Chapitre 38: Le jardin secret de Perséphone
Lupa traversait les longs corridors du château, sa démarche ferme et déterminée. Après avoir parlé à Dracula, elle pensait comprendre certaines choses. La blonde s'était-elle confiée à son père au sujet de leur histoire ? Comment savait-il, dans le cas inverse ?
Elle savait qu'elle ne devait pas aller voir Perséphone. Celle-ci lui avait ordonné de ne pas venir la voir, mais elle était trop impulsive pour en avoir quelque chose à faire. Se retrouver loin d'elle... Était vertigineux. Ce fait était en soit assez étrange, car Perséphone était froide, autoritaire, hystérique, et bien souvent agressive.
- Ah, Lupa.
Elle se figea, reconnaissant immédiatement cette voix gracieuse et délicate. Elizabeth. La mère de Perséphone et d'Adèle, une présence douce et raffinée qui contrastait avec l'aura glaciale de ses filles. Lupa n'avait pas le temps pour une conversation mondaine, mais elle savait qu'ignorer Elizabeth serait mal vu. Elle se tourna, essayant de ne pas montrer son impatience.
Elizabeth se tenait là, élégante comme toujours, drapée dans une robe fluide couleur ivoire qui contrastait parfaitement avec ses cheveux soigneusement relevés. Un sourire charmant éclairait son visage parfait, tandis que ses yeux pétillaient d'une curiosité douce. Lupa inclina la tête légèrement en signe de respect.
- Oh, je suis si heureuse de vous croiser ici, reprit Elizabeth en s'approchant avec la grâce d'une ombre. J'étais justement en train de penser à vous.
Sa voix chantante et chaleureuse contrastait avec l'ambiance généralement austère du château.
- Euh, que me vaut l'honneur d'occuper l'esprit de madame ? répondit Lupa avec prudence, sentant déjà que son plan de trouver Perséphone risquait de s'effondrer sous le flot de paroles d'Elizabeth.
Mais avant qu'elle ne puisse ajouter autre chose, Elizabeth prit son bras d'un geste amical et doux, l'entraînant doucement dans une direction opposée.
- Allons dans les jardins pour parler, voulez-vous ? Nous serons tranquille.
Elizabeth, toujours accrochée au bras de Lupa, l'entraîna dans les escaliers pour se diriger vers le jardin. Elle commença à parler, et son flot de paroles subjugua la brune qui parfois hochais la tête.
- Vous savez, Lupa, j'ai toujours eu un faible pour les pivoines. Elles me rappellent l'hiver de mon enfance, dans la vieille maison familiale.
Elles traversèrent la salle à manger, pour pousser les deux grands battants de la porte qui menait aux jardins resplendissant. Elizabeth fit quelques pas dans l'herbe, regardant quelques bourgeons frétiller dans les bosquets.
- Ces fleurs, elles étaient partout dans le jardin, si fragiles mais pourtant si résistantes. Elles me fascinaient. Comme une promesse d'éternité dans leur épanouissement éphémère. Ça vous paraît contradictoire, n'est-ce pas ? Mais c'est exactement ce que j'aime dans la nature. Cette idée que rien n'est vraiment permanent, sauf, peut-être, le changement.
Elle marqua une pause, laissant son regard se perdre dans les profondeurs du jardin. Lupa, qui n'avait toujours pas pu placer un mot, la laissait parler, partagée entre amusement et perplexité. Elizabeth reprit avec un soupir léger :
- J'ai toujours admiré la fougue et la force de caractère de nos frères et soeurs loup-garous. Il se dégage de vos personnes une beauté sauvage que je n'avais pas, dans l'enfance. Je suis plutôt d'un naturel tranquille, Perséphone a hérité de cela.
- Oh... Euh, oui, dit Lupa en se remémorant sa muse, nue dans ses bras.
Pitié, qu'il n'y ait pas de télépathe dans le coin. Elizabeth cueillit une fleur qu'elle laissa reposer dans le creux de sa main avec tendresse.
- Sans avoir rencontré Dracula, je pense que j'aurais passé mon éternité à m'ennuyer. Les nuits sont si longues pour les vampires seules, l'amour est pour nous une bénédiction. Je pense que les loup-garous ne s'en rendent pas compte, vous avez une mort plus rapide que nous. Mais les siècles paraissent des millénaires lorsqu'on s'ennuie.
- Oui, c'est vrai... dit Lupa en fronçant les sourcils, perdue, tandis que Elizabeth continuait.
- Je me suis toujours considérée chanceuse d'avoir mes deux filles avec moi. Perséphone a ma grâce et sait se tenir. Adèle a la fougue et la carrure d'une maitresse de maison. Elles sont comme le jour et la nuit, mais elles ne réalisent pas à quel point elles se complètent. C'est amusant, n'est-ce pas ? On élève des enfants, et ils finissent par devenir des reflets de soi-même et de nos contradictions. N'avez-vous pas déjà envisagé d'avoir des enfants ? Enfin, je veux dire, des enfants d'une manière ou d'une autre...
