Chapitre 13
Emilie
La carrure de l'homme qui s'avance vers moi a l'air athlétique sous sa longue blouse médicale. Sa stature est droite, majestueuse et ses cheveux bruns légèrement ondulés sont coiffés méticuleusement sur le haut de son crâne.
- Bonjour Mademoiselle Muñoz, je suis le docteur Barocchi. Comment vous sentez-vous?
Complètement déchirée donc tout baigne.
Mes yeux sont lourds et mes mouvements lents, comme si j'étais enveloppée dans un brouillard épais. J'essaie de répondre, mais mes mots se perdent dans un murmure inaudible. Une vague de confusion m'envahit, mêlée à une étrange sensation de calme forcé. Mon esprit lutte pour émerger de la torpeur, mais chaque pensée semble se dissoudre avant de prendre forme.
- Ne vous inquiétez pas, c'est normal de se sentir un peu désorientée après avoir pris vos cachets. Je suis ici pour vous souhaiter la bienvenue à l'hôpital psychiatrique de Manhattan et vous expliquer comment les choses vont se dérouler.
Il s'assoit sur la chaise près de mon lit, posant le dossier sur ses genoux. Mes yeux détaillent lentement son visage. Ses yeux d'un vert clair parsemé de petits éclats d'ambre, ses pommettes saillantes et ses lèvres pulpeuses.
Hola sexy doc'...
Sa voix douce et rassurante me ramène un peu à la réalité et une part de moi veut lui faire confiance, mais une autre reste méfiante, comme si une alarme silencieuse résonnait au fond de mon esprit.
- Vous êtes ici pour recevoir les soins dont vous avez besoin. Notre priorité est de vous aider à vous sentir mieux et à retrouver un équilibre. Nous avons un protocole en place pour assurer votre sécurité et votre bien-être.
Je cligne des yeux, essayant de me concentrer sur ses paroles. Il continue, en prenant soin de parler lentement. Une sensation de détachement m'envahit, comme si j'observais la scène de loin, à travers une vitre embuée.
Les mots du docteur Barocchi semblent flotter dans l'air, atteignant mes oreilles avec un léger décalage.
- Chaque jour, vous aurez des séances avec des thérapeutes, des activités de groupe et des moments de repos. Si vous avez des questions ou des inquiétudes, n'hésitez pas à en parler à l'un des membres de notre équipe. Nous sommes là pour vous aider.
Il observe attentivement mes réactions, cherchant des signes de compréhension. Je hoche légèrement la tête, bien que mes pensées soient encore embrouillées. Une pointe d'anxiété perce le voile de l'anxiolytique, mais elle est rapidement étouffée par la somnolence.
- Pour l'instant, reposez-vous. Les médicaments vont vous aider à vous calmer et à vous sentir plus à l'aise. Nous allons libérer vos poignets et passerons vous voir régulièrement pour nous assurer que tout va bien.
Il se lève, lissant les plis invisibles de son pantalon avant de se diriger vers la porte. Une vague de gratitude mêlée à de l'appréhension monte en moi. Je veux lui poser des questions, comprendre pourquoi je suis ici, mais les mots restent coincés dans ma gorge.
- Ah oui, une dernière chose. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appuyez sur le bouton d'appel à côté de votre lit. Nous serons là rapidement.
Avec un dernier sourire rassurant, il quitte la chambre, me laissant sombrer à nouveau dans un état de somnolence apaisante. Mes émotions tourbillonnent, un mélange de soulagement, de peur et de confusion, tandis que je m'enfonce dans le matelas, espérant que le brouillard se dissipera bientôt.
Trois jours plus tard
J'ouvre les yeux, mais le monde tout autour reste flou. Les murs blancs de ma chambre semblent se refermer sur moi, chaque jour un peu plus. Je me sens comme une prisonnière dans un labyrinthe sans issue. Les bruits de pas des infirmières et les cris des autres patients résonnant dans le couloir est un rappel constant de ma captivité.
