6 - Pardonnez moi mon Père, parce que j'ai péché
Juillet 1767 | France - Paris, hôtel particulier de Jean-François de Morangiès
Un long mois avait passé, pendant lequel Jean François c'était fait absent. Il n'avait été là que pour la présenter à Versailles avant de la laisser, de lui offrir une vie de cour qu'elle n'appréciait pas particulièrement. Elle n'était pas formée pour les intrigues et ne parvenait à y prendre goût. Jutta s'y amusait comme une folle et les regards qu'on lui offrait faisaient gronder Apolline. La rousse entrait parfaitement dans les critères de beauté de l'époque et la brune ne pouvait lui pardonner d'attirer à elle les hommes comme des guêpes autour d'un pot de miel. La comtesse avait beau essayer de toutes ses forces de grossir, rien n'y faisait. Jean-François n'était plus là pour la rassurer en lui parlant de sa beauté et, si certain poètes avaient vu en elle une muse, ils n'étaient pas légion.
Le mois avait suffi pour faire disparaître la blessure à la gorge de la jeune mariée et la chair ne portait plus aucune marque du vampire. Comme neuve, rien n'aurait pu prouver ce qui lui était arrivé, dont elle ne gardait qu'un vague souvenir. Ses sentiments changeaient, ses envies de même. Elle rêvait de plus en plus à ce vampire qui la fascinait et dont elle ne savait pourtant rien. Jean-François était un mystère qu'elle désirait élucider, qu'importe le temps qui cela lui prendrait. Alors qu'elle laissait Jutta vivre d'elle-même le plus loin possible de sa personne, elle s'oubliait dans l'immense bibliothèque de l'hôtel particulier de son époux, ne se perdant dans des romans comme lorsqu'elle était encore enfant, mais dans d'énormes ouvrages sur les vampires. Une plume à la main, elle s'abimait les yeux sur de tout petits caractères, prenant des notes sur le moindre mot important. En un mois, elle n'avait toujours que des théories et cachait avec une application maladive ses recherches. Si Jean-François ou Jutta mettaient la main dessus, elle ne pouvait prévoir leurs réactions. Elle avait trop de question et pas assez de réponses. Au fil de ses recherches, elle tomba sur un poème traitant de ses sombres créatures qu'étaient les vampires. L'auteur allemand vivait toujours, mais beaucoup le disait fou. Et pourtant, elle retrouva dans Der Vampirs bien des vérités. Elle aurait voulu pouvoir aller jusqu'à lui, le rencontrer et lui demander comment il savait. Mais elle n'était que femme et sans l'appui de son époux, elle ne pouvait rien faire.
C'est dans le silence de la bibliothèque qu'Apolline tomba sur un ouvrage qu'elle n'avait jusqu'ici qu'entraperçu sans vraiment s'en soucier. Ses sourcils se froncèrent alors que sa main se porta jusqu'au dos de l'ouvrage qui ne comportait aucun titre. Le velours de la première de couverture l'a surpris un peu plus mais il en fallait plus pour stopper sa curiosité. La douceur de la plume qui avait tracé les mots lui sauta aux yeux. Jean François. Un sourire de chat étira ses lèvres alors qu'elle dévorait sans aucune pudeur tous les souvenirs de son mari tracé sur le papier. Ce n'était pas le premier tome. Les autres devaient être quelque part, disséminés dans l'hôtel et dans le château des Morangiès. Jetant un ultime regard à la date qui décorait le haut de la première page, ses lèvres s'entrouvrirent en un « O » muet. Sixième siècle après Jésus-Christ. Le latin s'inscrivait et elle bénie ses percepteurs pour tous ses cours qu'elle détestait lorsqu'elle n'était qu'une enfant.
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Je ne comprends plus mon corps. J'ai l'impression d'en saisir les nouveautés chaque nouveau jour que dieu fait. D'être perdu dans un univers qui me dépasse. Il est partie bien avant que je ne me réveille, me laissant seul, sans aucun appui. Je ne comprends pourquoi j'ai pris cette vie. Parfois, j'ai peur. Puis je me souviens de ses mots. Je suis puissance. L'immortalité s'offre à moi, illuminant mes pas d'une lueur dorée. J'ai tant de chose à faire et les mortels n'ont pas assez de temps. Voilà une semaine qu'il m'a tué, trois jours que je me suis réveillé. Et depuis, je n'ai plus prit de vie. Non pas que l'idée du meurtre me répugne mais je ne sais comment faire cela soigneusement. Je ne veux pas d'un bain de sang. Je ne veux perdre une seule bouchée de cette merveille qui a coulé dans ma gorge.
Aujourd'hui, je l'ai à nouveau croisé. Cette femme qui me hante, qui me fait saliver un peu plus à chaque seconde. Ses prunelles ne se sont posées sur moi que quelques secondes. C'est lorsqu'elle a relevé sa merveilleuse chevelure aux boucles douces que sa gorge s'est dévoilée à moi. Je rêve de mordre, de sentir le sang couler sur cette peau si pâle. J'en suis capable. Je la désire, ardemment. Mais d'une manière si différente de l'envie que j'avais humain. Tellement plus puissante. Tout est tellement plus fort. Les couleurs, les odeurs. Tout me donne envie de peindre et je ne peux m'empêcher de gratter sur ce papier. J'aimerais décrire toutes mes impressions, mais je manque de mots. La langue n'est pas assez vaste pour ce que je vois chaque jour.
