Chapitre 16
PDV Sacha 🎨
Mad vient de quitter la maison de ses grands-parents pour aller se promener et prendre en photos ce que nous offre la nature. J'en profite pour rejoindre ma chambre avec une toile vierge achetée quelques jours plus tôt.
Les autres vaquent à leurs occupations, profitant du calme avant le dîner de ce soir qui va s'avérer festif.
Nous sommes le vingt-quatre décembre et comme chaque année, le réveillon de noël, nous le passons tous ensemble réuni en une grande tablée.
Peut-être que cette année, il sera plus calme. Vu la tête de nos parents quand on les a retrouvés dans le salon une boite de paracétamol en guise de décoration sur la table basse, je me doute que leur soirée d'hier a dû être chargée en alcool et autres substances illicites.
Mais j'en doute. Mon père et mes oncles doivent avoir une sorte de régénérescence automatique dans leur système, car même par une cuite mémorable ils recommencent sans problème.
Soigner le mal par le mal. Ce pourrait être leur devise.
C'est notre dernier repas en famille avant qu'ils embarquent demain matin très tôt pour leur voyage annuel dans un pays chaud et lointain.
Cette année, ils ont choisi de partir aux Maldives. Ils ont loué quatre bungalows sur une île loin des coins touristiques et de la foule. Comme ceux que l'on voit sur les brochures, avec accès direct à la mer par un ponton privée.
Ce sont les seules vacances qu'ils s'accordent dans l'année, le reste du temps ils bossent tous comme des dingues pour faire tourner leurs cabinets, alors ils choisissent toujours des lieux où ils pourront se reposer, profiter des journées entre baignades, farniente, le reste je refuse d'y penser, et éviter tout ce qui se rapproche de près ou de loin à des touristes en mal d'exotisme.
Et pour nous, il sera temps de rentrer à New-York après ses quelques jours de vacances passés ici.
Le dîner du réveillon de noël marque la fin chaque année de notre cohabitation.
J'atteins mon antre sans encombre, c'est plutôt rare pour être souligné, vu le nombre de personnes qui cohabitent ici. Je ne pensais pas aux baleines échouées dans le salon, mais à un de mes potes. Habituellement, je croise toujours quelqu'un au détour d'un couloir pour me détourner de ma tâche initiale.
Une fois à l'intérieur, je me déshabille, balance mes affaires de la veille dans un coin, en attrape d'autres un peu plus loin, regroupées en boule dans un coin, puis je commence à me changer. J'enfile un vieux t-shirt gris, un pantalon de survêtement noir, j'allume un clope en prenant soin d'ouvrir la fenêtre, pour limiter l'odeur, puis je me poste devant le chevalet sur lequel je dépose la toile blanche que je viens de récupérer. Mes tubes sont disposés à ma droite sur une tablette en bois, que j'ai récupéré dans le garage de Svein, comme à chaque fois que je me retrouve ici, prêts à être utilisés.
Je fixe le support en lin blanc à travers les volutes de fumées qui s'échappent quand je la recrache, je plisse les yeux, un coup de tonnerre me fait sursauter, comme si c'était le signal, mon esprit se met à vagabonder vers une brune aux iris aussi gris que le bout de ciel qui se découpe derrière la fenêtre ouverte. Un gris tempétueux. Orageux. Unique.
Un frisson m'atteint.
J'écrase mon bâton de cancer dans le cendrier posé sur le bureau, puis j'attrape un crayon pour commencer à esquisser les traits du visage de celle qui a capturé mon cœur et dessiner mon âme avec les couleurs de la sienne.
Si pour la plupart de mes cours sur la manière de peindre un portrait, une photographie du modèle est accrochée au mur en grand format pour en étudier les traits, aujourd'hui, je n'en ai absolument pas besoin pour dessiner le visage de celle qui m'a ensorcelé. Tout ce qui le compose est gravé dans ma tête.
J'ai eu le temps de le contempler, de l'admirer, en vingt-trois ans.
Tous les moindres détails, de son grain de peau parfait, du grain de beauté près de sa lèvre supérieure qui me rend dingue, du gris si particulier de la couleur de ses yeux, l'expression de son visage quand elle réfléchit ou est contrarié.
Tous ses détails sont indélébiles. Impossible à effacer.
Je peux dessiner Madelen les yeux fermés.
Ma main dirige le crayon toute seule, je me contente de le tenir alors que lui glisse sur la toile, traçant courbes et lignes. Après un dernier coup de crayon, je me recule pour admirer le travail effectué. Je me passe les mains dans les cheveux en scrutant le portrait que je viens de dessiner. Mon regard se perd dans celui de ma madeleine sur toile. J'ai l'impression d'avoir une Mad plus vraie que nature qui me fixe de ses prunelles si douces et pourtant tellement pénétrantes en même temps.
Je déglutis face à ses yeux inquisiteurs.
J'allume une cigarette pour me donner une contenance.
Ce ne sont que des traits au crayon sans couleur, ni profondeur, mais la sensation qu'ils me transpercent jusqu'à mon âme ne me quitte pas.
Quelque chose me gêne.
C'est alors que ma conversation furtive avec Liam pour savoir si j'avais eu des nouvelles de la fille avec qui j'ai couché là-bas pendant notre week-end de débauche à Las Vegas me revient en tête. Je l'avais bien coincée dans un coin de mon cerveau, le pensant sans importance, mais en voyant le visage de Mad, paisible et serein, un malaise m'envahît sans vraiment savoir ce qui me dérange.
Je secoue la tête, pour faire fuir toutes pensées négatives, termine ma clope, puis j'attrape un fixatif que je pulvérise sur la toile, pour éviter que la peinture ne se salisse avec le crayon.