Lupa étouffa soudainement un rire, mais posa sa main sur sa propre bouche en souriant, répondant peu après:
- Oh, madame, je m'demandais pourquoi vous tourniez autour du pot comme ça... Je vais vous répéter la même chose qu'à votre mari. Je ne suis même pas prête à me marier avec Adèle. Alors avoir des enfants avec elle...
- Mais vous en voulez ?
Le regard de Elizabeth se fit pressant, presque suppliant, alors que son visage blême se teintait d'espoir.
Lupa sentit son souffle se bloquer un instant dans sa gorge. L'idée des enfants avec Perséphone frappa son esprit avec une force inattendue. Elle n'avait jamais réellement envisagé cette possibilité, ni même accordé une pensée consciente à ce genre de projection. La question d'Elizabeth, pourtant simple et innocente, déclencha en elle un tourbillon de sensations contradictoires.
Son regard se perdit un instant dans le jardin, sur les fleurs délicates cultivées par Perséphone. L'image de la vampire froide et impénétrable envahit son esprit. Des enfants avec elle... Un scénario étrange, presque irréel, commença à se former dans son imagination.Elle se vit, entourée de petits visages, aux oreilles brunes comme elle, mais aux yeux plus bleus que ceux de Perséphone.
Des enfants mi-loups, mi-vampires, porteurs d'une dualité tout aussi profonde que la leur. Elle les imaginait dans ses bras, alors qu'elle racontait une histoire épique où le dragon faisait rôtir le chevalier, mais aussi dans ce jardin secret où Perséphone leur enseignerait le nom des fleurs, leur parlant de la beauté silencieuse du monde. Lupa ressentit un pincement au cœur en pensant à cette scène, une douceur inattendue la submergeant. Elle ne se considérait pas comme quelqu'un de maternel, mais l'idée d'une union avec Perséphone à travers des enfants semblait créer un équilibre nouveau dans son esprit.
Un frisson étrange parcourut sa peau. Ce n'était pas un désir charnel, ni même une pulsion sauvage. C'était autre chose. Des enfants. Avec elle. Lupa sentit un mélange de terreur et d'excitation.
Pourtant, ce rêve éveillé fut rapidement balayé par une sensation d'inadéquation. Perséphone n'était pas une créature que l'on pouvait simplement imaginer dans ce genre de rôle. Elle était trop distante, trop insaisissable, une ombre dans un monde de lumière. Lupa se demanda si Perséphone voudrait seulement de quelque chose d'aussi vulnérable et intime. Voulait-elle seulement être mère ?
Un sourire étrange, presque rêveur, se forma sur les lèvres de Lupa alors qu'elle revenait à la réalité, se tournant vers Elizabeth, toujours si élégante et attentive.
-C'est... compliqué, murmura-t-elle, presque pour elle-même, en repoussant doucement cette projection dans un coin de son esprit.
Lupa ouvrit la bouche pour expliquer sa dernière phrase, mais les mots lui manquèrent sous l'insistance gracieuse d'Elizabeth, qui continuait à parler avec une aisance presque déconcertante.
- Vous n'avez pas besoin de vous presser. C'est cela, la fleur de la jeunesse, on se projette bien trop facilement.
Elizabeth eut un petit rire délicat en marchant vers un point précis, au milieu des longues herbes qui leur arrivaient aux genoux.
- Perséphone n'aime pas montrer cet endroit, c'est un peu son jardin secret. Mais c'est si beau, je me dois de vous le montrer. Elle et sa soeur, elles adoraient venir jouer ici, étant petites.
Elizabeth écarta doucement les longues herbes avec un geste gracieux, révélant un sentier étroit, presque dissimulé dans la végétation luxuriante. Le chemin serpentait à travers une haie de buissons épais, leurs feuilles d'un vert profond formant une barrière naturelle. À mesure qu'elles avançaient, le murmure discret du vent dans les branches se faisait plus léger, presque intime, comme si cet endroit était protégé des regards et des bruits du monde extérieur.Elles débouchèrent finalement sur une petite clairière, baignée d'une lumière douce qui filtrait à travers les arbres.
Au centre de cet espace, une fontaine ancienne en pierre, presque recouverte de mousse, déversait paisiblement un filet d'eau clair dans un bassin peu profond, entouré de plantes sauvages. Des rosiers enchevêtrés grimpaient le long des statues usées par le temps, représentant des nymphes et des faunes dans des poses joyeuses. L'atmosphère était empreinte d'une sérénité étrange, presque magique, comme si le temps lui-même ralentissait ici.
