Riley

Kyle me dévisage dubitatif et son regard ne cesse de switcher entre la personne au fond de la pièce et moi. En voyant la surprise s'afficher sur son visage angélique, je suis sûre que son cerveau se pose mille et une questions.

Tout tourne toujours autour du sexe avec lui, alors quand je lui ai dit que je n'étais pas seule, je savais pertinemment qu'il pensait qu'un homme avait partagé ma nuit. Pourtant il était à des années lumière de la réalité. Donc quand la personne qui dormait paisiblement dans mon lit, débarque en pyjama dans la salle à manger et qu'il se rend compte que ce n'est pas un homme mais une petite fille de huit ans, qui me ressemble comme deux gouttes d'eau, il est totalement perdu.

Une expression de soulagement mais aussi d'incompréhension se dessine sur son visage. Il reste muet et doit être en train d'imaginer ou de calculer notre différence d'âge. Si nous étions dans un dessin animé, je suis sûr que nous verrions sortir de la fumée de ses oreilles.

Il doit sûrement se demander qui elle est ? Est-ce ma fille ou ma sœur ?

- On vous a pas appris à respecter le sommeil des autres ? bougonne-t-elle de sa petite voix encore endormie avant de se frotter les yeux.

- Je vois qu'elle non plus n'a pas l'air du matin, constate Kyle sur le ton de l'ironie.

Et je crois que j'aime bien cette version. La version du Kyle mal à l'aise, qui cherche ses mots et ne trouve aucune blague douteuse à dire. Alors, je décide de le taquiner encore un peu et surtout de me venger pour l'ordre glissé en cachette au garde qui me donne accès à la propriété.

Même s'il ne l'a jamais avoué, je reste persuadée que cet ordre vient de lui.

Je me retourne, lui souris de toutes mes dents avant de lui répondre : 

- Oui tu connais le dicton, les chiens ne font pas des chats.

Les yeux du blond s'écarquillent comme deux soucoupes en dévisageant la petite fille et il ouvre la bouche puis la referme, deux fois, sans pour autant prononcer un seul mot.

De mon côté, je pince mes lèvres pour éviter de rire, mais je ne peux m'empêcher de pouffer dans mon poing, alors je décide de mettre fin au malaise en ajoutant :

- Tu connaîtrais notre mère, tu comprendrais d'où vient notre mauvais caractère.

Il continue de me fixer en plissant les yeux et en essayant d'assimiler mes mots, puis quand il comprend le sous-entendu, ses épaules se relâchent instantanément, exprimant son soulagement.

Une légère frustration se répand dans mon corps et je me demande : Est-ce que ce serait si grave si ça avait été le cas ? Moi, Riley Collins, maman d'une petite fille de huit ans ? Est-ce que ça rend une jeune femme moins intéressante, ou moins attirante ? Je veux dire, je sais qu'il me taquine comme il le fait avec toutes les filles et que je ne tenterais plus jamais une relation avec des mecs comme lui, mais je me demande si le fait d'avoir un enfant en étant une jeune femme est à ce point inenvisageable ou seulement repoussant. 

- Hein... Oh euh ... c'est ... C'est ta petite sœur ? bégaye-t-il avec une pointe de soulagement dans la voix.

Fièrement, je tends la main vers ma petite sœur, qui est restée près de la cuisine à côté de l'ilot. 

- Oui je te présente Jade, ou plutôt grincheux pour le matin, rié-je après qu'elle m'ait tiré la langue, les yeux toujours à demi clos. 

- Jade, je te présente Kyle, un... collègue de travail.

Hésitante, elle finit par s'approcher de moi et me faire un câlin - notre rituel du matin - quand je vivais encore chez nos parents. Chaque journée commençait de la même manière. Nous nous serrions fort et je lui caressai délicatement ces longs cheveux châtains. Maintenant que je ne vis plus avec elle, ce rituel se fait rare, mais dès que mon emploi du temps me le permet, je la prends avec moi et nous profitons au maximum l'une de l'autre.