Demain. Je promets que j'agirais. J'irais la voir. Je veux qu'elle soit mon futur repas. Il est hors de question que je laisse l'instinct me dicter mes proies. Mon tableau de chasse doit être sans la moindre faille. Comme durant ma vie d'humain. Rien ne doit changer, si ce n'est cette force que je sens rouler dans mes veines. Le vampirisme est un présent que je ne do...
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Apolline referma vivement l'ouvrage alors qu'elle entendait le rire de Jutta raisonner. Rassemblant ses papiers en vitesse, elle écoutait, son cœur battant trop vite à ses oreilles, biaisant son ouïe. Elle inspira puis expira mais la rousse ne semblait pas vouloir descendre. Roulant les parchemins, elle les glissa dans un tube, initialement hôte d'une carte et le cacha derrière un fauteuil en satin écarlate. Expirant une dernière fois, évacuant toute la tension qui s'était agglutinée dans ses muscles, elle remonta jusqu'au salon où sa dame de compagnie discutait en toute impunité avec un galant. Un simple regard d'Apolline lui ordonna de le congédier et elle s'exécuta avec un immense sourire alors que les lippes de la jeune femme s'étirèrent sur une moue interrogative.
« Qui est-il ? »
La rousse en face d'elle éclata à nouveau de rire, ses prunelles si bleues semblant briller de mille feux. Elle s'approcha, un grand sourire sur ses lèvres pulpeuses et vient caresser la joue d'Apolline qui ne put s'empêcher de reculer d'un pas.
« Son nom importe peu douce comtesse. Seul compte son titre. »
Les sourcils de la noble se froncèrent alors que son regard se faisait de glace mais Jutta ne recula pas. La maitresse de lieu voulait qu'elle parte, qu'elle la laisse seule, qu'elle la laisse aux plans qui bruissaient dans son esprit. La rousse ne pouvait imaginer de quoi elle était capable, des mensonges auxquels même un vampire avait cru. Apolline grandissait et la part d'ombre dans son cœur faisait de même. Elle n'était déjà plus une enfant, son innocence s'était envolée au moment même où les crocs de Jean-François s'étaient enfoncés dans son derme. Jutta payerait. La jalousie qui bruissait dans le cœur de la noble pouvait se révéler mortelle.
« Laissez-moi Jutta. J'aimerais que vous compreniez réellement où est votre place. Lorsque Jean-François n'est pas là, je suis votre maitresse et il est hors de question que vous vous comportiez de la sorte. La cour ne vous accueille que parce que je le veux bien. »
Le sourire goguenard de la rousse disparu comme neige au soleil alors que ses prunelles pouvaient toute la colère qui grondait dans son cœur. Mais Apolline faisait front, ne bougeant pas d'un pouce, se contentant de la regarder avec un air qui ne lui ressemblait que peu. L'enfant grandissait petit à petit, laissant la place à cette femme qu'elle devenait. Elle n'avait pas peur. Un éclat doré passa dans les prunelles bleues de son adversaire mais son visage ne changea pas d'un pouce et Jutta fini par baisser les yeux.
« Très bien madame. Comme vous le désirez. »
La victoire s'affirma dans le regard de la jeune femme alors que ses lippes se soulevaient en un sourire en coin plus que carnassier. Passant une main dans ses lourdes boucles brunes, Apolline tourna les talons, prenant la direction de sa chambre. Hors de question de travailler sur ses étranges recherches alors que Jutta était dans les parages. Qui savait ce dont la rousse était capable. Le journal de Jean-François attendrait. Le mensonge et la peur de découvrir la vérité attendrait.
La nuit avait laissé la place au jour pendant ses recherches et l'odeur nauséabonde de Paris s'agrippa à ses narines alors qu'Apolline sortait sur la terrasse de l'hôtel. Ses prunelles s'attardèrent sur ce soleil qui éblouissait la capitale française. Elle s'éveillait, troquant son manteau de ténèbres pour les auréoles du jour. La comtesse resta là de longues minutes, écoutant la vie crier dans ses immenses rues, si différente de la campagne qui l'avait vu naitre et grandir. Ses pensées s'échappèrent jusqu'au Gévaudan et jusqu'à son frère qui se trouvait à des centaines de kilomètres d'elle. Son cœur se serra brièvement alors qu'elle expirait. Sa poigne se fit un peu plus forte sur la balustrade et un bref souffle de vent vient se perdre dans les jupons de sa robe qui claquèrent contre sa chair. Elle se sentait prise à la gorge, sans parvenir à s'échapper. Entre les mains d'un homme qui ne pouvait qu'avoir le titre de vampire. Il s'était nourri de sa vie. Elle le haïssait et pourtant, elle s'était inclinée devant lui, elle s'était offerte à lui sans comprendre pourquoi. Elle l'avait supplié de faire naitre en elle le désir et de l'assouvir. Il la contrôlait et lorsqu'il se dressait devant elle, elle ne pouvait faire le moindre geste à son encontre. Dès qu'il disparaissait, elle se haïssait un peu plus mais la simple mention de sa présence la rendait docile. Le jeu se faisait malsain. Et elle était l'animal de compagnie parfait.
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