Chaque matin, je suis réveillée par le même rituel : une lumière crue qui envahit la pièce, suivie par l'arrivée de Becky, l'infirmière chargée de mon traitement. Les premiers jours, j'avalai les pilules sans protester, consciente que toute résistance était vaine. Mais les médicaments me plongeaient à chaque fois dans un état de torpeur, rendant chaque journée semblable à la précédente.
Alors ne supportant plus cet état de léthargie constant, j'ai trouvé un stratagème pour les retirer de mon organisme aussitôt que la fameuse Becky quittait ma chambre.
Au revoir la moi droguée. Bonjour la moi lucide.
L'infirmière vérifie ma bouche de fond en comble - comme chaque matin - pour s'assurer que j'ai bien avalé les cachets, puis elle se dirige vers la sortie en me souhaitant une bonne journée.
Je lui réponds par un joli sourire hypocrite et à peine la porte fermée, je me rue dans ma salle de bain. Je m'accroupis devant les toilettes, inspire un bon coup et introduit deux doigts dans ma bouche pour les plonger dans le fond de ma gorge.
Je dois dépasser ma phobie.
Première tentative désastreuse, je réitère la démarche. Je ferme les yeux et enfonce un peu plus profondément mes doigts, ce qui me fait tirer au cœur. Le contenu de mon estomac se déverse dans le fond des toilettes ainsi que les deux pilules.
Personne pour me tenir les cheveux en plus, super...
J'essuie la larme qui s'est échappée de mon œil et la sueur qui perle sur mon front, en appuyant mon dos le long du mur pour reprendre mon calme.
Courage, il ne me reste plus que vingt six jours.
Étape franchie, je retourne m'asseoir sur mon lit. J'attrape le livre emprunté à la bibliothèque la veille, et attend que l'horloge maudite indique neuf heures pour la promenade matinale.
Ces promenades sont les rares moments de répit que je trouve ici, dans cette petite cour intérieure. À cet endroit, je peux sentir le soleil sur ma peau et entendre le chant des oiseaux. Des sensations qui me rappellent qu'un monde existe au-delà des murs de l'hôpital et que bientôt j'y trouverais ma place, à nouveau. Je m'assoie sur un banc en béton beige et ferme les yeux, m'imaginant totalement libre, entourée de mes amis et que tout cela n'est qu'un mauvais rêve.
Mais la réalité me rattrape toujours.
Je suis ici, enfermée, à cause d'eux...
Les heures s'écoulent lentement, rythmées par les visites des médecins et les séances de thérapie de groupe. À chaque fois c'est la même torture, j'écoute les autres patients raconter leurs histoires, mais je me sens détachée, comme si j'observais la scène à travers la vitre de ma chambre à Brooklyn.
Je n'ai pas encore pris la parole, je n'ai ni la force ni l'envie de partager mon propre récit. Face aux autres patients, je n'ai aucune raison d'être internée alors à quoi bon perdre mon temps à dévoiler mon secret à des inconnus. Aucune personne ici ne peut changer ce qu'il s'est passé.
Dans cette salle vide et dépourvu d'âme, je croise le regard d'une autre patiente. Une jeune femme aux long cheveux roux et aux yeux tristes. Nous échangeons un sourire timide, un geste simple mais chargé de signification. Pour la première fois depuis que je me suis réveillée dans cet enfer, je sens une lueur d'espoir.
Peut-être qu'au milieu de cette souffrance, je pourrais trouver une alliée, quelqu'un qui comprend vraiment ce que je traverse.
Les visites des familles sont interdites pendant un mois dès notre arrivée - protocole de la maison m'a t'on dit - Et moi j'emmerde ce foutu protocole !
Je me sens seule, loin des personnes qui sont censés m'aimer et m'entourer...
Mais une question me hante jour et nuit : pourquoi m'ont-ils internée ici ? Est-ce la décision de mon père, inquiet pour ma santé mentale ? Mon frère, à l'esprit protecteur ou vengeur ? Ou quelqu'un d'autre, dont je n'aurais jamais soupçonné la trahison ? Mais dont je connais pertinemment le prénom...
