Chapitre perdu N°1 : affronts.

S'il y a bien une chose qui me fascine chez Ev, c'est cette manie qu'il a de se perdre dans ses pensées. Je ne pourrais malheureusement pas dire que j'aime cela, je vois bien qu'il porte beaucoup de chagrin en lui. Nostalgie, mélancolie, appelez ça comme vous voulez, mais le résultat est autant saisissant que perturbant. 

Il se tient sur le rebord de la fenêtre, le regard perdu dans l'immensité de Chromapolis, une larme sur sa joue et un sourire sur ses lèvres. Cette vision me fend le cœur. Tant de beauté, tant de tristesse. Je me décide à briser le silence, ma curiosité me perdra !

"Quelle-est cette pensée qui t'anime, Ev ?

- Je ne t'ai jamais raconté comment j'ai rencontré Maca.

(Je me rends compte à ces paroles qu'en fait, nous ne savons quasiment rien l'un de l'autre.)

- C'est vrai, mais maintenant je veux savoir !

- D'accord ! T'es prêt ?"

Ses paroles m'ont surpris. Ev' n'est pas du genre à partager ce qu'il ressent si facilement, et encore moins à s'étendre sur son passé. Depuis que nous avons repris le cours de notre vie après l'élimination d'Octave, Ev' et moi avons pris notre temps quant aux banalités du quotidien, ce que nous avons vécu est trop énorme pour que l'on oublie juste comme ça. La perspective d'en découvrir plus sur lui me plaît. Mon cœur bat un peu plus vite, je me colle à lui, il pose sa tête contre la mienne. 

"Maca et moi, c'est quelque chose ! Rien n'aurait laissé présager que nous deviendrions amis. A l'époque, je cherchais des potes pour m'amuser un peu pour encrer du calamar, c'est toujours mieux à plusieurs que tout seul. Alors j'ai répondu à une annonce laissée par son groupe, et forcément, je devais jouer avec eux, m'entraîner, et montrer l'utilité de mon petit boubou.

Ils m'ont aussitôt recontacté, me complimentant tous sur le travail de mes vidéos. Tous, sauf Maca, évidemment ! 

- Pourquoi ?

- Eh bien tout simplement parce qu'il n'avait jamais entendu parler de moi ! Il n'avait pas la moindre idée de qui j'étais. Quelque part, je préférais, car au moins j'étais considéré comme n'importe quel autre gars. 

- Je le sens pas, qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?

- Eh bien, ensuite, nous nous sommes affronté pendant une petite session durant laquelle il avait privatisé la Serre Goémon, et ça ne s'est pas du tout passé comme prévu ! Il a tout d'abord tenu à me prévenir que mon petit liquidateur Jr. ne vaudrait rien contre son gros calibre à paillettes... Je me suis demandé : mais c'est quoi ce pin-pin là ?! 

- Ça lui ressemble bien ouais !

- Mais attends, c'est devenu encore plus bizarre quand je lui ai demandé ce qu'il pensait des quelques parties que nous venions de faire, et tout ce qu'il m'a répondu, c'est : t'as vraiment une voix sexy !

- Ahahah ! Il avait pas tord...

- Dans l'inconfort le plus total, j'ai continué comme s'il n'avait rien dit, et la session s'est terminée comme ça : traqueur, traqueur, boubou. Traqueur, traqueur, traqueur, boubou. J'en suis ressorti particulièrement frustré. C'était le dernier joueur avec qui je n'avais pas joué, mais son avis devais faire pencher la balance.

- Son avis était comment, du coup ?

- Il est parti avec pour seuls mots : belles boules, EvilSquid... A bientôt, qui sait ?

- Ahah ! C'est pas vrai ?!

- Si. Je ne savais plus où me mettre. Je me demandais même dans quoi je m'embarquais.  Il avait le chic pour déraper, celui-là ! Heureusement pour moi, j'ai été accepté. Plus tard, il m'a avoué que son seul argument était ma voix.  

- Et c'est comme ça que votre amitié est née ?

- Pas du tout ! Nous ne nous retrouvions très peu, voire pas du tout lui et moi. Avec le premier contact que nous avions eu, je n'osais pas vraiment passer du temps avec lui. En fait, ce qui a scellé notre amitié, c'est une de ses participations à un de mes tournages. 

Nous nous étions rendu sur place pour capturer des images pour le montage vidéo, et j'avais besoin de participants. Il s'est proposé, et je m'étais juré de prendre ma revanche sur ce moment gênant que fut mon test. L'ambiance était particulièrement détendue, et j'ai pu le liquider un nombre impressionnant de fois. D'ailleurs, il a même proposé que j'en fasse un montage, et m'a félicité pour tous ces kills. Comme quoi, parfois les premières impressions ne sont pas toujours les bonnes.

