La fête ne dura pas trop longtemps dans la soirée. Nawon était fatiguée et, si tout ce petit groupe d’adultes arrêtait de se mentir, il dirait que lui aussi se sentait prêt d’aller se coucher. Alors progressivement, après que tout le monde ait souhaité bonne nuit à Nawon, l’appartement se vida.

Seungcheol resta derrière, attendant patiemment que tout le monde soit parti, collectant les verres et assiettes éparpillés un peu partout en faisant la conversation avec les derniers invités.

Quand il salua le dernier d’entre eux, il sentit un certain poids se décoller de ses épaules. Il était épuisé. Si ce n'était pas pour Nawon, Mingyu et Wonwoo, jamais il ne serait resté aussi longtemps.

Il finissait de remplir le lave-vaisselle quand Mingyu vint lui parler.

« Hé hyung. » Dit-il maladroitement. « T’étais pas obligé de faire tout ça.

- Bien sûr que si. Et puis, vous aider à tout ranger me permet de passer plus de temps avec vous ! »

Mingyu hocha la tête, pensif.

« Comment ça va, hyung ?

- Pourquoi tu demandes ça ? » ils s’étaient vus toute la soirée, c’était étrange de demander cela que maintenant.

« On ne t’a pas beaucoup vu ces derniers temps et puis Jeonghan aussi été là ce soir. Je sais que vous avez travaillé ensemble mais tu as tout de même dû être surpris de le voir aujourd'hui.

- Hé bien oui, c’était une surprise. Mais ce n’était pas un cauchemar. » il accrocha le torchon à la poignée du four, évitant soigneusement le regard de son ami.

Mingyu s’appuya sur l’îlot central en soupirant.

« Tu l’apprécies toujours. » constata-t-il. Seungcheol se tendit.

En parler avec Seungkwan était une chose, le faire avec Mingyu en était une autre ; beaucoup moins plaisante et habituelle. Mais il supposa qu’il lui devait bien ça.

Toute cette situation n’avait pas été facile pour lui non plus…

« Oui. Divorcer est dur mais j’aurai aimé qu’on reste amis. J’ai eu cette discussion avec Seungkwan qui m’a rappelé que c’est ce que je voulais déjà avant même qu’il soit question de divorce et malgré ça, je ne fais que des conneries. » il prit place face à Mingyu. Il voulait que Seungcheol parle, alors il allait le faire. «  J’ai même pas eu la force d’assister à son pot de départ et maintenant, il m’en veut.

- Tu te fais des idées, non ? Je vous ai vu aller dire bonsoir ensemble à Hansol et Seungkwan à son arrivée.

- C’était une tactique pour se venger ; Seungkwan a passé un quart d’heure à me disputer.

- Et quand il t’a servit un verre de pétillant ? C’est sûr que c’était pas…

- C’était du pétillant à la pomme. Je déteste ça et il le sait ! » ses gémissements de désespoirs firent rire Mingyu.

Seungcheol observa son ami s’amuser de ses malheurs, dubitatif. Qu’est-ce qu’il y avait de si drôle dans le fait d’être maltraité par son ex-mari ?

« De mon point de vu, c’était très amical, tout ça.

- Quoi ?

- Ben oui. » Il haussa les épaules. « Tu vas quand-même pas me dire que ce n’est pas comme ça qu’il agissait avec toi avant que vous vous mettiez en couple ! »

C’est vrai que Jeonghan avait toujours été espiègle. Toujours près à faire les quatre-cent coups, à faire tourner Seungcheol en bourrique. Même après leur mariage d’ailleurs ! Et jamais Seungcheol n’avait trouvé cela agaçant ou quoique ce soit ; parce que comment lui en vouloir alors qu’il avait les yeux qui pétillaient et un joli sourire sur le visage ? C’était impossible ; c’était trop demandé à Seungcheol.

D’ailleurs repenser à Jeonghan le fixant dans les yeux tout en lui servant ce pétillant à la pomme, l’espièglerie brillant dans le fond de son regard, amena un sourire sur ses lèvres.

« C’est vrai… » acquiesça-t-il presque tendrement.

Mingyu arrêta de rire. Sa mine se décomposa ; il ouvrit grand les yeux et ses mains vinrent recouvrir sa bouche ouverte.

« Oh mon dieu. »

Seungcheol se remit droit sur ses pieds, fixant avec une panique retenue son ami ; ses instincts de médecin au taquet.

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Mingyu, en grand dramatique, se laissa glisser jusqu’au sol, toujours appuyer contre l’îlot. Seungcheol se mit à son niveau, les mains poser sur les joues de son cadet. Celui tourna lentement son regard vers lui.

« Tu l’aimes encore. »

*

« On peut dire que je m’attendais à tout, sauf à ça. » confia Marc, toujours un peu perplexe.

Jeonghan rigola. Marc lui servit un verre de vin rouge et retourna s’assoir de l’autre côté du comptoir.

C’est la première fois qu’il venait ici après la fois où il avait ramené Jeonghan après la soirée karaoké et aussi depuis qu’ils avaient commencé à sortir ensemble.

