Chapitre 17: Bain de pensée
La suite de la soirée se déroula dans un brouillard épais pour la pauvre Lupa qui fut complètement bouleversée par la nouvelle qu'elle venait d'apprendre. La nourriture dans son assiette était maintenant du carton épais, son vin coupé au sang du vinaigre, les conversations autour d'elle du bruit qui la rendaient sourde.
Elle, fiancée ? C'était impossible.
Déjà qu'elle ne comprenait absolument pas pourquoi sa propre Perséphone (oui, elle avait désormais décrété que cette fille serait sa nouvelle conquête) était avec un nabot humain minable qui se croyait maitre de l'univers (et d'elle, par extension, ce qui était plus qu'horripilant). Désormais, elle se trouvait dans la même position qu'elle !
Ce n'était pas pour faire la fine bouche. Adèle était bien plus amusante, causante, modeste et accessible que sa sœur. Mais elle n'avait pas sa beauté, son charme si envoûtant, et le corps que Lupa avait très envie de caresser. En fait, la loup-garou n'avait absolument pas envisagé quoi que ce soit avec Adèle.
Dans sa tête, il n'y avait que deux catégories de femmes. Les désirables et les êtres vivants. Disons que celles qui étaient désirables l'étaient parce que c'était des femmes, et que Lupa les trouvait à son goût. Les êtres vivants étaient ceux avec qui Lupa adorait platoniquement, et qui en plus de cela étaient des femmes. Dans la première catégorie, elle pouvait aisément y placer Perséphone, Mia, ou encore Elizabeth de Brières (il fallait bien l'avouer). Et dans la catégorie, il y avait Félice et Adèle.
Après cette annonce chamboulante, elle voyait désormais plus clairement dans le jeu de Adèle, ou croyait décoder mieux le comportement de la sœur de Perséphone. Cet étrange baiser qui avait failli se produire entre elles, ou encore le fait que les deux femmes avait passé beaucoup de temps ensemble depuis son arrivée.
Qui avait manigancé cela ? Alors qu'elle ruminait, le regard vide, dégoutée, choquée, amère, et en colère, elle sentait les regards s'abattre sur elle. Ce soir-là, ils restèrent longtemps à discuter à table de choses et d'autres, notamment l'arrière grand-père de Dracula (lui même nommé Dracula) dont la vie méritait certainement d'être racontée.
Amande, sa mère, regardait sa fille, jubilant de son coup. Elle n'avait jamais été très proche de sa fille, et remarquait ces dernières années son comportement insupportable avec les femmes qu'elle fréquentait. Connaissant le caractère direct et fort d'Adèle, et aimant fort sa famille, elle avait trouvé bon d'organiser avec Elisabeth et Dracula une double fiançailles.
Le regard de Félice était affolé, et compatissant pour son amie. C'était certainement dans ses bras que ce soir, la loup-garou allait réguler ses émotions fortes. Mia, au contraire, ne la regardait même pas. Elle rayonnait, ce soir-là, et fixait d'un air vengeur Perséphone. Le visage de la blonde était pâle, encore plus que d'habitude. Sa lèvre s'agitait parfois d'un tressaut, mais elle gardait un visage neutre.
Ses beaux yeux bleus ne croisèrent ni ceux de Lupa, ni ceux de Mia. Elle sourit presque poliment à sa soeur, comme pour approuver cette union, parla avec Amande de sa passion pour les roses rouges qu'elle faisait pousser dans le jardin, et écouta l'histoire de son arrière arrière grand-père Dracula avec un intérêt limité.
Son pied trouva celui de Lupa, et ne le quitta pas pendant tout le repas. Comme un talisman, cela eut l'avantage de repousser les avances de Ray, qui se tint tranquille pendant tout le repas.
Le couple qui tenait la maison finit par annoncer la fin du repas, et la fin du calvaire pour Lupa et Perséphone. Elles ne se regardèrent pas non plus en se levant, un seul coup d'œil aurait été comme s'embrasser devant tout le monde réunit là. Soudain, cette relation naissante paraissait comme un adultère, une tromperie effrayante.
Lupa ne se sentait pas très bien. Comme Félice l'avait prévu, elle quitta la pièce queue entre les jambes et oreilles baissées en arrière. Elle se précipita à sa suite pour lui présenter un petit salon non loin, dans lequel elles s'assirent pour parler.
- Hey... Je suis vraiment désolée, je ne savais pas du tout.