Ma sœur est confortablement blottie dans mes bras, profitant des caresses dans ses cheveux, quand je la sens se décaler légèrement vers la droite. Elle relève le menton pour voir l'homme qui se tient à côté de moi, assis sur le canapé et de sa petite voix douce et timide, elle lui dit bonjour.

Face à cette bouille enfantine, le sourire du blond s'élargit et une étrange sensation se crée à l'intérieur de moi, mais je la chasse rapidement en déviant mon regard avant qu'elle ne prenne trop de place.

Je déteste les bourreaux des cœurs, car tôt ou tard ils finissent par vous trahir.

Je m'éclaircis la gorge et je lui demande si elle veut déjeuner. Ma sœur acquiesce et se décale pour que je puisse me lever et qu'elle prenne ma place sur le fauteuil. 

J'avance vers la cuisine et m'attelle à lui préparer des céréales, quand j'entends Kyle lui proposer les viennoiseries qu'il a apportées.

Celles susceptibles d'être fourrées à la weed. 

Bien sûr, toute contente, elle accepte et je le dévisage en fronçant les sourcils. Je suis persuadée qu'il en est capable et même qu'il l'a déjà fait par le passé. Il se lève du canapé et lève les mains en signe de reddition.

- Je t'assure qu'il ne sont pas fourrés à la W.E.E.D, épelle-t-il chaque lettre, comme si Jade n'avait pas l'âge de les rassembler et comprendre le mot. Enfin, sauf ça, dit-il en désignant les pains au chocolat. Ils sont forcément fourrés avec du chocolat, sinon ça ne s'appellerait pas comme ça.

Il me regarde tout content de lui et je ne peux m'empêcher de sourire. Cet homme est un énergumène. Je le trouve immature et très souvent agaçant, mais il est aussi super sexy.

Vraiment très sexy.

Un physique ravageur avec un visage angélique. Sa légère barbe blonde vient épouser parfaitement les courbes de sa mâchoire carrée et ses yeux bleu océan vous font voyager simplement en plongeant son regard dans le vôtre.

Il est très séduisant et dégage un charisme à tomber, mais il me rappelle aussi tellement mon passé. Et je me suis jurée de ne jamais retomber dans les filets d'un homme comme lui.

Je n'y survivrai pas une nouvelle fois...

Ma sœur me sort de mes pensées en s'installant sur l'un des tabourets de bar à côté de Kyle et elle commence à piocher dans les sacs en papier, à la recherche de sa viennoiserie préférée. 

- Merci... Kyle, dit-elle entre deux bouchées de son muffin chocolat, les yeux pétillants.

Il se penche à son niveau pour lui décrocher un clin d'œil, avant de lui ébouriffer ses cheveux châtains. 

- De rien, mini geek.

- Mais.... rale-t-elle la bouche pleine, en essayant de lui échapper. 

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Un peu plus tard, le bruit de mon ordinateur indique la fin du processus de décryptage.

Kyle qui est en train de faire le pitre avec ma sœur ne l'a pas entendu et il ne me remarque pas non plus, quitter la cuisine pour rejoindre mon bureau. Je prends place sur mon fauteuil pour éplucher les résultats. Je déverrouille mon ordinateur et une notification apparaît sur l'écran : L'accès est autorisé.

Mon cœur s'emballe et mes doigts commencent à pianoter sur mon clavier. 

Ni une ni deux, je plonge dans les données nouvellement découvertes et mes yeux parcourent les informations. Une multitude d'infos ne cesse de s'afficher sur l'écran, jusqu'au moment où je remarque le nom d'un lieu à Manhattan. Ce lieu m'est familier, car je l'ai déjà vu affiché sous mes yeux il y a quelques semaines, quand je cherchais notre mystérieux client : Alexander Barocchi.

Cependant, je ne comprends pas le lien avec notre amie. Emilie n'a jamais fait d'études dans la médecine et n'a jamais - à ma connaissance - était dans cet hôpital psychiatrique. Pour ce qui concerne le réseau, il ne peut pas non plus la connaître, car Marco ne l'a jamais impliqué dans les missions.

Allez Riley, réfléchis...

Le regard dans le vide, je me remémore tous les détails que j'ai découverts au sujet du médecin - et gangster à ses heures perdues - et que j'avais rapporté à Marco et Emmett après le Nouvel An.