Deux jours plus tôt, ils étaient allés au cinéma et la semaine d’avant, à une exposition. C’était fun, Jeonghan s’amusait beaucoup et Marc, aussi, il semblerait.

« Non mais c’est vrai ! Quand tu as dit ‘‘diner romantique’’ je ne pensais pas à du vin rouge et de la pizza sortie du congélateur. »

Jeonghan avala sa gorgée de vin en secouant la tête de droite à gauche.

Il posa le verre et leva l’index.

« On parle tout de même de la pizza surgelée la plus chère du marché ! » il savoura le gloussement de Marc, une certaine fierté lui chauffant les joues. Quand l’autre homme fut de nouveau attentif, il continua sur le ton de la confidence : « Promis, la prochaine fois on ira au restaurant.

- Le Golden ?

- Pourquoi pas. C’est moi qui invite ! »

L’appartement était peu éclairé, seules les LED des placards de la cuisine et la bougie placée au centre du comptoir apportaient un peu de luminosité. Les extrémités des cheveux de Marc laissaient passer un peu de lumière donnant l’impression qu’un halo s’était formé autour de sa tête, tel un ange. Jeonghan voulut le lui dire mais ses lèvres restèrent scellées ; on ne sait jamais, lui disait une petite voix. Il ne savait pas à quoi elle se référait mais il n’allait pas aller contre elle.

« Comment s’est passé l’anniversaire de la fille de tes amis ? » la lumière s’accrocha dans le rouge de son vin, et peut-être que si Jeonghan était un artiste, il aurait tout arrêté pour se jeter sur une toile, passant des heures à mélanger et étaler de la peinture jusqu’à capturer parfaitement l’image qu’il avait sous les yeux.

Il n’était peut-être pas amoureux de Marc mais il ne pouvait nier le charme de celui-ci ; l’effet qu’il commençait à avoir sur Jeonghan. Il avait toujours été un homme plaisant à regarder et maintenant, Jeonghan savait qu’en plus d’être quelqu’un de très poli et serviable, il était aussi drôle, gentil et élégant.

Jeonghan n’était pas habitué à être en présence de ce genre de personnes —vous  savez, celles dont on peut difficilement détourner le regard— mais il pourrait s’y faire.

« Je peux peut-être embellir ce modeste repas avec un peu de salade. » proposa-t-il, posant déjà sa fourchette (c’est un diner romantique, on ne mange pas avec les doigts pendant les diners romantiques).

« Une petite touche de vert ne ferait pas de mal à cette… sobre présentation. » répondit Marc et Jeonghan sentit ses lèvres s’étirer avant même que l’amusement chatouille sa gorge.

Il se leva, sortir la salade de réfrigérateur et commença à la préparer.

Un silence agréable s’installa entre eux, le bruit de l’eau et la musique doucement jouée par l’enceinte amplifiant l’atmosphère. Jeonghan sentit son esprit se reposer, ses gestes manuels devenus automatiques.

Il disposa les feuilles de salade joliment dans un plat.

« Seun… ce plat serait encore mieux avec un peu de vinaigre balsamique, tu ne crois pas ? » il se tourna vers Marc qui se tourna vers lui, les yeux brillants ; il n’avait pas remarqué que Jeonghan avait failli l’appeler par le nom de son ex-mari.

« Mh ? Oh oui, ce serait parfait. »
Jeonghan lui fit un joli sourire (le même qu’il utilisait pour les photos de classe et d’identité) et se tourna vers le réfrigérateur.

Penser à Seungcheol dans ces circonstances…

Cette soirée ressemble sûrement trop à ce qu’on avait l’habitude de faire… constatât-il amèrement.

Il ravala la peine et la colère qui menaçaient de lui obstruer la gorge et brandit fièrement la bouteille de vinaigre.

« Tadaaaa ! » fit-il en tournant une fois sur lui-même. Marc applaudît. Le repas reprit son cours comme si Seungcheol n’avait jamais manqué de le bousiller.

Cette affaire embâta Jeonghan tout le long du diner, quand il dit au revoir à Marc (déposant un baiser un peu plus proche de ses lèvres à chaque rendez-vous) et même quand il partit se coucher. Se tournant dans tous les sens sous ses draps, il maudît une dernière fois son ex-mari avant de s’arrêter sur une position.

**

« Hanie ? » Une main chaude et familière passa dans ses cheveux et reposa sur son épaule.

Il protesta un peu, fourrant son visage dans son oreiller. Un petit rire lui répondit.

« Allez, debout paresseux. J’ai fait le petit-déjeuner déjà. » la main glissa le long de son bras et vint se loger dans la sienne. « Tout ce que tu as à faire, c’est déguster. »

Charmé par ces paroles, Jeonghan se redressa et tendit les bras. Le rire anima encore la pièce et on lui fit un câlin. Les bras musclés qui l’encerclaient le soulevèrent jusqu’à ce qu’il soit sur ses pieds, la joue toujours appuyée sur l’épaule de l’autre homme.

Celui-ci lui déposa un baiser sur la tête et le fit s’écarter de lui pour dégager son visage de ses cheveux en pagaille.