- J'imagine, grogna la brune d'un air perdu, ses yeux prenant des couleurs moins agressives que d'habitude. Sinon tu me l'aurais dit.
- C'est vrai. Tu m'en as pas parlé, enfin pas encore mais...
Félice baissa le ton, laissant son amie poser sa tête sur ses genoux serrés entre eux.
- Tu es en train de tomber amoureuse de Perséphone ?
- Je tombe amoureuse de personne, moi, dit soudain la loup-garou en relevant la tête pour lui jeter un regard noir de ses pupilles jaunes fendues.
- Tu m'as comprise. Il se passe quelque chose entre elle et toi, vous fricotez ensemble. Je veux bien te trouver tout les synonymes du monde, mais vous formez quelque chose.
- Disons que je vais me la faire.
- Tu ne veux pas avouer que tu lui trouves quelque chose, soupira la rousse doucement. Tu ne veux pas être un peu romantique, quelques fois ? Sans obscénités ?
- C'est sa tête entre mes cuisses, l'obscénité.
- Arrête de rire de ça. Elle est engagée.
- Elle n'en a pas envie et ça se voit bien. C'est sa famille et Ray qui la forcent, c'est une connerie tout ça.
- Peut-être, je ne sais pas. Mais toi tu es engagée aussi.
- Tu crois que je vais me laisser faire ?! Mais hors de question ! Crois moi que ce soir, je vais aller hurler dans la chambre de ma mère...
Alors que Lupa parlait avec rage du traitement qu'elle réservait à sa mère (qui ne sera pas décrit ici car trop sanglant et grossier) Félice laissa son esprit dériver vers une personne plus douce et moins disgracieuse. La belle Mia, avec qui il était désormais plus compliqué que jamais de converser au vu des évènements qui s'enchainaient dernièrement. Elle regarda la pleine lune par la fenêtre éclairer les cheveux ondulés de son amie.
La lune éclaira aussi Adèle et Perséphone qui sortaient sur le balcon pour profiter de l'air frais. Ray avait voulu les accompagner, les accommodant d'un légendaire "alors, les donzelles, on va fumer dehors ensemble ?" mais la plus petite l'avait rembarré presque agressivement (ce qu'elle était presque toujours).
- Tu dois être contente, déclara Perséphone. Vous avez pas mal parlé ces temps-ci.
- Maman voulait me fiancer à tout prix, et elle n'était pas très partante pour Lupa. En dehors de sa réputation, c'était une femme et c'est la première fois...
- Tu ne m'as jamais dit que tu aimais aussi les femmes.
- Je m'en fiche, homme ou femme. Qui en tiens vraiment rigueur ? demanda la vampire aux cheveux ébènes d'un air désabusé.
- Lupa. Elle aime les femmes. A fond.
Perséphone réprima un élan de bile au fond de son estomac pour regarder sa soeur d'un air toujours aussi impassible.
- Parfait. Je la trouve belle. Chaleureuse, charismatique, drôle. L'amour viendra après mais j'ai de l'affection pour elle.
L'affection viendra après mais j'ai du désir pour elle, se réprima de dire la grande blonde élancée qui se contenta de se baigner de la lumière lunaire.
- C'est parfait alors. Nous serons sûrement mariées dans la même année.
- Ton humain mourra bien vite.
- Si Mère et Père ont décrété qu'il serait le bon, alors je m'y plie.
Il nous a vu elle et moi, en train de nous embrasser dans la salle à manger. En réalité, je ne peux pas faire opposition à mon mariage avec lui. C'est trop tard, car si je révèle ma totale absence d'affection pour lui et annule les fiançailles, il dévoilera alors ce que Lupa et moi nous avons fait.
- J'admire ton flegme et ta tranquillité, avoua soudain Adèle en se tordant les pouces sur la rambarde métallique. Je... N'ai pas vu de réaction de la part de Lupa. Je pensais qu'elle serait contente ! On s'entend bien, elle a quitté sa copine il y a peu...
Elle soupira, secouant lentement la tête, affligée.
- Ne t'en fais pas, dit calmement sa sœur en caressant son dos avec sororité. Parles en avec elle, et ne te fais pas de soucis.
- Tu as raison. Toujours de bon conseil, ma sœur. J'admire ta sagesse et ta retenue.
Perséphone déglutit silencieusement en hochant la tête, un sourire forcé imprimé aux lèvres. S'il y avait un télépathe non loin, elle serait morte de honte sur le champ, tant elle allait mentir à sa sœur pour les temps qui adviendrait...
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