Chapitre 33

Emilie 

Dès l'instant où Connor m'a murmuré sa confidence dans l'ombre de l'intimité, mon cœur s'est mis à battre plus vite. Plus fort. Une sensation de légèreté m'a envahie et de multiples papillons se sont mis à voler à l'intérieur de mon être.

"Alors, de cette façon, je n'oublie pas que c'est grâce à toi que j'ai envie de vivre et que mon cœur est capable d'aimer de la plus belle des façons."

Ce matin, je me suis levée avec une énergie débordante.

Je sens mes lèvres s'étirer d'elles-mêmes pour laisser se dessiner un sourire. Le premier, non inventé depuis des années et maintenant, ses paroles n'arrêtent pas de résonner dans ma tête.

Je me dis que si lui arrive à mettre des mots sur ce qu'il ressent pour moi et qu'il ose enfin me l'avouer, je peux moi aussi prendre le risque de laisser mon cœur éprouver des sentiments.

Comme si je contrôlais quelque chose, de toute façon... 

Ça fait bien longtemps que mon cœur n'en fait qu'à sa tête.

- Oui, exactement, je piraterai les caméras pour que Kyle puisse poser le dispositif incendie dans l'aile la plus éloignée de l'hôpital et vous deux, vous devrez agir à ce moment précis.

La voix de Riley me sort de mes pensées et je me reconnecte avec difficulté à la réunion qui se déroule devant moi pour mettre en place le plan de ce soir.

Je vais de nouveau me jeter dans la gueule du loup. Retourner dans cet enfer qui me rappelle tout ce que j'essaie d'effacer de ma mémoire. Mais cette fois, je n'y vais pas seule. Entre l'amour que Connor me porte - même s'il ne l'a pas clairement dit - et Mason et Kyle qui m'accompagnent, je me sens moins stressée. Plus en sécurité.

Je jette un coup d'œil au brun qui se tient debout dans l'encadrement de la porte du bureau de mon père. Les mains dans ses poches, il regarde le vide devant lui comme s'il était ailleurs, mais son corps est tendu. Tout porte à croire qu'il reste concentré pour ne pas exploser une nouvelle fois face à son chef.

La geek du groupe me regarde, attendant un signe de ma part, et quand je hoche la tête, elle reprend les explications.

- Pendant que les agents et le personnel de sécurité seront occupés à gérer l'alerte et à faire sortir tous les patients dans la cour extérieure. Mason, dit-elle en lui tendant un badge plastifié. Tu attendras à l'extérieur du bâtiment que l'alerte se calme et quand l'agent de nettoyage arrivera, tu échangeras ta place avec lui. Logan se chargera du type, pendant que tu iras au portail de sécurité. Je t'ai créé une toute nouvelle identité, donc tu pourras accéder librement à l'hôpital sans craindre quoi que ce soit.

Elle se tourne vers moi avant de continuer.

- Emilie, tu te faufileras dans le groupe des patients pour te fondre dans la masse, indique-t-elle en me tendant un uniforme blanc. Le même que je portais avant de suivre Connor il y a deux jours. Essaie de ne pas te faire remarquer tout de suite, car personne ne pourra assurer tes arrières tant que l'agitation ne se sera pas calmée.

Mes yeux se portent sur Kyle qui reste concentré sur les paroles de la brune et quand il se tourne vers moi, il acquiesce avec un sourire réconfortant.

Puis tous les trois, nous hochons simultanément la tête pour lui confirmer que nous avons bien tout compris.

- Vous devrez, vous aussi, vous fondre dans la masse le plus possible, les informe mon père en prenant place aux côtés de son employée. Riley n'aura la main que sur les caméras et les éléments électroniques à distance, mais elle ne pourra pas contrôler le personnel restant. Alors, si vous tombez sur des curieux, faites en sorte qu'ils croient à votre version. Qu'ils ne se doutent de rien et ne remettent pas en question votre couverture. Et si jamais quelqu'un pose réellement problème, on avisera à ce moment-là.

- Vous aurez tous les deux des oreillettes, reprend la brune en regardant Kyle et Mason. De cette façon, nous pourrons communiquer à tout moment quand vous serez là-bas. Emilie au risque que tu sois trop vite suspectée, tu n'en auras pas, mais les garçons garderont un œil sur toi et nous alerterons au moindre problème.

