Chapitre 26

Emilie

Êtes-vous un imposteur, docteur ?

Ma question résonne dans le bureau du Dr Barocchi, déversant un froid glacial avec elle, pendant que j'étudie sa réaction, en observant mes ongles coupés à ras et dépourvus des jolies capsules en gel que j'aime tant porter habituellement. Assise confortablement sur le sofa en velours mauve, je balaie la pièce du regard.

Celle-ci est toujours impeccablement rangée. Les diplômes de psychologie accrochés au mur me narguent comme à leur habitude à chaque nouvelle séance, mais aujourd'hui la sensation est différente. Elle a un autre goût; celui de l'amertume qui remonte le long de ma gorge pour se glisser sur ma langue.

- Que voulez-vous dire ? demande le brun face à moi en m'étudiant à son tour. 

- Eh bien moi, je suis un imposteur. Depuis des années, je fais croire aux gens autour de moi que je suis une femme épanouie, avoué-je sincèrement, le regard plongé dans le sien. Le masque que j'ai appris à façonner jour après jour me permet de me sentir en vie, de ne plus être la jeune femme au cœur brisé et à l'âme anéantie. 

Le cours de quelques instants...

Il hoche la tête en écoutant, puis note certaines fois des choses sur son cahier posé sur ses genoux.

- Cette façon me permet de cacher qui je suis vraiment et de faire semblant d'être celle que tout le monde croit que je suis, finis-je par dire, un léger sourire aux lèvres.

La raison pour laquelle je me confie aujourd'hui n'est pas parce que j'ai envie de guérir ou autre excuse à la con que les médecins peuvent sortir en thérapie, mais tout simplement pour qu'il comprenne le message à travers mes aveux. Qu'il prenne conscience que si c'est vraiment celui que je crois, alors je suis sur sa piste et je ne tarderai pas à le démasquer.

- Je comprends ce que vous dites, mais n'est-ce pas usant de toujours faire semblant ? rétorque le psy en esquissant un sourire bienveillant, le même qu'à son habitude.

Cette manière qu'il a de prendre à cœur la détresse de ses patients et cette bienveillance qui émane de tout son être me fait dire qu'il ne peut pas être celui dont Lucia a tant peur. Je dois forcément me tromper, mais je me rappelle aussi qu'il est facile de montrer aux gens ce que nous voulons. Il est si simple de se faire passer pour ce que nous ne sommes pas. 

La preuve avec moi...

Mes yeux parcourent sa silhouette et je reste focalisée sur son regard. Ses iris vert forêt tachetés de petits éclats d'ambre me fascinent. J'espère sincèrement que mon intuition me joue des tours, car je n'imagine pas cet homme être celui qui est à l'origine de la disparition de certaines de ces patientes. Il a tout d'un homme charmant. Il est bienveillant, toujours à l'écoute et il aime son métier. Il est souriant et je crois ne l'avoir jamais entendu prononcer un seul mot déplacé envers un patient ou le personnel. Mais si ce n'est pas lui, alors qui d'autre ?

Le moment de divagation de Ruby tourne en boucle dans ma tête et il y a quelque chose qui ne colle pas. Elle a parlé de damnation et de paradis juste après avoir répété ses yeux. Il n'y a rien à voir avec les siens. Ils sont tellement chaleureux et tellement... Rares. 

Avait-elle les idées claires ? Faisait-elle vraiment référence à la couleur des yeux du soi-disant méchant ou parlait-elle d'autre chose ? Et puis je me rappelle du soir où nous nous sommes croisés après ma fuite avec Connor.

- Je ne sais pas, docteur, à vous de me dire ? Est-ce que ça vous arrive de... roder tard le soir dans les couloirs de cet hôpital, car moi oui, certaines fois je me retrouve perdue dans l'un d'eux et cet endroit est... Lugubre.

Un silence lourd s'installe dans le bureau, seulement bercé par les horribles tics tacs de l'horloge accrochée au mur derrière le médecin. Il pose son stylo puis se penche un peu plus vers moi, déclenchant un désagréable frisson le long de mon échine. Et s'il comprenait que cette fameuse nuit, je n'étais pas si déboussolée que ça, comment va-t-il réagir ? 

