Chapitre 20

Emilie

Les rayons du soleil filtrés par les volets métalliques caressent délicatement mon visage et illuminent peu à peu les murs ternes de ma chambre. Allongée sur le dos, quelques mèches de cheveux couvrent mon visage et me chatouillent. Je veux les retirer, mais quelque chose retient mon bras droit. Je papillonne des yeux pour adapter ma vue à la lueur du jour, quand j'aperçois de longs cheveux roux, mélangés au blond des miens.

Adeline est allongée à mes côtés dans mon petit lit inconfortable. Les souvenirs d'hier soir me reviennent en mémoire : mon échange avec Connor tout droit sorti de mon imagination, la venue d'Adeline - enfin Lucia - dans ma chambre en entendant ma détresse et ses révélations.

D'ailleurs, je ne comprends toujours pas ce qu'elle a voulu dire, par se cacher du grand méchant loup...

Toutes les deux trop épuisées, nous nous sommes rapidement endormies, blotties l'une contre l'autre. Elle, par peur de se faire débusquer, et moi, pour soulager mon cœur de ce trop-plein d'émotions.

Mais la façon dont elle m'a parlé hier tourne en boucle dans ma tête. Comme l'impression d'avoir eu une petite fille en face de moi dans le corps d'une jeune femme. Peut-être est-ce ça, la raison de sa présence dans cet endroit. Elle a peut-être des troubles de la personnalité ou mentaux.

Le jour commence réellement à se lever, alors je décide de la réveiller délicatement pour qu'elle puisse retourner dans sa chambre avant que quelqu'un s'aperçoive qu'elle a passé la nuit ici.
Les règles sont claires, aucun patient ne doit être en dehors de sa chambre après le couvre-feu, au risque qu'il arrive un accident et que le personnel hospitalier ne puisse pas intervenir sur un patient disparu.

Mais comment dois-je l'appeler ? Adeline ou Lucia ?

Après une courte hésitation, je déplace ses longs cheveux de son visage, révélant son petit nez en trompette et ses tâches de rousseur.

- Lucia, Lucia, réveilles toi... murmuré-je tendrement pour la réveiller.

À son tour, elle papillonne des yeux pour s'accommoder à son environnement et quand elle m'aperçoit, elle ouvre grand les yeux.

- Emilie, souffle-t-elle perdue.

Je souris avant de me redresser pour m'asseoir sur mon lit, faisant grincer le sommier en ferraille.

- Il faut que tu retournes dans ta chambre avant qu'ils se rendent compte que tu as dormi ici.

Elle se redresse à son tour, passe une main dans sa longueur pour les discipliner, toujours l'air paumée.

- Je ne... Je ne comprends pas ce que je fais là.

- Tu es venue hier soir dans ma chambre pendant que je faisais une crise et tu m'as dit que tu t'appelais Lucia et que tu te cachais du grand méchant loup.

Elle dévie son regard du mien pour le poser sur ses ongles vernis noir, tout à coup mal à l'aise par ce que je viens de lui dire.

- Oh.. euh.. Tu as rencontré Lucia.. Je suis ... vraiment désolée Émilie, je ne...

- Sshhhh, l'interrompé-je pour la rassurer en relevant son menton. Ne t'en fais pas, tout va bien, mais il va falloir que tu m'expliques ce qui se passe, car j'avoue être légèrement perdue, avoué-je en laissant échapper un petit rire discret.

Elle me sourit timidement et hoche la tête avant de me promettre de tout me raconter au repas du midi avant de s'éclipser aussi rapidement et silencieusement que la veille.

Midi tapant, je retrouve ma nouvelle amie dans la salle commune, près de l'unité de soins.
J'ai appris à aimer cet endroit où nous nous retrouvons tous ensemble. Cela permet de sortir un peu de cette chambre que je ne peux plus voir en peinture.