« On y va ? » demanda Seungcheol et Jeonghan se contenta simplement d’hocher la tête.

Le comptoir de la cuisine était plein de bonne nourriture. Seungcheol était sorti acheter des pâtisseries et avait en plus fait du café et du pain perdu (parce qu’ils n’arrivaient jamais à finir un pain sans que celui-ci ait le temps de rassir).

Jeonghan grimpa sur un tabouret et Seungcheol se plaça en face de lui, tasse à la main.

« Tu vas à l’hôpital aujourd’hui ? » demanda Jeonghan en piochant un croissant.

« Ouais. J’ai quelques rendez-vous à assurer et j’aimerais constater l’état d’une patiente.

- OK. Tu m’enverras un message pour me dire à quelle heure tu finis ? Comme ça je commencerai le diner.

- Tu dois travailler sur un article, non ? Tu dois aller bosser là-bas ? »

Jeonghan haussa les épaules.

« Non, pas la peine. Je dois juste finaliser l’article, ça va pas me prendre trop longtemps. »

Jetant un coup d’œil à l’horloge murale, Seungcheol se dépêcha de finir sa tasse et engloutit une tranche de pain perdu et un éclair au chocolat. Il partit dans la chambre, revint avec une veste sur le dos et une paire de chaussettes.

Jeonghan l’observa faire en mâchant doucement, l’emprise du sommeil se faisant de moins en moins sentir.

« N’oublie pas qu’on va randonner demain ! » Rappela Seungcheol. Jeonghan protesta pour la forme. Il avait hâte d’y être en réalité.

Quand Seungcheol eut fini de mettre ses chaussures, Jeonghan le rejoignit dans l’entrée.

« Attends, file pas comme un voleur. » dit-il en saisissant un pan de la veste. Il fit Seungcheol se tourner vers lui et encercla la nuque de son mari de ses mains. « A plus tard ? »

Seungcheol s’approcha pour l’embrasser.

« Gah ! »

Jeonghan se réveilla en sursaut.

Regardant furieusement tout autour de lui, il se redressa dans son lit. Sa chambre était plongée dans le noir, le tictac de son réveil et sa respiration agitée pour seul bruit. Les draps étaient fraîchement lavés et sentaient bon la lavande. Il était dans son appartement. Le sien, à lui tout seul.

« Bordel. » Tapant une fois le matelas, il ramena ses genoux contre son buste et cacha sa tête dans ses bras.

Il ne pleurait pas, non. Il bouillait de rage.

Il était en colère contre lui-même. Contre Seungcheol. Contre le monde entier.

Jamais. Jamais il n’avait rêvé de lui. Et c’est quand qu’il avait enfin trouvé quelqu’un d’autre que ça arrivait ?!

Il voulait aller de l’avant ! Il avait décidé de ne plus ressasser le passé ! Pourquoi celui-ci continuait-il à persister ?!

Il soupira.

Le réveil indiquait six heures quarante-cinq. La journée allait être longue.

***

Joshua… n’était décidément pas l’étoile la plus brillante. Parce que s’il l’était, il ne se serait jamais fait chopper ; il aurait couché avec Junhui puis l’aurait étouffé avec un oreiller. Comme ça, il n’aurait pas parlé pendant son appel avec Jeonghan et celui-ci ne se serait douté de rien.

Aujourd’hui, Jeonghan revenait au bureau. Cela signifiait qu’il devrait le confronter. Et il en avait vraiment pas envie parce que son meilleur-ami ne le laisserait jamais tranquille par rapport à ça. Comme si lui-même n’allait pas se fustiger mentalement jusqu’à la fin de ses jours.

Le problème avec Junhui, ou plutôt avec Junhui et Joshua, c’est qu’ils ne savaient pas se tenir loin de l’autre bien longtemps. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Joshua avait cherché et déménagé dans un appartement le plus loin possible de celui de Junhui. Parce qu’il savait que s’il avait le malheur de le croiser alors tout serait fini.

Ils avaient eu une relation particulièrement sulfureuse plus jeunes (rien que Joshua regrettait au niveau expérience. Au niveau sentimental, c’était une autre affaire.) et il semblerait que ni l’un ni l’autre ne s’en était réellement échappé.

Quoiqu’il en soit Joshua était déterminé à ne plus jamais revoir ce goujat ! La dernière fois, c’était un instant de faiblesse ! Il avait été surpris, c’est tout !

C’est exactement ce qu’il devrait dire à Jeonghan en le voyant aujourd’hui. Il allait devoir être un peu plus convainquant parce que son meilleur-ami serait sûrement en rogne. Certes, Jeonghan passait beaucoup de temps à embêter Joshua par rapport avec Junhui mais cela ne signifiait pas qu’il voulait les voir se remettre ensemble ; au contraire, c’est ce qui le plongerait dans une colère noire.

Il passa les portes de l’ascenseur et longea le mur du couloir opposé à l’Open Space où travaillait Jeonghan. Ses yeux se posèrent sur celui-ci. Peut-être était-il sauf, après tout.

Jeonghan n’avait vraiment pas l’air bien.

Presque malade, même.

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