Je ne suis plus très sûr de vouloir jouer à la détective là tout de suite.

- Avez-vous repris votre traitement ? demande-t-il en plissant ses yeux pour détailler mes faits et gestes. Je vous trouve, comment dire... Vous n'êtes pas comme d'habitude.

Le frisson continue son chemin en hérissant les petits cheveux dans ma nuque et la peur me tord le ventre. Si jamais il est vraiment le méchant loup et qu'il comprend que je suis au courant, qu'adviendra-t-il de moi ? Est-ce que je disparaitrai comme les autres femmes ? Que deviennent-elles une fois à l'extérieur de ce bâtiment ?

Je commence à perdre mes moyens et hésite à m'enfuir sans continuer cette conversation. Mais une partie de moi me rappelle Lana et Marie et je revois la détresse combinée à la folie dans le regard de Ruby. Je dois savoir, peu importe ce qui se passera par la suite.

- Répondez à la question, s'il vous plaît, docteur.

Il se racle la gorge et passe sa main dans ses cheveux comme s'il était mal à l'aise par la tournure qu'a pris cette discussion.

- Non... Pas vraiment, dit-il au bout d'un moment. Mon service se termine généralement vers dix-neuf heures, mais il m'arrive... enfin... de rester des fois un peu plus tard, mais ça n'arrive pas souvent, se défend-il d'une voix hésitante.

Pas souvent, pourtant cette nuit là tu étais là...

Je reste silencieuse en l'observant, et j'ai l'impression que les rôles se sont inversés. Lui qui se confie et moi qui étudie si réellement ce que le patient en face de moi dit est vrai ou faux. Sa confidence semble le déranger, il se sent mal à l'aise en m'avouant rester parfois tard le soir et je ne peux pas croire que cet aspect soit celui d'un homme mauvais, mais quelque chose en moi refuse de se détendre. Pourquoi est-il nerveux en avouant rester quelques fois tard le soir ? Que cache-t-il exactement ?

Puis il reprend la parole d'une voix douce et posée, comme si nous n'avions pas eu cette conversation juste avant.

- Mademoiselle Muñoz, il est parfois normal de ressentir de l'incertitude ou des moments de vulnérabilité. Parfois, notre esprit projette nos peurs et nos doutes sur les autres. Mais en réalité, il n'y a aucune crainte à avoir, car rien n'est vraiment réel.

J'ai envie de le croire innocent, vraiment. Mais cette petite voix dans ma tête continue de murmurer des doutes et je me sens de plus en plus perdue. Qui suis-je pour savoir si en face de moi se trouve un honnête homme ou un monstre de la pire espèce ? Je ne suis pas psy bordel. Pourquoi je me suis embarquée là-dedans ?

Alors, je décide de ne rien dévoiler de plus et de ne pas poser d'autre question au risque qu'il me trouve réellement bizarre ou même suspecte. S'il est le méchant de l'histoire, je ne veux pas devenir sa nouvelle cible ou éveiller ses soupçons. Je dois continuer d'agir dans l'ombre pour pouvoir le coincer au bon moment.

Après quelques questions inintéressantes, la séance se termine et je prends congé auprès du Dr Barocchi encore plus perdu que je l'étais avant de pénétrer dans son bureau, mais encore plus déterminée à découvrir la vérité.

En marchant dans le couloir, je ne peux m'empêcher de me demander si mes soupçons sont fondés ou si c'est simplement mon esprit troublé qui cherche des réponses là où il n'y en a pas. 

Je ne suis pas sûr d'avoir les épaules pour toute cette histoire. Je suis en effet la fille d'un des plus grands trafiquant d'arme du pays et le danger a toujours bercé notre quotidien, mais mon père m'a protégé de cette vie dangereuse. Il m'a gardé à l'abri dans une jolie cage dorée, mais aujourd'hui je suis peut-être justement au cœur d'un gros danger dont il n'a aucune connaissance et visiblement il ne sera pas là cette fois pour me protéger.

Je dois agir seule et ne compter que sur moi-même. Il faut que je prenne le temps de réfléchir et d'être sûr des informations que j'ai en ma possession avant d'accuser un homme qui est peut-être innocent. 