Connor
Une semaine après l'anniversaire.
[ Je ne suis pas disponible pour le moment ou probablement en train d'éviter de répondre au téléphone à quelqu'un que je n'aime pas... Laisse-moi un message, et si je ne te rappelle pas... C'est sûrement toi ! ]
- Répondeur de merde ! éclaté-je en balançant mon téléphone contre le mur face à moi.
C'est mon cinquième appel et je tombe une nouvelle fois sur son message à la con. Elle n'a répondu à aucun des précédent appels ni aux dix sms que je lui ai envoyés. Elle ne prend même pas la peine de les lire... Bordel pourquoi ne répond-elle pas ?
Je préférerais cent fois qu'elle décroche pour me hurler dessus ou qu'elle m'envoie chier comme elle sait si bien le faire plutôt que de faire la morte.
"Je suis complètement brisée. Est-ce que tu crois réellement pouvoir aggraver les choses ?"
Bien sûr que je le peux, la preuve aujourd'hui, ai-je envi de lui dire... Je l'avais pourtant prévenu et imploré de m'empêcher de m'approcher d'elle.
Et si succomber à mes pulsions, lui avait brisé la seule partie d'elle qui restait intact ?
À l'heure qui l'est, elle doit m'en vouloir, se demander à quoi je joue et même me traiter de connard - ce qui n'est pas faux, mais qui n'est pas non plus une nouveauté - mais pourtant le lendemain matin, j'ai cherché à la voir pour m'expliquer. Qu'elle comprenne pourquoi j'ai agit comme ça, mais elle n'était déjà plus à la propriété. Sa chambre aussi était vide.
- La personne que tu cherche à joindre va avoir du mal à te recontacter maintenant, blague Kyle en surgissant dans la salle à manger derrière moi.
Pour simple réponse, je le fusille du regard et il m'observe dubitatif ne comprenant sans doute pas pourquoi je suis dans cet état de si bon matin, mais il lève les mains en l'air en signe de reddition.
Je pose hargneusement mes poings sur la table et souffle d'agacement.
- Tu vas me dire ce qui se passe ou je dois aller me faire foutre ?
- Est-ce que tu as eu des nouvelles d'Emilie depuis l'anniversaire de son père ? demandé-je, curieux de savoir si la blonde lui parle à lui plutôt qu'à moi.
- Je me doutais bien qu'il y avait un rapport avec Barbie pour que tu sois dans cet état, avoue-t-il un léger sourire au visage avant de poursuivre. Qu'est-ce qu'il s'est passé entre vous ? Elle s'est enfin rendu compte qu'elle préférait les anges au démon, ironise-t-il en faisant allusion à notre petite bataille d'égo de l'année dernière.
Retenez moi je vais le tabasser.
- Putain Kyle tu peux être sérieux deux secondes !!
- Ok ok ça va... souffle-t-il avant de reprendre son sérieux. Non je n'ai pas eu de ses nouvelles, tu crois qu'on doit s'inquiéter ? Kidnapping 2.0 ?
- J'sais pas mais elle ne répond à aucun de mes appels et n'ouvre pas mes SMS.
- Mmmh je vois. Cherche pas, elle t'a déjà largué avant même de vous mettre ensemble. J'adore vraiment cette nana.
Je vais lui arracher ses couilles et lui faire bouffer, s'il n'arrête pas de l'ouvrir ce con.
- Va te faire foutre Winters !
À cause de cet abruti, je quitte la pièce encore plus énervé qu'avant et décide d'attendre qu'Emmett arrive à la propriété cette après-midi pour lui en parler. Pendant l'absence de Marco, il passe tous les jours pour gérer les différentes transactions à sa place.
Je m'inquiète sûrement pour rien et comme Kyle l'a mentionné sans le savoir, elle doit m'en vouloir d'avoir agit comme un enfoiré. Mais il ne connaît pas toute l'histoire et encore moins le secret qu'elle cache...
J'ai passé le reste de la matinée et le début d'après-midi à faire du sport et me défouler sur mon sac de frappe pour essayer de me changer les idées, mais à part me vider de toute mon énergie et me foutre une crampe au mollet, ça n'a pas eu l'effet escompté.
