Épisode 12

Mercure n'avait pas demandé à Silice de qui il était amoureux, et lui-même ne lui en avait pas parlé. Elle s'en fichait. Depuis son retour, tout était très calme. Elle restait toujours dans son coin et ne voyait jamais un enfant jouer près de la cascade. Ça l'intriguait, d'habitude, beaucoup venaient admirer le crépuscule sur le pont qui la traversait. Pourtant, ça faisait déjà cinq jours, et c'était le silence absolu. Les pétales des fleurs se détachaient à peine pour pouvoir flotter dans la rivière, et le temps semblait s'écouler à une lenteur inimaginable. Loin de se sentir seule, Mercure était curieuse. Ces idiots s'étaient-ils volatilisés ? Elle se leva, emportant avec elle Murphy et son livre, traversa les aires de jeu et marcha le long de la moitié de l'île avant d'arriver aux "portes" d'Evaresson Blue. Désertes. Elle partit jeter un coup d'œil dans la grotte, d'où elle entendait des rires. Avaient-ils réellement passé cinq jours cloîtrés comme des ermites dans cette caverne à s'esclaffer ? Ça ne leur ressemblait pas... Elle entra et avança lentement, les sourcils froncés. Il lui semblait entendre une autre voix qui n'appartenait à aucun de ses prétendus "frères". Quand elle aperçut le cercle que formaient les enfants, elle affirma qu'il y avait un huitième gamin (en omettant Silice absent) qu'elle n'avait jamais vu, mais elle ne put distinguer que sa silhouette, tant Benny brillait faiblement. Il était de profil, elle ne voyait pas son visage à cause des ombres, mais il devait avoir son âge, peut-être plus. À chaque fois qu'il parlait, c'était pour raconter une blague ou une anecdote, et tout le monde rigolait en l'entendant. Mais il n'y avait rien de drôle dans ses paroles, du moins pas pour Mercure. Au contraire, ça sonnait plutôt comme quelque chose de malsain qui la mettait mal à l'aise. Elle était tout près du groupe quand Alumine l'aperçut et lui fit un signe de la main en s'écriant :

-Hé, Mercure ! Ça fait longtemps qu'on t'as pas vue !

Zinc se retourna vers sa grande sœur et lui dit en souriant :

-Viens avec nous ! Le nouveau est super marrant !

Sollicitée par tous les enfants, Mercure ne protesta pas et s'assit à contrecœur entre Moly et Zinc.  Elle ne voyait toujours pas le visage de l'arrivant, mais sa voix lui était étrangement familière.

-OK, OK, je pense qu'on a assez rigolé comme ça, mes amis.

"Mes amis"... Mercure le trouvait ridicule. Il venait d'arriver et il agissait comme si il était là depuis des années. Elle se sentait de trop, dans ce joyeux cercle.

-Je vais vous raconter comment je suis arrivé ici.

-Brome a dit qu'on devait pas raconter ça, dit Astate avec une mine triste.

La petite aux cheveux blancs avait raison. L'une des rares règles d'Evaresson Blue interdit de parler de sa mort devant tout le monde. Ils pouvaient le faire en privé, évidemment, comme le faisaient souvent Silice et Mercure, mais sûrement pas lors des réunions dans la grotte. Brome avait instauré cette règle parce qu'il pensait que parler de la mort pourrait installer une ambiance déprimante, et ça ne serait pas bon pour l'équilibre d'Evaresson Blue. Le doyen expliqua cela, mais le nouveau n'avait pas l'air de comprendre certaines choses :

-L'équilibre ? C'est quoi ce truc ?

Moly décida de prendre le relais :

-Evaresson Blue a été créé à partir du bonheur des enfants. Si un ou plusieurs habitants se met à déprimer, ou à éprouver des sentiments contraires à la joie, l'île risque de s'effondrer et de disparaître.

Mercure crut apercevoir un sourire se dessiner sur le visage du nouveau. Son rire se fit entendre, mais il n'amusa personne, au contraire, il était à glacer le sang.

-Je vois. Que c'est triste.

Que c'est triste. Mercure se repassa ces quatre mots en boucle. Elle le connaissait. Elle connaissait ce garçon, mais ses souvenirs commençaient à s'effacer et elle n'arrivait pas à se souvenir où elle l'avait vu pour la dernière fois. Que c'est triste. Pourquoi ne s'en souvenait-elle pas ? Il n'était pas arrivé là par hasard ! Ils n'étaient pas des inconnus l'un pour l'autre, Mercure en était persuadée !

-D'accord, j'ai compris, annonça-t-il. Mais j'aimerais tout de même vous parler de quelqu'un.

Le groupe se focalisa à nouveau sur le garçon qui paraissait soudain bien mélancolique.

-Environ un an avant mon arrivée ici, je connaissais une fille. Enfin, pas vraiment, mais disons que je savais qui elle était. J'étais un mec influençable à cette époque, et j'aurai fait n'importe quoi pour attirer l'attention de mes amis. Ils m'ont parlé d'une fille tout le temps triste, qui passait son temps à pleurer, à dessiner et à écrire. Ils m'ont dit que personne ne l'aimait et qu'elle avait une mauvaise réputation. Et comme je n'avais pas encore "prouvé ma valeur", ils m'ont mis au défi. J'aurai pu juste l'insulter ; ou la frapper ; ou même simplement lui voler quelque chose ou lancer une sale rumeur sur elle. Mais j'ai fait bien pire que ça.

Tout le monde était pendu aux lèvres du garçon. Mercure, elle, commençait à trembler et à respirer de plus en plus vite.

-Donc un matin, j'ai glissé des lettres de menaces, d'insultes et d'invitations au suicide dans son casier. J'en ai mis beaucoup trop. A midi, je suis allé sur le toit de l'école et elle était là, sur le point de sauter. J'ai vraiment cru qu'elle allait le faire. Mais non. Donc je me suis approché, et sans réfléchir, vraiment, le vide dans ma tête, je l'ai poussée. Un simple geste de la main, et elle était partie s'écraser par terre, vingt mètres plus bas. Et elle est morte.

La grotte et les enfants s'étaient comme figés, le temps semblait s'être arrêté. Mercure ne voyait plus rien à part lui. Ce garçon. Par sa faute, elle s'était retrouvée ici. Et désormais, sa vie comme sa mort se retrouvait entièrement brisée.





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