8 - La déchéance d'un empire

1769 | France, Paris, Bal masqué

Trois ans avaient laissé leurs bras s'entourer autour d'Apolline, lui offrant de grandir, tant dans sa beauté que dans son esprit. Elle avait retrouvé des journaux de Jean-François mais il lui manquait encore une grande partie des années de jeune vampire du marquis. La petite brune s'était perdue dans les pêchés que lui offraient son époux sur un plateau d'argent et elle se laissait séduire par la noirceur qui papillonnait derrière chaque regard. En trois ans, Jutta n'était jamais réapparu. L'enfant de la lune les avait quitté, pour le grand plaisir de la marquise.

Laissant sa nouvelle femme de chambre nouer un masque sur son visage, Apolline observait son reflet, s'attardant sur la marque de crocs dans sa gorge en la masquant d'une poudre aussi blanche que son teint. Ses yeux bleus se posèrent sur la cicatrice qui pleurait encore quelques larmes de sang de sa camériste mais elle ne laissa aucune preuve de sa jalousie retentir. Jean-François se nourrissait en sa compagnie maintenant et elle se faisait lionne en embuscade sous ces draps. Dans un bruissement d'étoffe, elle se redressa, sentant ses boucles si douces rebondirent contre sa nuque. Un sourire étira ses lèvres alors que pour la première fois depuis longtemps, elle se trouvait jolie. Inspirant l'air chargé de son parfum, elle éternua, son sourire ne la quittant plus.

Elle avait à peine descendu l'escalier que Jean-François lui présentait son bras, éblouissant dans un costume bleu cobalt s'assortissant à lapis lazulis de ses iris, cachés derrière un masque. Apolline ne pouvait dire si c'était les pouvoirs du vampire ou l'existence à ses côtés  mais il semblait plus attirant que jamais. Elle ne parvenait à voir le monstre derrière la beauté de cet être aussi froid que la mort qu'il menait avec lui. Le cavalier était une fleur du nouveau monde, aussi belle que vénéneuse. Et la jeune femme était un insecte prisonnier des fluides parfumés.

Montant dans la litière aux côtés du marquis, Apolline ferma les yeux. La nuit l'entourait de son manteau de ténèbres et elle se blottissait contre elle, devenant petit à petit comme le terrifiant homme qui avait pris son innocence. Elle ne parvenait à rester éveillée le jour, sentant la brûlure du soleil comme des milliards d'aiguilles dans sa peau. A trop nourrir un vampire, elle devenait comme lui. Souffrant de la morsure de l'astre et gémissant sous celle des crocs. Elle embrassait les pêchés, chassant pour cet homme qu'elle croyait aimer dans le mythe de l'hypnose. Elle lui offrait les plus belles proies et lui brillait à son côté. Les Morangiès n'étaient plus des fantômes qui n'offraient jamais la caresse de leurs présences. Ils brillaient dans chacune des réceptions offertes par Louis XV et ne repartaient jamais seuls. Libertins, ils devenaient philosophes dans l'intimité des boudoirs.

Ce soir ne dérogeait pas à la règle. Un bal masqué était donné, dans l'intimité de la capitale. Les époux avaient rejoint des nobles qui rêvaient de les rejoindre dans la noirceur qui les entourait. La petite troupe cheminait, sans faire de bons assassins tant leurs gloussements trahissaient leur présence. Apolline en tête de file avec derrière elle ses amies oisives parisienne, laissant Jean-François ouvrir la marche, le détaillant du coin de l'œil alors qu'elle lisait dans son sourire flamboyant des choses qu'elle n'aurait pu imaginer.

Il ouvrit les portes de la décadence de l'empire de France et les nobles qui le suivaient s'esclaffèrent une nouvelle fois. Alors qu'Apolline souriait, tenant la main d'une amie, il lui attrapa le bras, la forçant à s'arrêter devant lui et déposant un baiser sur ses lèvres, aussi possessif qu'à son habitude.