J'entends la voix rauque du brun à l'entrée jurer discrètement dans sa barbe. Il commence à perdre le contrôle et ce n'est pas bon signe.

- Je saurais me débrouiller, assuré-je rapidement pour éviter une nouvelle confrontation.

Je veux partir sereine, la tête remplie des souvenirs de la nuit dernière pour être sûr de tenir le coup. Le moins d'altercations possible avant mon départ sera le mieux.

- Pour le reste du plan, je vous tiendrai au courant au fur et à mesure. Et si tout se passe bien, ce que je ne doute pas, nous aurons coincé Barocchi avant qu'il se rende compte de quelque chose, affirme-t-elle sûre d'elle.

Du haut de ses vingt et un ans, ce bout de femme est un pilier pour notre groupe. À première vue, elle n'a pas du tout l'apparence d'une hackeuse si on fait abstraction de ses lunettes à la Harry Potter. Malgré son jeune âge, elle à tout d'une dure à cuire. Elle excelle dans son milieu et je comprends pourquoi elle fait autant baver le blond de la bande. 

- Et si ce n'est pas le cas ? claque la voix rauque de Connor.

Il sort les mains de ses poches et s'avance pour faire face à mon père et Riley.

- Tout votre discours est bien joli, mais c'est que de la théorie. Et si, pendant que Mason s'amuse à faire joujou avec sa pelle et son balai et que Kyle doit gérer un membre du personnel trop curieux. Qui sera là pour assurer les arrières de ta fille, argumente-t-il sévèrement en défiant son chef du regard.

La tension d'hier est de nouveau là et je ne sais pas comment l'empêcher de péter un câble. Je comprends que Connor s'inquiète, il ne supporte pas d'être mis de côté et encore moins de ne pas avoir le contrôle sur la situation. Je le comprends encore plus maintenant que je connais très clairement les sentiments qu'il a à mon égard.

Alors, après avoir pris une grande inspiration, je me lève du canapé en cuir où j'étais assise face au bureau de mon père et me place face à lui. Je fais barrière entre son chef et lui, et il recule légèrement.

Je pose délicatement ma main sur sa joue pour pencher son visage vers moi et dévier son regard sombre de la silhouette de mon père. Son regard tempétueux vient se plonger dans le bleu du mien.

- Tout ira bien, le rassuré-je en essayant de paraître la plus confiante possible. Ne t'en fais pas pour moi, tout ira bien, répété-je avec un léger sourire en caressant sa joue de la pulpe de mon pouce.

Malgré sa mâchoire qui demeure crispée, sa respiration se calme peu à peu et il hoche la tête en fermant les yeux pour s'attarder quelques secondes contre la paume de ma main.

Quand il rouvre les yeux et pose son front contre le mien, je suis happée par la douceur qui le traverse effaçant petit à petit l'inquiétude. Et rien que pour cette vision, je me dois de revenir le plus vite possible auprès de lui pour lui dire à quel point je le déteste d'avoir réussi à me faire tomber amoureuse de lui.

Victor Hugo a dit un jour : Quand vous tombez amoureuse de la personne la plus improbable, c'est souvent la plus belle des histoires d'amour.

Le front toujours posé contre le sien, je m'accroche à l'espoir qu'il me transmet. À l'espoir que malgré tout ce que nous avons vécu, après cette mission, nous pourrons enfin connaître le bonheur.

Si j'ai le droit au bonheur, je veux que ce soit avec lui et personne d'autre. 

______________
Il est un peu moins de dix-huit heures trente quand nous arrivons devant l'hôpital psychiatrique de Manhattan.

Le trajet jusqu'ici s'est fait dans un silence solennel. Personne n'a osé dire quoi que ce soit. Même Kyle a dû laisser sa bonne humeur à la propriété, car il est resté figé sur la route, concentré sur la mission. Rares sont les fois où il est si sérieux et j'avoue que cela m'inquiète un peu.

Le blond gare le 4x4 près de la petite forêt en contrebas du bâtiment et quand le moteur s'arrête, je prends conscience que c'est maintenant que tout va se jouer. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Trop de vies sont en jeu et je ne pourrais pas me pardonner si nous échouons à cette mission.

