23 - Le chant du vampire

Apolline ne tremblait plus en suivant le mortel. Elle avançait seulement, suivant tel un automate les ordres de celui qui l'effrayait plus encore que Jean-François ne l'avait jamais fait. Le Prince avait tous les attraits d'un Ange. La beauté, le sourire, la magnificence et le charisme.

Il semblait être le pire démon qu'elle n'ait jamais croisé.

Elle fut guidée jusqu'à une pièce à l'écart des autres. Le Prince lui emboitait le pas et elle pouvait sentir sur sa nuque le poids de son regard. Apolline sentait son corps trembler et l'affolement de son cœur, à l'instant, lui manquait terriblement. Aurait-elle été encore mortelle qu'elle n'aurait jamais mis les pieds dans ce lieu. Qu'elle serait restée à sa vie.

Apolline se sentait stupide de toujours revenir à ces souvenirs. Mais devant tous ces vampires et plus encore devant Jean-François, comment aurait-elle pu une seule seconde oublier le moment où tout avait dérapé ?

Le Prince la fit revenir à l'instant en s'asseyant dans un canapé de velours noirs. D'un simple regard, ne s'encombrant d'aucun mot, il demanda à la jeune vampire de le rejoindre. Elle obéit, docile créature pourtant encore si consciente de ces gestes. Il lui laissait, pas instant, le contrôle de son corps pour mieux lui reprendre. La frustration en était éprouvante et, des douloureuses aigreurs de son estomac naissant la colère.

Elle s'assit, touchant du bout des doigts le velours. Le tissu était d'une douceur d'hermine.

—Evangeline... soupira-t-il... J'ai tant entendu parler de vous... Tant eu d'échos de cette petite Apolline d'Apcher et vos multiples titres. Je ne pensais pas que Jean-François aurait le cran de vous rejoindre.

La vampire leva un sourcil interrogatif, observant le Prince prendre ses aises sur le fauteuil. Découvrait-elle enfin tout ce qu'on lui avait toujours caché ? Elle frémit. Ses yeux se plongèrent un peu plus dans ceux de son vis-à-vis, essayant de lire les mots qu'il n'avait pas encore prononcé.

Elle ne fit qu'agrandir son sourire.

Jamais Apolline ne s'était autant sentit l'âme d'une proie qu'avec ce Prince dont elle ne connaissait que le titre. Son nom était un mystère et il s'entourait de ces derniers comme d'une cape obscure.

— Vous ne croyez tout de même pas que le Gévaudan pouvait attirer une lupine sur ces terres sans raison ? Juta... est un très bon élément. Nous avons rarement la chance de croiser des bêtes aussi bien dressées.

Les lèvres de la vampire s'étirèrent sur son incompréhension, ses yeux s'arrondirent. Non....

—Vous semblez surprise Evangeline...

—Je m'appelle Apolline....

—Vous vous appelez comme votre sang l'a décidé, ne vous l'a-t-on pas déjà dit ?

Elle voulut ouvrir la bouche à nouveau, grogner toute la rage qu'elle retenait. Heurta un mur de glace, comme toujours. Il voulait parler et elle devait se taire. Sans autre choix que celui de l'obéissance. Il était Prince, elle n'était rien d'autre qu'une nouvelle née à peine consciente de son immortalité.

—Vous n'avez vraiment toujours pas compris ? Je pensais que votre sang mortel aurait eu la décence de vous rendre intelligente. Que l'Ordre ne s'étonne pas de disparaitre s'ils continuent à mettre au monde des êtres aussi faible d'esprit.

Devant le regard interloqué d'Apolline, il se leva. Immédiatement, elle se sentit libérée de ses chaines.

Le Prince se dirigea vers un immense tableau surmontant la cheminée. Il y était représenté, dans une tenue de roi, l'hermine sur ses épaules brillant comme un immense pied de nez aux Bourbons. Lui ne s'importunait d'aucune perruque. Sa beauté était plus réelle que les mensonges qui s'accrochaient aux pas de maitre de la France.

Le Prince prit la pose, ressemblant bien trop à son portrait.

Il accrocha un sourire différent de ceux qu'il arborait jusqu'à présent sur son visage et en revient à la vampire. Apolline ne bougeait pas, fascinée.

—Votre nom n'est pas inconnu de notre Assemblée. Votre père, son père avant lui et je pourrais remonter bien plus haut. Tous faisaient partie de l'Ordre. J'avais promis à votre ancêtre qu'un jour je tuerais votre Lignée. Qu'un jour vous m'appartiendrez. Les mots se sont perdus au fil des siècles mais les vampires n'oublient jamais. Rome était une si belle époque...

Apolline réagit trop vite. Elle s'enfonça plus encore dans le canapé, cherchant des yeux une issue. Il la terrifiait, il la terrifiait plus que tout ce qu'il avait pu faire depuis l'instant où elle l'avait rencontré. La vampire redevenait mortelle, proie sous les griffes d'un être trop vieux pour elle. Elle suppliait du regard, appelait à elle tout ce qu'elle pouvait. Déjà, entre ses doigts, elle sentait le tissu grincer. Déjà ses dents se faisaient crocs alors qu'elle feulait, dans un réflexe incontrôlable.

