Chapitre 1
Si j'avais été surprise de découvrir l'accueil et tout le rez-de-chaussée désert, je le fus encore plus lorsque l'ascenseur s'arrêta au premier étage. Habituellement, même à l'intérieur de la cabine, on entendait les voix qui criaient d'un bout à l'autre des bureaux, les imprimantes s'afférant et les machines à café qui travaillaient non-stop. À la place, une odeur de sang m'emplit les narines. Qu'est-ce qu'il s'était passé encore ? C'était déjà arrivé qu'un non-humain enragé débarque, et que la sécurité, qui était bien plus coriace que celle habituelle, vous l'auriez deviné, doive s'en débarrasser. S'en débarrasser définitivement. Un petit « ding » résonna lorsque j'atteignis l'étage. Les portes s'ouvrirent avec une lenteur qui me sembla infinie, et je me faufilais entre avant qu'elles n'aient fini. Là encore, tout semblait désert. Qu'on ne me dise pas que nous étions fermés aujourd'hui et que je n'étais pas au courant.
Parce que ça m'étais déjà arrivé une fois. Et je n'aimais pas particulièrement mon travail. D'ailleurs, je n'avais jamais su comment est-ce qu'ils m'avaient trouvée ? Sur un coup de chance ? Ou alors ils m'observaient depuis longtemps ? Dans tous les cas, je m'étais retrouvée ici, entre ces murs couleurs crème et cette moquette noire du jour au lendemain. J'avais d'abord été désarçonnée d'apprendre que tout ce que je voyais n'était pas le fruit de mon imagination, contrairement à ce qu'avaient cru tout mon entourage. J'avais d'ailleurs fini par ne plus rien dire à ce sujet. Jusqu'à ce qu'on me contacte. Mon travail n'était pas des plus plaisant, mais pouvait être très palpitant par moments. Rien que la semaine dernière, j'avais dû rendre visite à deux clans de Lycanthropes, qui menaçaient de s'attaquer l'un l'autre. Sauf que dans ces cas-là, ils auraient causé des dégâts. Et disons que je m'étais retrouvée au cœur d'une dispute qu'il m'avait fallu résoudre très rapidement. Quand je ne risquais pas de me faire manger, il fallait que je « nettoie ». Que je nettoie les dossiers que la police contenait à propos de certaines personnes. Mais je n'avais pas le plus pénible, puisque certains d'entre nous, donc des Éveillés, devaient s'occuper de scènes de crimes. Des crimes qu'aucun humain, même le pire des psychopathes n'aurait pu faire. Ce n'était pas le genre travail que j'avais rêvé de faire enfant. Ce n'était pas le genre de travail dont on parlait à ses parents. Ce n'était pas le genre de travail envers lequel on m'avait mis en garde, en m'ordonnant de bosser à l'école pour ne pas me retrouver dans ces situations. Mais il payait bien, et j'étais prometteuse selon les anciens. Enfin, par prometteuse, ils voulaient surtout souligner le fait que contrairement à tous ceux recrutés cet été, j'étais en vie. Oui, ils étaient tous morts en mission. C'était la dureté des faits. Mais j'avais tout de même un peu de reconnaissance pour ceux qui m'avaient embauchée : grâce à eux, je m'étais stabilisée, et j'avais repris confiance en moi. Non, je n'étais pas folle. C'est juste que quelque chose en plus composait ma chair, mon sang et mes cellules. Je pouvais voir ce que d'autres ne voyaient pas. Et même si je ne le disais pas directement, j'étais fière et heureuse d'être différente.
Je fis ainsi le tour entier de l'étage. Je passais en tout plus d'une quinzaine de minutes à entrer dans chaque bureau. Ils étaient tous vides. Tellement, que cela en devenait angoissant. Quant à cette odeur de sang, je commençais sérieusement à me demander si c'était le fruit de mon imagination ou bien si quelque chose clochait ici. Quand je revins à mon point de départ, furieuse, je me mis à fouiller dans mon sac à main, à la recherche de mon téléphone. Après avoir fouillé deux fois, et avoir même renversé le contenu de mon sac par terre, je me revis éteindre mon alarme et reposer mon téléphone sur ma table de chevet. Superbe ! Parfaite façon de commencer la journée. J'avais beau ne pas être très sociable, l'un d'entre eux aurait pu me prévenir !