D'un coup, tout s'éclaire dans mon esprit. Les pièces du puzzle, éparpillées et confuses jusqu'à présent, s'assemblent en une image claire. La discussion entre mon boss et son bras droit, la détermination de Marco au sujet de découvrir ce que fabrique réellement Alexander et de trouver un moyen de l'approcher.

Mais il n'aurait quand même pas envoyé sa fille sans aucune information. Pourquoi l'envoyer au front alors qu'elle ne sait même pas qui elle doit traquer ou craindre ? Et quel est le rapport avec son traumatisme et les confidences de Connor à Emmett. 

Des parts d'ombres restent à éclaircir mais je suis persuadée que tout est lié.

Je me relève d'un bond, les yeux brillants de détermination.

- Oh putain de merde. J'ai compris ! m'exclamé-je tout haut.

Je plaque aussitôt ma main sur ma bouche, en réalisant ce que je viens de dire.

- Enfin punaise de crotte, je voulais dire...

Ils me regardent tous les deux surpris, et ma sœur souffle avant de poser ses petites mains sur ses hanches.

- Riley, j'ai huit ans je ne suis plus un bébé, je sais ce que sont les gros mots. Et de toute façon maman en dit tout le temps.

- Bah oui Collins, tu vois bien, mini geek n'est plus un bébé, confirme le blond se foutant ouvertement de moi. 

Oh toi, tu ne perds rien pour attendre....

- Je sais où est Emilie et je crois savoir ce qu'ils ont prévu... Par contre, il va falloir que tu appelles Connor tout de suite, car on va avoir un problème. 

Kyle se relève aussitôt du tabouret de cuisine, beaucoup plus sérieux tout à coup et l'inquiétude commence à dessiner ses traits.

- Comment ça ? Qu'est-ce que tu as découvert, où est elle ?

Je lui fais les gros yeux en regardant Jade pour lui faire comprendre que je ne peux et ne veux pas en discuter devant elle. Ma famille n'a aucune idée de ce que je fais réellement de mes journées depuis que j'ai quitté le cocon familial. Je veux absolument les tenir à l'écart de tout ce danger, et surtout ma petite sœur.

- Je ne peux pas parler ici, murmuré-je discrètement pour ne pas que Jade entende. Mais il faut qu'on aille à la propriété, qu'on y aille tous...

Je me sens coupable de devoir la ramener chez nos parents si vite, alors que je lui avais promis de passer ce dimanche avec elle. Je pars rapidement me changer, j'enfile un jogging et un sweat à capuche. Je rassemble ses affaires et m'accroupis à sa hauteur en lui promettant que la semaine prochaine, elle viendra dormir tout le week-end à la maison. Son regard triste s'adoucit un peu à cette pensée et dans un murmure, tout à fait audible, elle me demande si Kyle sera présent lui aussi.

Ce qui, bien évidemment, n'échappe pas au blond.

Elle a l'air de beaucoup l'apprécier, ce qui ne m'étonne pas tant que ça connaissant Kyle. Malgré le milieu dans lequel il excelle, c'est un homme doux et bienveillant et surtout tout en connerie, alors pour une enfant de huit ans, que demander de plus.

Ils ne se connaissent pas, mais ont l'air déjà tellement complices.

Debout devant ma porte d'entrée, il me scrute d'un regard insistant en attendant lui aussi ma réponse mais j'esquive la question en feignant d'être pressé et nous sortons de mon appartement.

Après avoir déposé Jade chez mes parents, nous sommes de nouveau dans le 4x4 en direction de la propriété. Mon cerveau tourne toujours à mille à l'heure pour essayer de faire le lien entre Barocchi et Emilie quand une sonnerie retentit dans l'habitacle.

Kyle appuie sur une commande au volant quand le nom de Connor apparaît sur la console centrale.

- Winters, s'agace le concerné au bout du fil. Vous êtes où ?

- Salut Connor, dis-je avant que Kyle ne réponde.

- Ouais salut la geek, Vous comptez me dire pourquoi je dois rester à la propriété ou vous allez jouer aux devinettes encore longtemps, rage-t-il en perdant patience.

