur qui est écorché, mais comme les genoux, cela se soigne. En tout cas, maintenant, tous deux réfléchiront à deux fois, à trois même, avant d'aimer. A la folie. Ils laissent cela à d'autres. Ceux qui ne sont encore que des adolescents jouant là où il pleut des rayons de soleil.
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