Trois heures plus tard, je repose mon pinceau sur la table à côté des tubes de peintures ouverts à moitié terminés où les couleurs se mélangent.
Le blanc titane, l'outremer, l'ocre ou encore le marron, sont autant de teintes dont j'ai eu besoin pour respecter la copie parfaite du visage de ma meilleure amie, de mon âme sœur de la femme de ma vie.
Et toujours ce putain de malaise.
Je me frotte les yeux, de fatigue, de lassitude devant mon incapacité à me souvenir de ce que j'ai pu faire pour avoir ce sentiment étrange que j'ai merdé.
J'attrape un chiffon qui traine pour enlever le maximum de peinture sur mes doigts afin de ne pas tacher la toile en voulant m'en saisir.
Ce serait con d'avoir des traces de doigts sur les bords.
Je la contemple les bras tendus, une idée me vient et fier de pouvoir la réaliser, j'emporte mon travail en traversant la salle de bain commune à Madelen et moi, pour me retrouver dans sa chambre.
Son parfum qui flotte dans l'air, éclate mes narines quand je le respire puis comme par magie le reste s'efface.
Je suis accro à ces notes florales depuis de nombreuses années. Toujours le même parfum. Celui que je lui ai offert alors qu'elle avait seize ans, lorsque je suis revenu de mes vacances de chez mes grands-parents à Aix-en-Provence. J'avais passé une journée à Grasse, ma grand-mère et moi, nous en avons profité pour visiter une usine de parfum où l'on pouvait créer sa propre fragrance. J'en ai composé un, pour elle, unique, j'ai choisi les essences qui me faisaient penser à mon petit chat ensuite quand l'experte a validé mes choix, je suis repartie avec dans un flacon magnifique. Depuis Mad le porte toujours.
Je souris dès que je remarque mon t-shirt, celui qu'elle m'a piqué hier alors que l'on dormait à l'hôtel, abandonné sur le lit à l'endroit où elle dort habituellement.
Mon cadeau toujours dans les mains, je cherche l'endroit parfait pour le poser.
C'est bon, j'ai trouvé.
Fier de moi, je regarde l'heure sur mon téléphone, et je m'aperçois que le jour commence à décliner et que Mad est partie depuis pas mal de temps. Comme souvent, elle est tellement prise dans sa passion qu'elle ne voit pas l'heure tourner, exactement comme moi quand je peins. Nous sommes dans une bulle.
Combien de fois, elle a du débarqué chez moi, je lui ai donné un double de mes clés, plus simple pour tous les deux, surtout que j'en avais marre de nettoyer la peinture que je mettais chaque fois sur la poignée de la porte, pour venir me chercher alors que j'étais encore plongé dans mon monde, les yeux explosés, des mégots de cigarettes débordant du cendrier, de la peinture dans mes cheveux à force de les malmener et mon esprit sur off sur tout ce qui m'entoure ?
Après ces heures passées ensemble, nous avions besoin de nous recentrer sur notre passion.
Nous avons toujours fonctionné comme ça. On peut passer des heures et des heures ensemble rien que tous les deux ou avec nos familles ou nos amis, mais à un moment donné, il va nous falloir ce sas de décompression, cela n'empêche pas que je l'aime à un point qui me semble irrationnel, que si je le pouvais, je me fondrais en elle, mais nous avons un esprit d'artistes, et nous avons besoin de nous nourrir des autres, de la nature qui nous entoure pour que notre créativité ne soit pas affamée. De nous retrouver seuls face à ce que le monde nous propose pour nourrir notre imagination.
Mais là, il commence à se faire tard et puis je suis impatient de lui montrer mon œuvre.
Je m'allonge sur le lit king-size, mon dos calé contre la tête de lit, les jambes croisées, en faisant gaffe que de la peinture fraîche ne traîne pas sur mes fringues, je compose directement son numéro.
Sa voix chaude et légèrement rauque me répond à la seconde sonnerie.
— Allô.
— Tu comptes passer la nuit dehors petit chat ?
Je suis sûr qu'elle peste intérieurement en regardant l'heure puis Mad me confirme ce que je sais déjà. Elle ne l'a pas vue passer.
Je la charrie en lui disant que cela ne me surprend pas, puis trop impatient comme un enfant un matin de Noël, je lui ordonne presque de rentrer. D'ailleurs j'ai dû vraiment le faire, car Mad relève mon ton autoritaire et en joue.
Et moi, comme l'obsédé que je suis avec elle, ne manque pas de me faire un film sur elle et moi, nus, allongés, acceptant mes ordres.
Je bande comme un malade. Je remets en place mon érection de façon à ce qu'elle ne me gêne pas trop.
Ça m'apprendra de la provoquer alors qu'elle n'est pas à côté de moi pour assouvir mon envie d'elle, et les images qu'elle m'a mises en tête.
Un blanc suit dans la conversation, signe que Mad n'est pas mieux que moi.
Je me reprends en fixant ce pour quoi je tiens à ce qu'elle rentre... vite.
— Je sais à quoi tu penses, j'ai le film en tête moi aussi, mais là tout de suite, je suis impatient que tu reviennes, car je souhaite te montrer quelque chose.
— Qu'est-ce que sait ?
Mad et sa curiosité légendaire me font sourire.
— Rentre et tu le sauras.
Comme le connard que je peux être, je raccroche sans lui laisser le temps de répliquer.
Je patiente sur son lit, me lève, me rallonge, fait défiler les photos que j'ai prises de mon petit chat récemment.
Moi, accro ? No comment.
Quand plusieurs minutes plus tard un fracas dans le couloir me fait sursauter.
— C'est quoi ce bordel ? Dis-je pour moi-même.
Je sors du lit pour vérifier que personne n'agonise devant la porte de la chambre lorsque celle-ci s'ouvre...
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