Cependant, certains patients, plus difficiles que d'autres, prennent leur repas dans leur chambre, mais la plupart sont tous ici.

Adeline me fait signe de la rejoindre et nous nous dirigeons vers le buffet où nous devons faire la queue pour que le personnel de restauration nous serve.
Nos plateaux garnis, nous prenons place dans le coin de la salle, sur une petite table à l'écart des autres. Comme à notre habitude.

- Alors dis moi tout, qu'est-ce qui se passe dans cette jolie petite tête ?

Face à ma question, elle panique et regarde à droite et à gauche comme si quelqu'un la surveillait. J'imagine que ses traumatismes n'ont pas été facile pour elle au fil des années.

Les gens sont souvent méchants avec les personnes qui juge différentes. La différence fait peur. Alors au lieu d'essayer de la comprendre, généralement ils la rejettent.

- Je suis atteinte de TDI. Trouble dissociatif de l'identité, m'informe-t-elle avant de continuer. Hier, tu as fait la rencontre de Lucia, une petite fille de dix ans. Il y a Sophia, Elisabeth et aussi Ruby, mais si tu veux un conseil, reste bien loin d'elle. Elle n'est pas très... comment dire... sociable.

La rousse continue de m'expliquer à quoi elle est réellement confrontée chaque jour, depuis l'âge de ses douze ans, après avoir subi des violences sexuelles à répétition par le petit ami de sa mère.

Ses multiples personnalités, appelées alters, ont leur propre prénom, âge, histoire personnelle et caractéristique. Elle peut aussi éprouver des lacunes de mémoire, quand elles prennent possession de son corps.

- C'est pour ça que je ne savais pas pourquoi j'étais dans ta chambre ce matin. Lucia a dû prendre possession de mon esprit dans la nuit.

- Je comprends mieux maintenant, dis-je en lui souriant. 

Elle commence à jouer avec la pointe de ses cheveux nerveusement avant de détourner le regard.

- Tu dois me trouver étrange. Tu sais si tu ne veux plus me parler...

- Hey, la coupé-je avant qu'elle ne s'imagine quoique ce soit. Ne dit pas n'importe quoi, tu es mon amie. Peu importe de qui Lucia, Sophia, Elisabeth, Ruby ou toi j'ai en face de moi. Je t'apprécie et ça ne changera pas. 

Tout en relevant sa tête vers moi, ses yeux se mettent à briller. Puis, elle se jette à mon cou. Son geste me donne du baume au cœur et nous nous serrons fort pendant un instant pendant que je lui caresse le dos pour la réconforter.

- Merci Emi.

- Bon il me reste quand même une question. Qui est ce fameux méchant loup dont Lucia a autant peur ?

Face à ma question, le visage de la rousse devient livide. Un sentiment de terreur se reflète dans ses iris et elle panique à nouveau.

Comprenant que le sujet est tabou, je décide de ne pas la faire paniquer davantage et change de conversation. Mais je garde tout de même en tête cette question, car au vu de sa réaction, je suis sûr qu'il se passe quelque chose de plus inquiétant que je l'imagine.

Nous continuons à manger dans le silence, quant au fur et à mesure des gens qui défilent devant nos yeux, je remarque qu'encore une fois une personne manque à l'appel. Marie.

Pourtant, je l'ai toujours vu prendre le repas dans la salle depuis que je suis ici. Pas un seul jour sans exception.

- As tu remarquais que Marie n'est pas là aujourd'hui ? C'est bizarre non ? demandé-je à Adeline, qui se retourne pour vérifier.

Marie est une jeune femme de vingt-deux ans, qui a fugué de sa ville natale au Brésil pour venir vivre ici à New York. Mais après avoir très mal vécu son arrivée, en tombant sur les mauvaises personnes au mauvais endroit, elle s'est plongée dans une forte dépression, ce qui l'a conduit ici.

- Peut être qu'elle ne se sentait pas bien et qu'elle est restée dans sa chambre.

