28 - Les fastes d'un monde perdu

— Le roi n'est pas là ? questionna Evangeline, le visage à moitié caché derrière son éventail.

— Des affaires le retienne. Il viendra mais brièvement. Alienor ne t'as pas parler des émeutes ?

Le regard d'Evangeline suffit à faire continuer Jutta. Elles saluèrent ensemble un groupe de noble vêtu de bleu et aux parfums trop forts. Les deux dames avançaient dans les couloirs de Versailles, à la recherche du Grand Salon où s'étaient réuni les courtisans.

— Bordeau gronde et les récoltes ont été très mauvaises. Des attroupements ont été maté dans le sang à Paris. Les dernières augmentations de l'import ne plaisent pas aux peuples et un noble a été retrouvé égorgé en pleine place publique en province.

— Les marauds ne s'attaquent pas aux nobles. Sans eux, ils perdent toute protection.

— Le monde a bien changé Apolline. Le temps bénie de ton enfance n'est plus l'âge dans lequel nous entrons.

Evangeline ne releva pas. Etait-ce cela qu'Octave l'avait envoyé écouter ? Elle ne pouvait y croire. Jamais les paysans ne se soulevaient. Pour quoi d'autre ? Louis était choisi par le Seigneur en personne et ils finiraient entre les griffes du malin s'ils ébranlaient les sacrements de l'Etat.

Versaille aussi été différent. Entre les murs du château, l'ambiance semblait chargé d'énergies négatives. Les nobles continuaient leur petits jeux, s'amusant les uns des autres et chuchotaient aux oreilles des complots intéressants. Evangeline les écoutait, distraitement, en observant les lieux. La mode avait évolué et nombreuses étaient les dames aux perruques défiant les lois de la gravité, accueillant entre leur hauteurs des faux oiseaux et des bijoux. Leur teint était plus blanc encore que lorsque la marquise arpentait les immenses coridors.

Elle s'inclina à de nombreuses reprises. Quelques visages lui étaient familier, les autres inconnus. Evangeline avait bien plus connu les fastes de la vie parisienne que les intrigues de Versailles. Il régnait, dans le panier de crabes, une ambiance que Jean-François avait toujours méprisé. La décadence coulait à flot dans les fêtes des hôtels particuliers. Ici... La bonne pensée teintait de Cérus le mensonge de chacun.

Un visage se détacha du lot. Ses cheveux, portés trop courts, le définissaient comme un militaire. Il n'en arborait pas les vêtements, pas même les couleurs. Leurs regards s'accrochèrent, illuminant celui d'Evangeline. Ces yeux noisettes, elle le connaissait. Ils l'avaient accompagné dans le bureau de la Mère Supérieure, ils l'avaient observé.

Jutta lui attrapa finalement le bras, l'arrachant à sa découverte.

— Suis-moi, souffla-t-elle.

Evangeline n'eut d'autre choix que de lui emboîter le pas. L'Ordre était là et elle ne pouvait rien faire sans tout dévoiler à la louve.

Elle n'offrit pas un regard supplémentaire au guerrier. Ses yeux questionnaient Jutta, qui ne s'attarda pas à lui offrir la moindr réponse. Elle accéléra le pas, sans pour autant courir et se colla dans les ombres d'un mur alors qu'elles croisaient un garde. Evangeline la suivait, sans comprendre.

— Tu sais certainement que le roi avait autrefois un petit cabinet, pour les affaires les plus secrètes du royaume ? Ils doivent garder toutes les informations que nous devons chercher là bas.

— Ce n'est pas ce qu'Octave a demandé Jutta ! gronda Evangeline.

— Je me fiche bien de ce qu'Octave a demandé, et toi plus encore que moi Apolline. Ne fait pas ses yeux de pucelles effarouchées. Je te connais et je sais que tu n'aurais jamais trahit ta famille pour eux.

— Mensonges.

— Arrête Apolline. Tu ne me feras pas croire à tes simagrés. Si cela a marché sur Jean-François, je ne suis pas aussi naïve que lui quand ça te concerne.

Elles échangèrent un regard glacé. Evangeline abandonna pourtant rapidement le combat, suivant les pas de la louve sans le moindre entrain. Jutta semblait savoir où elle les menait. Elle se cachait aux moments opportuns, ouvrait les bonnes portes et Evangeline ne pu s'empêcher de relever un sourcil interrogateur devant les agissements de la louve. N'avait-elle vraiment servi que d'excuses pour qu'elle puisse sortir du manoir ? Chaque nouveau pas la réconfortait un peu plus dans son idée.

Elle ne gronda pourtant pas une seule seconde, allant même jusqu'à sourire à son tour. Jutta lui en devrait certainement une si elles trouvaient ce qu'elle venait chercher et Evangeline ne l'oublierai pas.

Elles finirent par atteindre une porte, somme toute trop semblable aux autres. La marquise, devant l'importance du lieu, s'attendait à une myriade de garde et des cadenas tous plus complexes les uns que les autres. Mais rien d'autre qu'une porte, dont il leur manquait la clé. Jutta fouilla, un instant, dans sa coiffure trop haute et en sortit deux épingles à chevaux.

— Elles ont eu raison d'inventer cette mode. On peut tout cacher à l'intérieur. Un jour, l'une d'entre elles va en sortir une dague, je te le donne en mille.

Evangeline pouffa devant l'image, trop nette, qui s'infiltrait dans son esprit, avant d'observer les mouvements de Jutta. La louve savait exactement quoi faire. Elle plia la première en deux, jusqu'à former un L parfait. La seconde fut à peine modifiée, trop légèrement pour que la vampire ne parvienne à voir ce qu'elle en attendait. Puis elle les enfonça l'une après l'autre dans la serrure et joua sur la pression de celle du haut, méticuleusement.

— Je t'apprendrai si ça t'obsede tant... Tu ne veux pas plutôt surveiller que personne n'intervienne ?

Evangeline sursauta. Dans une autre vie, elle aurait certainement rougit devant la remontrance. Elle se contenta de lever les yeux au ciel, avant de se positionner à l'angle de la pièce.

Elle écoutait plus qu'elle ne regardait la longue salle menant à la leur. Pas l'ombre d'un battement de coeur, pas le soupçon d'une odeur. Les humains étaient passés ici, à peine deux heures plus tôt. Ils laissaient derrière eux la trainée langoureuse d'un parfum qui ne cachait que trop mal les odeurs désagréables de Versailles. Elle pouvait presque encore les voir tant leur présence laissant de trace. Jamais ses sens n'avaient si bien exploré la faiblesse des mortels. Ils se pensaient discrets....

Elle comprenait mieux, maintenant qu'elle était offerte à toute la puissance de son don ténébreux. Jean-François avait du comprendre, dès la première seconde, ce qu'elle tramait avec Simon. Dès le début, il n'avait eu aucune chance de s'en sortir. Le vampire avait laissé traîner le jeu, cruel prédateur. A moins qu'il n'ait été honnête. Si elle n'avait pas envisagé de partir. Elle avait tué Simon, plus encore qu'en déchiquetant sa chair.

La culpabilité gronda au creux du ventre d'Evangeline, se mêlant à la faim qui lentement brûlait sa gorge.

— Vous avez bientôt fini, demanda-t-elle.

Son ton, trop agressif, chantait des milles douleurs de la vampire. Jutta ne les releva évidemment pas, soufflant.

Un clic offrit plus de réponse à Evangeline que la moindre réponse. Elle jetta un dernier regard à la salle extérieure, emplit ses poumons des odeurs passées. Puis elle se rapprocha de Jutta. Elles pénétrèrent dans la pièce l'une derrière l'autre. 

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