- On va tout t'expliquer mais promet nous que tu ne fera rien de stupide avant qu'on arrive, précise Kyle en me jetant un coup d'œil.

- C'est si grave que ça ? Elle est vivante au moins, ne me dites pas q...

- Elle est vivante ne t'en fait pas, le coupé-je pour le rassurer, sentant qu'il est au bord de la crise de nerf. Tu te rappelles de notre client mystère ?

- Barocchi ? Oui, quel est le rapport ? Abrège la geek, j'ai dit stop les devinettes !

Je prends une grande inspiration pour essayer de calmer le stress qui remonte le long de ma colonne vertébrale et regarde une nouvelle fois le blond à mes côtés. Nous savons tous les deux que lorsque son meilleur ami saura ce que son chef a entrepris, il deviendra incontrôlable.

Je lui explique alors les recherches que j'ai effectuées après leur livraison avec ce fameux Alexander, les résultats que j'ai découverts et la conversation que j'ai eue avec Emmett et Marco.

- Tu te fous de ma gueule ? braille-t-il à travers son téléphone ce qui fait résonner les enceintes du véhicule. Pourquoi je ne suis pas au courant de ça ?

Puis s'ensuis un blanc, il ne parle plus et son silence est encore plus inquiétant que lorsqu'il s'énerve.

Quelques secondes s'écoulent et toujours aucun mot.

Nous sommes tous habitués au silence du brun, mais après tout ce que je viens de lui dire, je m'attendais à plus de réactions de sa part. C'est encore plus inquiétant. 

Je pense qu'il doit être en train d'assimiler les informations qu'on vient de lui balancer à la figure.

- Si je récapitule, reprend-il d'une voix un peu plus calme, mais tout aussi flippante. Emilie est dans un hôpital psychiatrique à Manhattan.

- Mmmh..Mmmh. acquiescé-je en hochant la tête comme s'il pouvait me voir.

- Où travaille ce fameux Barocchi...

- Oui, c'est ça.

- Emmett m'a dit que Marco avait envoyé Emilie quelque part pour son bien. Qu'après mes révélations, il ne pouvait pas laisser sa fille se détruire plus longtemps. Alors pourquoi ne pas l'avoir envoyé dans un autre centre, celui de Brooklyn par exemple ?

Je n'en ai aucune idée - ou peut-être que si - et c'est ça le problème. La raison pour laquelle il l'a envoyée là-bas...

Kyle coule un regard de soutien dans ma direction et je prends mon courage à deux mains.

- Je ne pense pas que son traumatisme soit la raison pour laquelle elle est là bas, avoué-je toujours stressée de ce que cette révélation engendrera au sein du réseau. Au sein de cette famille. Je pense plutôt que tout ça est simplement un prétexte pour infiltrer l'hôpital et comprendre réellement les intentions de ce médecin.

Je regarde une nouvelle fois Kyle attendant la réaction de Connor, mais il ne dit rien. Encore une fois, il ne réagit pas.

Soudain, un bip retentit dans la voiture indiquant que le brun a mis fin à l'appel. Merde.

- Fait chier, jure le blond à côté de moi.

Ses doigts se resserrent autour du volant, sa mâchoire se crispe et je peux sentir son inquiétude qui émane de tous ses pores de ma place.

Nous empruntons la voie rapide à vive allure, mais il rétrograde pour doubler la voiture devant nous et se remet à accélérer. Notre vitesse avoisine les 200 km/h quand nous prenons la sortie et Kyle ne ralentit pas. Au contraire, il entreprend de slalomer entre les véhicules.

La panique et l'adrénaline se mélangent à l'intérieur de moi. J'aime la vitesse, mais j'aimerais aussi arriver en vie à la propriété et non pas dans un corbillard.

- Kyle ralentit... Nous ne serons pas utiles si nous prenons un accident.

- Oh, je t'assure que si nous n'arrivons pas à temps, l'accident sera le cadet de tes soucis. Alors fait-moi confiance et accroche-toi.

Bordel...

J'espère qu'il n'est déjà pas trop tard...

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