Chapitre XI
Les sirènes résonnaient. Les gyrophares projetaient sur les lieux des éclairs bleus et rouges. Les lances à incendie crachaient en flux continu des litres d'eau, dans l'espoir d'éteindre le brasier qui consumait encore les ruines du bâtiment de médecine. Le soleil qui dominait cette journée moins d'une heure auparavant n'était plus qu'un lointain souvenir. Une épaisse fumée noire s'élevait vers le ciel et assombrissait une partie de la ville. Des groupes d'étudiants curieux passaient par là, l'air de rien, pour apercevoir le désastre – difficile de le rater, même de loin.
Les pompiers prenaient encore en charge plusieurs jeunes, ainsi que quelques enseignants trop proches du drame, avant que la police ne vienne les interroger. On agréait déjà l'histoire d'une conduite de gaz, en dépit des témoignages qui parlaient de coup de feu. Cet élément là était mis sur le compte de la panique ; on préférait penser que, l'alarme incendie s'étant déclenchée la première, il s'agissait davantage d'un accident – une enquête terroriste n'aboutirait de toute manière pas, puisque les seules preuves potables brûlaient à quelques mètres de là. Mieux valait donc ne pas laisser aux gens une occasion de se tourner vers l'Etat pour se plaindre d'un quelconque manque de sécurité dans un établissement d'enseignement public.
Le gouverneur de l'Etat de Washington étouffera l'affaire, et c'est tant mieux, songea Emily Novak en jetant un œil en direction des journalistes, derrière les bandes de sécurité. Elle s'assura discrètement qu'aucun ne puisse la filmer ni remarquer sa présence. Un pompier serviable vint lui retirer son masque à oxygène, examiner sa tension, puis ses pupilles, et enfin lui confirmer qu'elle pouvait procéder à sa déposition auprès des forces de l'ordre. Charmante, elle adressa au soldat du feu un sourire à tomber, puis acquiesça comme une gentille fille traumatisée, mais heureuse qu'on s'occupe d'elle. Elle s'éloigna et, dès qu'elle fut certaine qu'on ne lui prêtait aucune attention, elle s'éclipsa en direction d'un bosquet, au-delà du périmètre d'intervention. Disparaître dans le parc du campus paraissait la meilleure chose à faire, désormais, pour se lancer de nouveau à la recherche de Seth Larkin.
Il venait de la sauver, l'espionne en était parfaitement consciente. Un juste retour des choses, pensa-t-elle, si on songe que je lui ai d'abord évité d'être enlevé par un malade de la flammèche. De celui-ci non plus d'ailleurs, aucun signe de vie – enfin, façon de parler. Inutile de consulter les caméras alentour, puisqu'elles n'auraient pas imprimé l'image de Seth. Personne n'avait remarqué sa sortie des lieux – s'il en était sorti. L'espionne priait pour que son acte héroïque ne se soit pas soldé par un échec. S'il se trouvait désormais entre les mains incandescentes d'un fou furieux, la difficulté pour le récupérer gagnait plusieurs niveaux d'un seul coup. Or, il y avait de fortes probabilités pour que cette option se confirme, considérant les chances qu'un gamin inexpérimenté s'en sorte face à un homme dont la puissance égalait sa folie.
On imagine donc la surprise de l'agent Novak lorsqu'une voix l'interpella. Derrière elle, adossé à un arbre, Seth observait les restes fumants de la faculté de médecine. Le regard dans le vague, le visage grave, il attendit que son interlocutrice soit suffisamment proche pour murmurer un « merci », auquel elle répondit un « de rien » formel. Le silence s'installa. Chacun attendait que l'autre parle – chacun avait ses propres questions à poser, mais n'osait pas rompre cet instant de morne recueillement. Seth parla enfin, conscient que rester statique trop longtemps revenait à s'exposer ; les minutes incarnaient pour lui un compte à rebours durant lequel un cinglé progressait sûrement dans sa direction.
– Je me doutais que vous n'iriez pas voir la police, dit-il, amusé. D'ailleurs, je suis désolé pour votre ami, l'inspecteur... Il ne méritait pas de finir ainsi.
– Ce n'était pas mon ami, loin de là, rétorqua l'espionne. Je l'ai utilisé, je l'avoue. Je suis en partie responsable de son sort... Mais peu importe, des hommes meurent tous les jours, cela ne change pas la face du monde. Il ne représentait rien d'autre qu'un instrument pour parvenir à t'atteindre.
– Il faut croire que c'est la mode en ce moment, essayer de m'enlever.
Emily Novak corrigea cette remarque ironique :
– J'ai dit t'atteindre. Je serais bien stupide s'il me prenait la fantaisie de vouloir t'emmener de force...
– Parce que je suis dangereux, n'est-ce pas ?