Mon ami se penche près de moi pour ouvrir la boîte à gant. Il récupère le dispositif incendie, deux pistolets 9 mm et les oreillettes, puis tend l'un de chaque à Mason.

Ils s'exécutent toujours sans un mot et installent l'objet dans leur oreille.

- Dite moi, que portez-vous agent Collins ? s'amuse le blond en faisant référence au professeur dans la Casa de Papel. 

Kyle glousse en entendant la réponse de Riley et le silence pesant disparait pour laisser place à une légèreté qui m'apaise un peu.

- OK, vous êtes prêt ? demande mon ami en se tournant vers nous. Je pénètre dans l'aile du bâtiment pour poser le dispositif. Dès que c'est fait, je donnerais le signal à Mason et ce sera le moment pour que tu ailles rejoindre les patients dans la cour.

Je hoche la tête en gardant en mémoire les instructions de la geek.

Je frissonne en descendant du véhicule, quand l'air frais du mois de février se faufile à travers mon ensemble blanc en coton.

Le blond fait le tour de la voiture, s'avance vers moi et me prend dans ses bras.
Ma tête collée contre son torse, je m'autorise à fermer les yeux un instant pour calmer mon anxiété. Son étreinte me rassure et je suis contente qu'il soit là avec moi.

- Fais attention à toi, d'accord, murmuré-je contre lui ma main caressant doucement son dos.

Il se redresse, prend mon visage en coupes entre ses mains.

- Toi aussi, fais attention. S'il t'arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai pas, avoue-t-il ses yeux cristallins dans les miens. Et puis j'aimerais tout aussi bien garder mes burnes intacts, donc on va éviter d'énerver mon psychopathe de meilleur ami, OK ? dit-il dans un petit sourire narquois.

- Qu'est-ce qu'il peut bien en avoir à faire qu'il m'arrive quelque chose, lancé-je balayant cette idiotie d'un revers de la main.

- Bah voyons, prends moi pour un jambon Barbie... me taquine-t-il avant de me faire un clin d'oeil. On se retrouve avant le lever du jour.

Je sais très bien qu'il n'en croit pas un mot et qu'il sait exactement ce qu'il se passe entre son meilleur ami et moi. De toute façon, je m'en fiche, ce n'était pas le but de la manœuvre. Ce que je voulais, c'était retrouver la facette que j'aime chez le clown de la bande. Et le voir sourire et finir par me taquiner, c'est exactement ce dont j'avais besoin pour me détendre.

Même si j'aurais aimé avoir Connor à mes côtés, le fait que ce soit Kyle me rassure davantage. Je sais qu'il ne fera rien de stupide mené par ses sentiments, mais il fera tout son possible pour veiller sur moi comme un grand frère.

Les garçons se checke le poing et Kyle part en direction de l'aile gauche pour se faufiler à travers le grillage qui a été rafistolé après notre précédent passage.

Du bout des doigts, je caresse le tissu en coton à l'endroit de mon tatouage pour me donner de la force tout en regardant l'établissement du coin de l'œil.

Tout droit vers l'enfer, sans passer par la case départ.

- Est-ce que tout va bien ? demande Mason en posant sa main sur mon épaule.

- Oui ça va, ne t'en fais pas, réponds-je gentiment en lui rendant son sourire.

Nous attendons quelques minutes dans le froid quand soudain, l'alarme incendie retentit et le feu vert est donné à Mason dans l'oreillette.

Il me fait signe de me tenir prête.

Je vois le personnel entraîner les patients à l'extérieur, alors je passe à mon tour par le grillage.

Plus j'avance vers la cour extérieure, plus les battements de mon cœur s'accélèrent. Mes mains tremblent et la crise de panique s'infiltre peu à peu dans mes veines.

Arrivant discrètement à proximité des autres personnes, j'essaie de repérer une silhouette familière tout en contrôlant ma peur, mais je ne vois personne. Aucune trace de Becky ou de Adeline.

Peut-être que Becky ne travaille pas aujourd'hui ? Est-elle en congé ? 

Où est passée mon amie ? 