Je ravalais ma haine et mes insultes, puis entrait à nouveau dans l'ascenseur. Une fois arrivée en bas, je jetais un dernier regard haineux sur l'accueil vide. Même pas un sms pour me prévenir ! Ils auraient pu envoyer un mail ou n'importe quoi ! J'étais arrivée en retard ce matin, mais je ne l'aurai pas été si l'on m'avait mis au courant de ce petit jour de vacances improvisées. Je sortais du bâtiment à coup de grandes enjambées, puis retournais chez moi, la moutarde au nez, et d'une certaine façon, le moral dans les chaussettes. Je savais que je n'essayais pas de m'imposer en permanence, mais je ne pensais pas être invisible non plus.
La gardienne, désormais habillée pour sortir, sembla surprise de me voir.
-Déjà de retour ? Oh, mais... Pourquoi faites-vous grise mine ma petite mam'zelle ?
-Oh rien de spécial madame Simon. Comment va votre mari ?
-Ah, vous savez, il n'est plus malade ! Enfin façon de parler, il tousse encore parfois, mais tout va mieux.
-Tant mieux alors.
Elle lâcha un petit rire joyeux, avant de se pencher légèrement dans ma direction et de positionner sa main près de sa bouche comme pour me dire une confidence.
-Pour me remercier de m'être bien occupée de lui, il m'emmène enfin faire du shopping. Je dois vous laissez. Il n'y aura personne de la journée, alors vous pouvez faire le bruit que vous voulez pour une fois. À plus tard ! Déclara-t-elle avant de reprendre une marche rapide.
-C'est ça, amusez-vous bien !
Elle se retourna pour me faire un petit signe de la main, auquel je répondis, avant de me remettre à avancer moi aussi. Je n'habitais pas dans un immeuble à proprement parler. C'était juste une ancienne et très grande maison, que l'on avait rénovée, et transformée en plusieurs appartements. Le loyer n'était pas très cher, ce qui me permettait de mettre de l'argent de côté, et le voisinage était calme. Autrement dit, je me sentais très bien ici. J'avais emménagé ici suite à mon « job » de l'été dernier, où j'avais appris ce que j'étais réellement. Depuis, j'avais été embauchée, et je n'avais pas bougé. Aujourd'hui, à l'aube du printemps, l'envie ne m'en prenait toujours pas, alors je profitais du calme de ma vie.
Une fois remonté à l'étage, il me fallut quelques minutes pour retrouver ma clef. Puis j'ouvrais ma porte en soupirant, me demandant ce que j'allais faire de ma journée. Sans jeter de coup d'œil à l'intérieur, je balançais mon sac, entrait en me retournant pour verrouiller la porte derrière moi.
Je me préparais un petit déjeuné décent, puis traînait toute la matinée devant la télé. Puis je me décidais à tenter d'appeler mes soi-disant collèges afin de régler mes comptes. J'en appelais un, qui ne décrocha pas. Le téléphone du second ne sonna même pas, tombant directement sur la messagerie. J'appelais donc la troisième et dernière dont j'avais le numéro, déjà agacée. Et Dieu merci, elle décrocha.
-Allô ? Commençais-je.
Aucune réponse. Juste un bruit.
-Clara, tout va bien ? Demandais-je en entendant des sanglots à l'autre bout du fil.
-Adria ? Adria, tu vas bien ? Me demanda-t-elle de la voix aigüe qu'elle prenait à chaque fois qu'une émotion trop forte la submergeait.
-Évidemment que je vais bien ! Même si ce que vous avez fait m'énerve un peu, mais... Qu'est-ce qui t'arrives ?
-Mon Dieu ! Mon Dieu ! Tu n'es pas allée au travail toi non plus ?
Un mauvais pressentiment s'empara de moi tout entière, alors qu'une tension nouvelle envahissait la pièce. À m'en donner froid dans le dos.
-Comment ça « moi non plus » ?
-Oh... Adria ! Je devais commencer à sept heures ce matin, tu te souviens ?
-Oui, oui, moi aussi.
-Mais je me suis réveillé en retard, et vers sept heures et demie, j'ai appelé pour prévenir de mon retard. J'étais en ligne avec Julie, tu sais, celle qui s'occupe de l'accueil le mardi.
-Oui et alors ?