Le ton amer en disait long sur l'expérience de soi que traversait Seth. Il songeait à ce corps, désormais bien froid, quelque part dans une ruelle perdue, miteuse. Un acte involontaire, somme toute. Rien à voir avec le déchaînement de violence dont il avait fait preuve contre le pyromane. Tant de rage, de colère exprimée à travers ses poings. Si son adversaire avait été humain... Mais il ne possédait rien d'humain, et cela évitait à Seth de s'attribuer pour la seconde fois le titre de meurtrier. Il n'aimait pas ce qu'il devenait – ce que cette situation le poussait à devenir, par la force des choses.
– Chaque personne, à sa manière, représente un danger, répondit Emily Novak, laconique. Tu n'es pas le seul à commettre des actes répréhensibles... Il m'est apparu, avec le temps, que le crime en lui-même n'est que le produit d'une loi morale. J'estime que la transgresser ne pose aucun problème, si la raison le permet.
– Vous avez déjà tué ?
L'interrogation sonnait davantage comme une affirmation.
– Tuer, torturer, interroger, manipuler, énuméra l'espionne. J'ai trahi, menti, j'ai eu tellement de masques que parfois je peine à me souvenir de ma véritable identité... On s'y fait, à la longue. On s'habitue, je suppose, parce que la fin justifie les moyens. Survivre, se protéger par-dessus tout, voilà ce à quoi on finit par aspirer quand on est l'objet d'une traque permanente.
– Vous pouvez me protéger ? s'enquit Seth d'une petite voix, presque infantile. Je fuirais éternellement ce monstre, si je ne trouve pas une alternative...
– On m'a justement missionné pour te mettre en sécurité. Ta protection est la prérogative fondamentale de toutes mes décisions, Seth. Tu représentes un danger, certes, mais pour le moment tu possèdes encore ton libre-arbitre. Si jamais d'autres venaient à s'emparer de toi, et qu'ils parvenaient à soumettre ta volonté, peu importe comment, alors là, tu deviendrais une arme redoutable. Un soldat impossible à éliminer...
La peur se devinait dans la voix de l'espionne. Elle repensait, elle aussi, à l'horrible mort à laquelle elle venait d'échapper, ainsi qu'à l'abomination qui aurait pu causer sa perte. Seth s'approcha, dans un mouvement d'empathie, mais avant qu'il ne puisse atteindre l'agent Novak, il se figea.
Un hoquet secoua sa large carrure. Ses yeux prirent un éclat vert, son visage se fragmenta. Une structure miroitante apparue un instant, superposée à son image. Comme une transmission entrecoupée par des interférences, la silhouette de Seth se morcela en éclats par endroits. Son bras, sa jambe, son torse ; son véritable corps rappelait sa projection.
Emily Novak s'apprêtait à lui reprocher son manque de confiance – il aurait tout de même pu venir en personne, mais comment lui en vouloir, au vu des récents évènements – mais la panique sur son visage lui fit comprendre l'urgence de la situation.
– On me... ! Je... ! s'écria Seth. Quelqu'un est en train de... ! Mon corps, il est... J'ai froid... Pourquoi est-ce que j'ai si froid ? Je ne devrais pas... Aidez-moi, s'il vous plaît !
Le jeune homme se replia sur lui-même et, en quelques secondes, sa projection regagna le vide d'où elle avait émergé. Une fois l'effet de surprise passé, Emily Novak porta son regard sur les alentours immédiats – un garçon à peine ressuscité, son pouvoir ne devait pas posséder une portée phénoménale.
Aux abords du parc, non loin, derrière une cabane d'entretien, le moteur d'une camionnette vrombissait. Le temps que l'espionne se précipite dans cette direction, le véhicule démarrait en trombe. A en juger par la vitesse à laquelle il se précipita dans la circulation des grandes avenues, il transportait un chargement précieux.
L'agent Novak pesta mais, par chance dans son malheur, elle parvint à mémoriser une plaque d'immatriculation – elle n'était visiblement pas la seule à être prise de court, personne ne s'attendait à ce que Larkin échappe à ses poursuivants avec un tel talent. Les deux camps commettaient des erreurs, et elle comptait bien exploiter celle-là.
Elle s'arrêta, essoufflée. Inutile de poursuivre sa course. Dans l'immédiat, sa cible lui filait entre les doigts. Courage Seth, songea-t-elle, je te retrouverai, même si tout est à recommencer maintenant... Bordel, y a des jours, je déteste ce job.
* * *
Et voilà, c'est avec ce onzième chapitre qu'on clôture la partie 1 d'Evolution ! Pas d'inquiétude, la partie 2 arrive dans la foulée, je dois seulement terminer sa réécriture, car je n'aime pas publier quelque chose sans avoir l'assurance que vous en aurez la fin, c'est un peu une question de respect ^^ Vous me lisez et me faites des retours, je m'assure que vous ayez au moins une partie complète ;) La partie 2 sera un peu plus longue que la 1ère (une quinzaine de chapitres environ). D'ici là je vous remercie pour votre lecture, votre abonnement à mon compte, ainsi que pour vos commentaires et vos votes si vous en avez laissé ;) A bientôt !
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