Le sentiment de panique redouble quand je me demande si elle ne s'est pas fait kidnapper entre-temps.

Tu n'es parti que deux jours, arrête de paniquer, bordel, me crie ma conscience.

Elle n'a pas tort, je ne dois pas penser au pire. Je continue à scruter les alentours quand j'aperçois certains patients apeurés, d'autres en profitent pour prendre l'air et lever les yeux vers le ciel nuageux. La tête figée vers le ciel comme s'ils découvraient le paysage extérieur après un long moment et je me doute que ces personnes là viennent de l'isolement.

Faite que j'y échappe, mon Dieu si tu m'entends, ne me fait pas endurer ça.

Au bout d'une vingtaine de minutes, le bruit entêtant s'arrête et le personnel nous indique que c'était une fausse alerte et que nous pouvons regagner nos chambres.

- S'il vous plaît, retournez dans vos chambres dans le calme. Il n'y a plus aucun danger, donc merci de prendre votre temps et de suivre le personnel médical.

J'essaie de me frayer un chemin parmi la foule pour tenter de trouver une des deux femmes, mais toujours aucune trace d'elles.

Une boule se forme dans ma gorge quand je franchis les portes de l'hôpital. Je suis à nouveau coincée ici, enfermée dans l'antre de Satan...

- Mademoiselle Muñoz ? Que faite vous ici ? 

La voix grave qui résonne derrière moi me glace le sang. Elle parait chaleureuse mais après tout ce que j'ai entendu chez mon père, toute trace de doute s'est envolée et je ne ressens plus aucune compassion pour cet homme horrible. Tomber sur lui ce soir n'est vraiment pas une bonne nouvelle.

Je sais clairement ce que je risque et j'avais prié de toutes mes forces pour ne pas le croiser avant le déclenchement du plan.

Quand je dis que ça ne peut pas être pire, l'univers adore me prouver que j'ai tort.

- Dr Barocchi, dis-je en me retournant pour lui faire face. Je fais ce que le personnel nous a demandé. Je regagne ma chambre dans le calme. 

Il fronce les sourcils en se décalant pour laisser passer certains patients avant de revenir près de moi. 

- Je sais très bien que vous détestiez être ici. Pourquoi réussir à vous enfuir pour finalement revenir ? Vous n'auriez jamais dû remettre les pieds ici, lâche-t-il dans un murmure presque inaudible. 

Merde... Merde... Merde...

Il scrute les environs avant de rester figé sur une silhouette masculine que je peine à apercevoir dans le fond du couloir au niveau des bureaux. Son corps se tend et quand il se redresse, il se racle la gorge avant de dire. 

- Vous savez les conséquences de ce genre d'action, mademoiselle. Ce n'est pas parce que votre père est affluent que vous avez tous les droits, le règlement est le même pour tous les patients. 

Hébétée, je ne comprends pas ce qu'il raconte. Il avait l'air inquiet de me revoir ici pour je ne sais quelle raison, puis la minute d'après, il redevient distant, le visage neutre. 

Sachant que je suis vraiment dans une mauvaise posture, je tente le tout pour le tout avant qu'il soit trop tard. 

- Je sais ce que vous faites, le menacé-je pensant réussir à m'en tirer.

- Mais de quoi parlez vous ? demande-t-il le visage rempli d'interrogation. Je suis désolé, mais je ne suis pas celui qui donne les ordres, s'excuse-t-il avant de m'attraper le poignet. 

Sa réaction n'est pas du tout celle que j'espérais et la réalité me frappe en pleine figure. Je sais ce que ces mots signifient et les lianes épineuses viennent se resserrer autour de moi, faisant monter les larmes dans le coin de mes yeux. 

- Mmmh vous, interpelle-t-il un garde au loin avant de reposer ses yeux sur moi. Ne faite rien de stupide, Emilie, je ne voudrais pas devoir vous droguer.

Je prie pour que cette fois-ci la chance soit avec moi et que Kyle apparaisse, mais bien sûr, l'univers m'envoie un gros fuck en faisant apparaitre un vieux bonhomme trapu qui n'est définitivement pas mon ami.

- Emmenez mademoiselle Muñoz à l'isolement. Porte 42.

Bon... À première vue, la mission va durer plus de temps que prévu...

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