-Et bien, juste après qu'elle ait décroché, il a eut comme une explosion ou je ne sais pas quoi. J'ai entendu du monde crier derrière. Puis Julie qui avait probablement lâché le téléphone l'a reprit et s'est mis à me crier des choses incompréhensibles. J'ai juste compris qu'elle me demandait d'appeler de l'aide et qu'elle me disait de ne pas venir. Mais elle a mal raccroché le téléphone, et j'ai entendu tout jusqu'à la fin... Adria, certains, se sont fait tuer, mais la plupart ont étés capturés ! Ils les ont emmenés quelque part, je crois et... Et...
Elle éclata en sanglots à l'autre bout du fil, laissant sa phrase en suspend. J'eus soudainement l'impression d'être observée et en danger. Je me précipitais sur la fenêtre en face de moi, et en fermais les rideaux.
-Clara calme-toi ! Ne te mets pas dans cet état-là...
-Tu te rends compte ?! Ces personnes ou ces choses en ont après nous ! C'est horrible Adria ! Si tous les Éveillés sont enlevés et tués, qui s'occupera de maintenir cet équilibre qui a toujours existé ? Ce sera la guerre Adria ! La guerre !
-Clara je...
-Moi, je ne reste pas dans cette ville un instant de plus. Je vais me retirer chez mes parents. Ils sont aussi des Éveillés, mais ont toujours gardé ça caché contrairement à moi. Je ne veux pas être mêlée à ça.
-C'est trop tard pour ça !
-Non ce n'est pas trop tard. À bientôt Adria. Je te conseille de faire comme moi. J'espère que tu t'en sortiras.
Elle raccrocha soudainement, ne me laissant même pas le temps de répliquer. À l'instant même où elle l'eut fait, une main s'accrocha à la poignée de ma fenêtre. Elle l'ouvrit en la poussant, puis la personne se hissa, me permettant de la voir. Nos regards se croisèrent, et il s'arrêta en plein mouvement, comme choqué.
Je fus la première à bouger, dégainant mon portable que je m'apprêtais à ranger. Je me mis aussitôt à composer le numéro de la police. Enfin, pas de la police humaine, puisque mon visiteur inattendu avait des oreilles et une queue de chat, de la même couleur que ses cheveux : noir d'encre.
-Attends, attends ! S'écria-t-il en rentrant.
-Dégage !
-Tu ne me reconnais pas ? C'est moi, ton chat chéri !
-Pardon ?
-Mais si regarde mes yeux et euh... Bah attends !
Il se transforma sous mes yeux en Gipsy, avant de reprendre forme humaine. Devant ma mine horrifiée, il se sentit obligé de se justifier.
-Gipsy ?
-Alors, hmm...mon vrai prénom est Elyam. Et je ne t'avais pas dit que j'étais un hybride parce que sinon tu m'aurais jeté dehors !
-Exactement ! Vous les non-humains, vous n'apportez que des problèmes, ou presque !
-Mais non, j'en suis la preuve ! Cela fait trois mois que je suis ici et je n'ai jamais rien fait. Et puis, tu as une affaire plus urgente à régler.
-Comment ça ?
-J'ai entendu sans faire exprès ta conversation. Et elle a raison ton amie. En plus, je suis revenu plus tôt parce que dans la ville d'à côté, des Éveillés sont portés disparus. J'avais peur pour toi.
-Là-bas aussi ?
-C'est très grave ce qu'il se passe. Si tes semblables sont pas retrouvés, les abus se multiplieront. Et même pire.
-Pire ?
-Malgré ce que l'on peut penser, c'est rare d'être comme toi. Et plus les choses deviennent rares, plus l'on se bat pour les avoir. Surtout en sachant que vous êtes capables d'emprunter les pouvoirs d'autrui pendant une certaine période.
-Et alors ? Je ne compte pas jouer aux héros en tentant de les sauver.
-Qu'est-ce que tu comptes faire ?
-J'en sais rien. Me cacher probablement.
-Tu dois être répertoriée en tant qu'Éveillée dans les dossiers à ton travail. Ce qu'il veut dire qu'ils ont ton nom, ton portrait et ton adresse. Tu ne pourras jamais te cacher. Et encore moins vivre une vie tranquille. Jusqu'à ce que tout soit rentré dans l'ordre.
Génial. C'était une merveilleuse façon d'entamer la journée. Vraiment, vraiment, un jour, il faudrait qu'on m'explique pourquoi est-ce que tout me retombait dessus ainsi.
Alors ? Des avis ? Des commentaires ? Si ça t'as plu fait le moi savoir !
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