- Et c'est donc ça qui a scellé votre amitié, c'est beau !

- Eh bien non, pas totalement, pour être honnête !

- Sérieusement, Ev ?!!

- Oui. En fait, il a été là pour moi à un moment particulièrement gênant où j'avais besoin de quelqu'un, mais tu me connais, je ne suis pas le genre à aller voir quelqu'un que je connais peu et lui dire : j'ai besoin que tu m'aides. 

- Même quelqu'un que tu connais bien, en fait...

- Exact. J'étais à un tournant de mes vidéos, je me lançais dans de nouveaux concepts, de nouveaux montages. Je voulais repousser les limites pour proposer de la nouveauté. Et je lui ai demandé de participer avec quelques autres. J'ai approché Megamew pour qu'il me donne un coup de pouce. A l'époque, j'étais bien loin de m'imaginer qu'il manigançait de mauvaises choses avec Octave. Je pense d'ailleurs que c'est cette collaboration qui a mis la puce à l'oreille d'Octave. Bref, nous voulions faire une session en exploitant les failles internes du centre de contrôle de la zone de jeu. A chaque lancement de partie, un nouveau changement aléatoire intervenait. Megamew lançait de nouveaux hacks plus perturbants les uns que les autres. J'aurais dû écouter Maca, il m'avait prévenu que c'était risqué, les cloches ont même sonné tellement le hack était puissant. Mais ça ne nous a pas arrêté. 

Et nous avons fait le hack de trop. Nous avions pulvérisé le système, et nous étions coincés dans la zone de jeu sans pouvoir en sortir. Lorsque Megamew à réussir à nous extraire, les effets du hacks ne se sont pas dissipés sur moi. J'étais bugué à l'extérieur de la zone de jeu. 

- Mais quels-étaient les effets du bug sur toi ?

- Eh bien j'avais complètement disparu, j'étais totalement invisible. Pas vraiment sorti de la partie hackée, pas vraiment revenu à Chromapolis. Nous ne savions pas ce qu'il s'était passé. Seul Maca s'en est aperçu, a tenté de me joindre désespérément et est parti à ma recherche. Pour me retrouver, il a dû s'aventurer dans les zones glitchées des aires de jeu, où je me trouvais effectivement coincé. Je me sentais tellement bête que je n'osais pas leur demander de venir me chercher. Après tout, quand tu transgresses délibérément les règles, tu dois en assumer les conséquences. 

Il a fini par me retrouver, nous avons tout tenté : la téléportation au spawn, faire le chemin inverse, mais je ne pouvais pas sortir, seul Maca pouvait. La solution nous est apparue ensuite : il devait me liquider pour me faire respawn. Mais nous n'étions plus vraiment dans la zone de jeu, pas vraiment dans la réalité, nous ne connaissions pas les risques encourus. Il m'a liquidé une première fois. Mais je n'ai pas respawn.

- Comment avez-vous fait ?!

- Eh bien figure-toi que je n'avais pas bougé d'un poil, mais ma chaussure gauche était de nouveau visible. 

- Ah ouf ! Du coup vous avez réussi à sortir rapidement, finalement ?

-Non. Enfin, si. Mais à chaque liquidation, je recevais des dégâts réels. Il a dû me liquider, encore et encore, et me voir mourir à petit feu. Au dernier coup de calibre, je me suis effondré au Spawn. Grâce à sa réactivité, une semaine de soin et de repos m'ont remis sur pieds. Encore aujourd'hui, cette histoire me fait un peu honte, mais suite à son intervention, je savais que je pouvais compter sur lui à n'importe quel moment. Et c'est là que pour moi, notre véritable amitié a été scellée !

- Eh bien ! Tout ça pour une vidéo ?

- Ouais ! Il n'avait quand-même pas froid aux yeux, celui-là ! Ça avait le don de me faire rire, aussi de m'agacer, sa joie et son humour douteux. Il n'arrêtait pas de me vanner parce que pour moi, Zelda, c'était le gugus en tunique verte... Ah ça, ça le faisait marrer !.... Si j'avais su, j'en aurais profité plus. En tout cas, je lui dois tellement... Voilà, c'était notre rencontre avec Maca.

- Merci d'avoir partagé ces souvenirs avec moi, ça me touche.

- C'est normal ! Il y a tellement de choses que tu ne sais pas sur moi... et moi sur toi. 

- C'est vrai, Ev... Dis, j'aurais bien envie de vérifier si tu es plutôt petit liqui Jr ou bien gros calibre à paillette ce soir...

- Tu ne perds rien pour attendre toi !"

Sur ces mots, Ev' m'empoigna, m'embrassa, et me porta jusqu'au canapé, pour un moment qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. 


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