—Ne vous mettez pas dans de tel état Evangeline... Aujourd'hui vous êtes l'une des nôtres et même moi ne m'offrirait le privilège de vous détruire.

Il se pencha, laissa ses doigts glisser sur le menton de l'immortelle terrifiée.

Elle essaya de lui échapper.

Il crocheta sa mâchoire, l'obligeant à garder la bouche ouvert pour mieux dévoiler ses crocs.

Apolline feula à nouveau, essaya de se défaire de sa prise. Elle ne pouvait pas parler, suppliant pourtant si fort de son regard. Elle criait sans bruit alors que déjà l'azur de ses yeux se remplissait du carmin de ses larmes.

L'instant se figea alors qu'il attrapait, de son autre main, l'un de ses crocs.

Elle arrêta de bouger.

Son souffle, devenu hiératique, se stoppa.

Leurs yeux se trouvèrent, s'ancrèrent.

Il sourit. Puis la lâcha alors que ses lèvres s'étiraient sur une moue mutine. Apolline retomba sur le fauteuil, tremblant de tous ces membres. Elle n'essayait même plus de chercher une sortie, certaine que, quoi qu'elle tente, il la dépasserait. Il était plus vieux, trop dangereux. Ses doigts crochetèrent le fauteuil, essayant de trouver dans le meuble une présence rassurante.

—Evangeline... Vous nous aurez donné bien du traquât.

Sa voix était devenue immédiatement plus douce, presque paternel dans son ton.

—Mon petit, je vois que vous savez vous tenir et que, malgré votre manque certain d'éducation, vous respectez vos ainés. C'est une belle avancée contrairement à certains de nos semblables. Nous n'avons pas été présenté. Je suis le Prince de la cité de Paris. Gustave de Fay-Solignac. Octave pour certain, maitre de la Bannière, ainé de notre sang et Père des nôtres.

Elle ne répondit pas, évitant son regard, toujours figée sur ce fauteuil qui devenait sa seule porte de survie. Elle s'y accrochait comme une naufragée à la dernière planche de son navire sombrant. Apolline ne voulait pas entendre un mot de plus, se fichant bien des titres ronflants qui suivait ceux du Prince. Elle désirait disparaitre, ne jamais être revenu à la vie, ne pas appartenir aux dangereux prédateurs.

Gustave pencha la tête sur le côté avant de s'approcher à nouveau d'elle. Apolline se terra un peu plus, se rassembla un peu plus sur elle-même.

—Je vous ai dit qu'il ne vous sera fait aucun mal Evangeline. Je ne toucherai pas à mon sang. Jean-François vous a infanté pour vous ramener à nous... Maintenant que vous êtes enfin là... Il sera stupide de déjà vous perdre ne croyez-vous pas.

Il la fit relever la tête, plongeant ses yeux noirs dans ceux de la vampire.

Elle sentit son corps s'apaiser immédiatement. Une fois de plus, il ensorcelait son âme d'une magie qui la dépassait. Ses muscles crispés se détendirent et elle chercha d'elle-même la profondeur de son regard. Le Prince était hypnotique, lumière dont elle devenait le papillon. Il humait le danger le plus cruel mais elle ne parvenait à s'arracher à lui. Là, alors qu'il la goinfrait de choses obscures, elle se rapprochait. Elle en oubliait la prudence, la peur, la terreur.

Il ne la laissa pas l'embrasser.

Sourit alors qu'elle était trop proche puis stoppa la fascination.

Elle se reprit immédiatement, l'envie remplacée par une profonde gêne. Au moins avait-il calmé sa peur de ces pouvoirs. Apolline se sentait vidée, comme si elle avait vécu mille vie en une seule nuit. Il usait de trop de subterfuges sur elle, contrôlait la moindre de ses émotions avant de lui rendre le contrôle quand elle s'y attendait le moins.

— J'ose espérer que vous aurez compris, après notre bref entretient, qu'il est désormais de votre devoir de ne pas écouter cet Ordre de fou qui vous veulent parmi leur rang. Car sachez bien que dès votre mission terminée, ils vous détruiront, qu'importe tout ce que vous avez pu leur offrir. Sachez également que je ne vous laisse pas le choix. Si vous restez parmi nous après cette nuit, vous ferez partie de l'Assemblée et Jean-François sera chargé de vous éduquer. Si vous partez...

Il n'eut pas besoin de terminer sa phrase. La menace était là, chargée de milles murmures sous jacent. Elle les quittait et mourrait. Sans même avoir le temps de prendre une décision.

Le Prince quitta le fauteuil et s'approcha de la porte fermée. La main sur la poignée, il laissa une dernière fois couler sur regard vers Apolline. Celle-ci le soutient, férocement. Il la ramenait à sa vie de mortelle, lui faisait regretter tout ce qu'elle avait été.

Mais ne daignait pas voir le prédateur qui, alors qu'il sortait de la pièce, le toisait de toute sa rage depuis des siècles refoulés.


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