Ou peut-être qu'elle a, elle aussi, subitement disparu. Comme Lana, il y a quelques jours. Je me rassure en me disant que mon amie a sûrement raison, mais j'irai vérifier par moi-même.

Quelques minutes plus tard, nous décidons de quitter la salle pour se rendre dans sa chambre. Nous longeons le long couloir désert et passons devant une multitude de portes jusqu'à arriver devant la 102. La chambre de Marie. Je pousse délicatement la porte du bout des doigts, dévoilant une pièce totalement vide. Il n'y a pas âme qui vive, comme si personne n'avait séjourné ici.

Je regarde à nouveau le numéro de chambre, pensant que je me suis tromper, mais c'est bien la bonne chambre. 

Inquiète, nous interpellons une infirmière qui passe par là pour lui poser directement la question.

- Excusez moi, où est passé la femme qui était dans cette chambre ?

L'infirmière se rapproche de nous avant de scruter la chambre vide.

- Je suis désolée, mais je suis nouvelle et je ne connais pas encore tous les patients, s'excuse-t-elle en se tournant à nouveau vers nous. Mais à mon souvenir, cette chambre était vide. On m'a demandé de la préparer pour l'arrivée d'une nouvelle patiente.

Ce n'est pas possible. Je suis sûr qu'elle était encore là hier. Où a-t-elle pu aller ? Peut-être que sa famille est venue la récupérer. Finalement, je ne la connaissais pas très bien, mais il me semble qu'elle n'avait plus personne.

Avec Lana, cela fait déjà la deuxième personne qui disparaît sous nos yeux, sans laisser de trace.

Intriguée, je décide de référencer tous les patients dans mon carnet que Becky m'a donné à mon arrivée. Je suis persuadée d'avoir vu juste, en prétendant que certains patients - essentiellement des femmes - semblent s'évaporer du jour au lendemain. 

Durant toute l'après-midi, nous décidons de rester dans la salle commune pour noter les noms au fur et à mesure des passages. Nous décidons aussi de noter quelques caractères physiques pour s'assurer de la véracité de nos informations, si besoin. 

Sauf que je n'arrive pas à me contenter de ça. Alors, je décide de poser des questions discrètes aux autres patients pour savoir si ils auraient vu Lana ou Marie aujourd'hui, mais nos interrogations sont souvent accueillies par des regards méfiants ou des réponses évasives. Pareil avec les infirmières, certaines sont même virulentes au vu de nos questions, alors nous décidons de faire ça dans la discrétion. 

Mais plus nous creusons, plus nous nous heurtons à un mur de silence. Nous n'avons récolter aucune informations fiable et la frustration me compresse la poitrine.

En fin de journée, sentant une jolie migraine fleurir dans le coin de ma tête, je décide de raccompagner Adeline vers sa chambre, avant de rejoindre la mienne. 

Je la sens vaciller quand elle ouvre la porte. Elle est prise de vertiges et j'ai juste le temps de la maintenir avant qu'elle s'écroule dans mes bras. Je passe le pas de sa porte tant bien que mal et l'allonge sur son lit avant de me tourner pour aller chercher une infirmière quand une main agrippe mon poignet.

Je me penche vers Adeline, comprenant qu'elle reprend peu à peu connaissance. Elle papillonne des cils, mais quand elle pose les yeux sur moi. Ce ne sont pas la lueur de ceux de mon amie. 

Je fais le lien avec ce qu'elle m'a dit plus tôt et je me rends compte qu'une tout autre personnalité a pris le dessus. La lueur de son regard est triste et sans vie. C'est exactement cette même lueur que j'avais aperçue le premier jour où j'ai croisé son regard.

Elle presse un peu plus mon poignet pour m'inciter à me pencher avant de murmurer d'une voix tremblante.

- Elles sont emmenées quelque part. Un endroit dont personne ne revient...

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