Je quitte la salle commune où j'ai partagé mon repas avec moi-même. Depuis que Ruby a refait surface, elle me fuit comme la peste, et j'avoue que Adeline me manque beaucoup. J'ai essayé de lui parler pour faire revenir mon amie, mais son aura de psychopathe n'a fait que me heurter à une âme vide. Sans fond, comme un immense puits. Et je me rappelle des mots que la jolie rousse m'avait dits en me demandant de rester loin de Ruby. Alors je n'ai pas insisté. 

Je traine des pieds sur le carrelage gris en me dirigeant vers ma chambre, les idées moroses en tête. J'en ai ma claque d'être ici. J'ai envie de sortir, de me sentir libre et d'oublier toute cette foutue histoire du grand méchant loup tout droit sorti d'un mauvais conte. 

Malheureusement, c'est la réalité et je suis bloquée ici. Il ne reste plus longtemps avant que le protocole soit levé et que je puisse à nouveau voir mes proches. Et à cette pensée, différentes sensations se bousculent à l'intérieur de moi.

En premier, l'excitation d'enfin revoir mes proches et de pouvoir avoir un semblant de vie normal qui me sortirait de ce cauchemar ambiant, sauf qu'il y a aussi la peur mélangée à la rancœur. Et si personne ne venait ? Ils m'ont envoyé ici sans se donner la peine de m'en parler, alors pourquoi perdraient-ils leur temps à rendre visite à une folle ? 

J'ai aussi peur de la réaction que j'aurais en apercevant ce qui sont responsables de mon internement. Est-ce qu'en voyant leur visage, je sauterais dans leur bras, soulagée de pouvoir les apercevoir de nouveau ou alors aurais-je envie de les faire souffrir comme moi j'ai souffert depuis que je suis ici ?

J'ai passé le reste de l'après-midi dans ma chambre, à tourner en rond, en m'ennuyant à mourir.
Le soleil s'est une nouvelle fois barrer, me laissant avec un ciel triste et pour couronner le tout, il s'est mis à pleuvoir à torrent. Je n'ai donc pas pu aller prendre l'air dans la cour.

Assise sur mon lit, je regarde le jour se coucher doucement pour laisser place à la nuit. La lune va de nouveau prendre place au sommet. Rayonnant comme la gardienne du ciel, temporairement.

Le couvre-feu ne va pas tarder à être annoncé et je souffle en me disant que demain est une nouvelle journée et que je devrais dormir. Je dois avoir les idées claires pour réfléchir à toute cette histoire et surtout trouver la meilleure façon d'agir pour mettre un terme à tout ça.

Après de longues minutes à admirer le ciel à travers les lames métalliques de mes volets, je sens la fatigue pointer le bout de son nez. Mes paupières commencent à être lourdes. 

Je m'allonge confortablement en faisant abstraction des draps rêches et du sommier qui grince à chacun de mes mouvements et je ferme les yeux.

Soudain, un bruit me fait sursauter et m'arrache de mon début de sommeil. Je ressens une présence alors je me retourne et aperçois une silhouette se tenant debout devant la porte de ma chambre.

Habillé de vêtements sombres qui mettent en avant son corps saillant et dessinent la musculature de ses bras, les épaules droites et tendues. Ses cheveux, plus longs sur le dessus de son crâne, retombent sur ses côtés rasés et quelques mèches barrent son regard sombre. La lueur de la lune laisse entrevoir sa mâchoire carrée sous ses lèvres charnues. 

Ce n'est pas vrai que même quand je ne suis pas défoncée j'imagine encore sa présence. Maudite hallucination. 

- Salut Blondie, sussure-t-il en retirant les mains de ses poches. 

En entendant sa voix rauque, j'ai un mouvement de recul et me colle contre le mur, le cœur battant la chamade. Est-ce qu'il est vraiment là ? 

Quand il commence à s'approcher doucement de moi, je comprends que ce n'est pas du tout une hallucination et qu'il est une nouvelle fois à l'intérieur de cet hôpital. 

Alors que je lui avais interdit de revenir.

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