« Te souviens-tu de ce que je t'ai dit dame mon épouse ? glissa-t-il avec un sourire alors que son bras s'entourait autour de l'aine de la jeune femme.

-Oui mon doux prince des ténèbres. Je le ou la ramènerais dans notre couche. Et tu te délecteras de sa vie et de son sang, prenant son corps en même temps que son âme. »

Un sourire étira les lèvres de Jean François alors que de sa paume gantée il caressait la joue de son épouse.

« Tu es parfaite Apolline. Je n'aurais pu rêver trouver femme plus complaisante. »

Elle éclata d'un rire cristallin avant qu'ils ne se glissent dans la foule. Ils étaient devenus les princes macabres d'un destin grandiose. Jean-François disparu dans les ombres qu'il affectionnait tant alors que la marquise se perdait dans la foule, riant avant de chasser. Elle avait droit à son heure. Son heure à elle, s'amusant des regards emplis de désirs qu'on lui offrait.

Elle dansait, le visage caché, ne laissait apparaître que ses prunelles étincelantes, brillantes de joie et d'envie. Son corps avait changé, devenue celui d'une femme alors qu'elle se rapprochait de plus en plus du jour où son époux deviendrait son Sire, liant son âme à elle pour l'éternité. Si aujourd'hui elle n'avait plus peur de lui, elle ne l'aimait pourtant pas. Attachée à lui c'était certain. Dépendante de ses morsures qui la transportaient vers un paradis dont elle refusait de redescendre. Mais c'était les seuls instants où elle se fendait d'un mensonge. 

Apolline vivait cette vie d'immortelle sans en être une, avec la nuit pour compagne éternelle. Il lui avait appris tant de chose sur la luxure. Il l'avait regardé faire, avec cette délectation perverse de l'homme qui corrompt les âmes pures. La gorge déployée, le dos cambré à l'extrême, elle ne trouvait jamais plus son plaisir quand dans les morsures qu'il lui offrait, accompagnées de ses reins puissants.

Mais tout bascula alors qu'elle croisa les prunelles brillantes d'un homme qui se présenta en embrassant sa main. Il s'appelait Simon de Landrey, mousquetaire du roi. Il portait le vêtement noir lorsqu'il s'armait pour la guerre et elle se perdit dans son regard, s'attardant sur la mâchoire puissante et sur son sourire. Ce sourire qui lui donna envie de se damner au moment même où il s'étira sur le visage de cet homme qui avait déjà retiré son masque. Alors qu'elle avait promis quelques heures plus tôt de ramener sa victime à son amant ténébreux, elle ne put se résoudre à offrir la gorge du comte à son époux. Il la fit jurer qu'ils se reverraient et elle lui offrit l'adresse de l'une de ses amies, lui faisant la promesse de le voir, priant pour que Jean François n'ait rien vu de ce baiser échangé sous le secret des arbres du parc.

Revenant à la réalité, observant l'heure qui s'était écoulée si vite, Apolline se mit en chasse, trouvant le bonheur en la présence d'une créature à la chevelure de feu qui l'espace de quelques secondes lui rappela Jutta. Elle la séduit de ses mots gorgés de poison et la jeune femme répondant au titre de comtesse la suivit jusqu'à Jean-François qui sourit de cette proie si belle. Il mordit, se complaisant dans le sang, besognant sa proie à mesure qu'il la tuait. Il n'hypnotisait jamais ses victimes et elles hurlaient dans le silence de l'hôtel particulier. Mais cette nuit, Apolline ne prit par aux jeux dessinés dans l'écarlate. Assise, elle attendait que le vampire finisse son repas, ses pensées s'envolant à des kilomètres de là, jusqu'à des prunelles brunes si lointaine. Il avait ravi son coeur, prince charmant dont elle avait rêvé dans un passé tellement distant alors qu'elle n'était qu'une enfant innocente.

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