Autour du bassin, des fleurs rares et délicates poussaient en profusion : des violettes, des anémones et des lys, dont les pétales fins semblaient vibrer sous le souffle léger du vent. Il y avait aussi des espèces de plantes que Lupa n'avait jamais vues ailleurs, des fleurs aux couleurs surréalistes, d'un bleu profond mêlé à des reflets argentés, donnant l'impression qu'elles émanaient une lumière propre.
Des bancs de pierre, usés par les ans, étaient dispersés autour du petit bassin, recouverts de lierre, offrant un havre de repos à quiconque voudrait s'asseoir et contempler ce lieu hors du temps. Une statue en marbre d'une femme tenant un panier de fleurs surplombait la scène avec grâce, comme une gardienne de ce sanctuaire secret.
Elizabeth, un sourire tendre aux lèvres, se tourna vers Lupa. Lupa cligna des yeux, un peu prise au dépourvu.
- Perce s'occupe de cet endroit ?
Elle avait toujours imaginé la vampire plongée dans des études occultes ou des stratégies politiques, mais jamais dans quelque chose d'aussi doux et... fragile. Pourtant, elle suivit Elizabeth, la curiosité piquée.
- C'est vraiment très beau, réussit-elle à murmurer alors qu'elles pénétraient dans le jardin baigné de la lumière douce du soir. Les ombres des grands arbres dansaient sur les sentiers de pierres, et un parfum floral subtil flottait dans l'air.
- Ce sanctuaire abrite souvent des petites mésanges, répondit Elizabeth joyeusement, l'entraînant vers une section isolée du jardin. Perséphone est très discrète à ce sujet, parce qu'elle a peur que nous voulions les manger. Mais regarde...
Elles arrivèrent dans un coin du jardin où les parterres étaient soigneusement aménagés, débordant de fleurs colorées, des roses sombres aux pétales soyeux, des lys blancs comme la neige, et d'autres espèces plus rares que Lupa ne pouvait nommer. Il y avait quelque chose d'inattendu dans la délicatesse de ce petit coin secret: des petites maisons pour oiseaux.
- Elles passent des heures ici, parfois, continua Elizabeth, son regard s'adoucissant alors qu'elle se penchait pour toucher délicatement une rose pourpre. Adèle et Perséphone ne s'entendent pas forcément très bien mais je crois qu'elles se retrouvent bien en s'occupant de ces mésanges.
Lupa chercha ses mots, ses doigts effleurant la tige d'une rose avec tendresse. Puis, regardant autour d'elle, elle regarda les petits oiseaux passer craintivement la tête hors des petites maisonnettes.
- C'est assez surprenant de sa part, en effet, murmura la loup-garou.
Elizabeth sourit, un sourire empli de sagesse et de compréhension maternelle.
- Parce qu'elle ne veut pas qu'on le sache. Mais tout le monde cache quelque chose, n'est-ce pas ? Des parties de soi qu'on refuse de montrer. Perséphone n'est pas différente.
Lupa se sentit déconcertée. Elle n'avait jamais pensé que Perséphone puisse avoir une facette aussi douce, aussi vulnérable. C'était un espace intime, privé, qui n'allait pas du tout avec l'image qu'elle s'était construite d'elle. Elizabeth poursuivit, visiblement ravie d'avoir capté l'attention de Lupa.
- Parfois, je viens ici juste pour regarder ce qu'elle a planté. Ça change souvent. Comme ses humeurs, tu vois ?
Elle rit doucement, un son cristallin qui flottait dans l'air frais du jardin.
- Et vous, Lupa, qu'est-ce qui vous passionne ? Quelles passions vous feraient ériger un tel sanctuaire pour y protéger votre coeur ?
La question prit Lupa de court. Elle n'était pas venue pour discuter d'elle-même, ni pour se retrouver dans cette conversation presque trop douce. Mais la présence d'Elizabeth était apaisante, presque hypnotisante. Lupa ouvrit la bouche pour répondre, mais rien ne sortit. Ses pensées étaient encore embrouillées par ce qu'elle venait de découvrir sur Perséphone.
- Je...
Elle hésita, cherchant ses mots. Mais Elizabeth continua, sans attendre de réponse.
- Ah, vous n'êtes pas obligée de répondre maintenant, ma chère.
Elizabeth tapota doucement la main de Lupa avant de se redresser, observant les fleurs avec un air rêveur. Au dessus d'elles, la voute céleste commençait à briller doucement, et l'obscurité s'étalait sur le jardin. Lupa éternua et la vampire avoua:
- J'ai peut-être beaucoup parlé... Désolée, parfois on souhaite se dire des choses et on est pris dans tout autre chose.
Lupa hocha la tête, un sourire aux lèvres:
- Pas d'soucis madame.
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