Je descends les escaliers et arrive devant le bureau de Marco. Je cogne et entre sans attendre de réponse.
- Hey mec ça va ? J'avais justement des points à voir avec toi et Kyle pour la prochaine mission, entre.
Emmett commence à m'expliquer de quoi il s'agit mais je ne l'écoute qu'à moitié. Mon esprit est trop préoccupé par une garce blonde qui ne répond pas à mes foutus appels.
- Eh Oh, Connor ! Tu m'écoutes ? demande-t-il en secouant la main devant mon visage.
- Non désolé tu disais ?
- Que tu avais l'air d'en avoir strictement rien à foutre de ce que je te raconte, blague-t-il en penchant la tête sur le côté. Qu'est-ce qu'il y a ?
- Depuis l'anniversaire de Marco je n'arrive pas à joindre Emilie, elle me ghost et ça me fout la haine, avoué-je les dents serrées car je déteste l'emprise qu'elle a sur moi.
- Elle ne te ghost pas, elle ne peut juste pas te répondre...
Hein ? C'est quoi ce bordel encore...
- Comment ça ? Pourquoi, elle est où ?
- Marco s'est assuré qu'elle bénéficie de l'aide dont elle a besoin. Une vraie aide, m'explique-t-il en croisant les bras sur son torse.
Putain c'est une blague !
J'essaie de garder mon calme face au brun, mais mes poings se serrent instantanément en enfonçant mes ongles dans ma paume.
- Je t'avais demandé de garder son secret pour toi avant d'en parler à son père. Emmett, elle me faisait confiance bordel, m'enervé-je en abattant le plat de ma main sur le bureau entre nous. Putain la trahison ça tient de famille ou quoi !
- Ne me compare pas à Emilie ! crache-t-il en s'avançant vers moi. Ce que j'ai fais n'a strictement rien à voir avec ce qu'elle a fait endurer à Mia ne l'oublie pas ! Je les fais dans le seul but de l'aider, comme tu l'as suggéré quand tu es venu me parler de ce qu'elle vivait. C'est toi-même qui m'a dit qu'à ce stade une discussion ne suffirait pas.
Les mots volent entre nous et me lacèrent comme des lames de rasoir. La rage monte de plus en plus en moi et tout mon corps est en ébullition.
- Où est-ce qu'elle est ?! demandé-je une nouvelle fois sur un ton bien plus froid.
- Je ne peux rien dire pour le moment, de toute façon tu ne peux pas la voir.
La colère que je ressens me fait voir rouge et d'un pas rapide, j'attrape mon meilleur ami par le col de son polo et le colle contre le mur.
- Ne m'oblige pas à te frapper Connor, m'averti mon ami et mon bras droit.
Mais je ne l'écoute plus, trop aveuglé par la rage qui s'empare de moi. Et même si je sais que je vais le regretter plus tard, mon côté obscur est en train de prendre totalement possession de mon corps. Mes poings s'expriment à ma place en le frappant au visage. Une fois, deux fois avant qu'il riposte en me repoussant et me percute les côtes de plein fouet avec sa jambe et m'envoie valser un peu plus loin.
- Mais à quoi vous jouer bordel ?! crie Kyle en pénétrant dans la pièce et s'interposant entre nous deux.
- Petit désaccord, rien de bien méchant, l'informe Emmett en essuyant la perle de sang qui coule de sa lèvre.
Je me redresse et remets mes habits en ordre en dévisageant le brun. Comment peut-il encore rire de cette situation ? Je suis allé lui confier les tourments de sa sœur, car j'avais confiance en lui, en mon meilleur ami. Mais il a passé outre ce que je lui avais demandé et n'a même pas pris la peine de me le dire.
Sentant que je n'arrive pas à me calmer, je préfère quitter le bureau avant d'aggraver la situation et pars en direction du garage. J'ai besoin d'air et surtout besoin de me vider la tête.
Et je connais un endroit parfait pour ça...
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