19 . Pour Notre Père

1771 | France, Paris, Maison Royale de Saint-Cyr

Paris avait des allures de vieilles dames qui ne pouvaient que faire naitre sur les lèvres d'Apolline un sourire. Par la fenêtre de son carrosse, elle retrouvait les rues trop chargées et les travaux incessants qui avaient rythmé sa mortalité. La capitale changeait et chaque nouvelle journée reformaient dans l'esprit de l'immortelle des souvenirs qu'elle pensait pouvoir perdre. La ville vivait, enflait et offrait toute la beauté de la France. Même sous la lune, même dans les ténèbres, les lumières éclairaient des visages fatigués.

La maison Royal de Saint-Cyr, dont on lui avait bien trop parlé lorsqu'elle n'était qu'une petite fille, attendait son centenaire avec flegme. Lorsque le carrosse entra dans la cour, le silence accompagna les sabots de chevaux. Il était tard, trop tard pour des demoiselles auxquels on apprenait les bonnes manières. Le froissement d'une étoffe fit pourtant tourner le visage d'Apolline dès qu'elle descendit, aidé par un page trop armé pour n'être qu'un domestique. Certaines jeunes filles semblaient accepter la déchéance de ce qui avait été un joyau de Louis XIV et même la pousser plus encore.

Apolline se contenta de rouler des yeux avant de rabattre sur son visage une lourde capuche de laine sombre. Ici, elle n'était pas professes et n'avait depuis longtemps plus l'âge d'être dans les classes. Elle était une étrangère, une de plus.

Elle suivit son guide, observant les décors sans plus s'attarder à leur beauté. Saint-Cyr avait été un cadeau, d'un romantisme inné, à la plus belle maitresse de l'ancien roi. L'école en gardait des traces, de son architecture complexe aux statues grecques entreposées comme autant de merveilles. Les jardins, bien loin de ceux de Versailles, fleuraient pourtant le chèvre feuille et le thym. Les yeux d'Apolline perçaient les ténèbres, à la recherche des fleurs. Un lierre, vampire végétal dévoreur de pierre, glissait le long du mur droit de la maison royale. Derrière sa masse épaisse, le visage d'une Gorgone se tapissait, observant les allées et retours de la cour.

Apolline n'eut pas la chance de franchir l'immense porte d'entrée et fut menée vers une autre, dérobée sur la gauche du bâtiment. Ils descendirent un escalier de bois et furent accueillit dans le plus grand silence. L'immortelle grinça des dents. Depuis que les moines l'avaient enlevé, elle avait l'impression de passer ses nuits dans des sous-sols religieux, en compagnie d'imbécile fomentant des complots dont elle ne comprenait ni le sens ni les aboutissements. S'ils la voulaient comme arme de proue de leur guerre, qu'ils le disent immédiatement. Elle se mettrait bien assez vite en chemin.

Mais ils gardaient tous le silence.

Une religieuse les attendait et derrière elle, assise à une table, une autre au visage fatigué et au teint pâle écrivait. Dès qu'ils pénètrent dans la pièce, elle leva la plume de son parchemin, plongeant ses yeux clairs sur le visage des nouveaux arrivant. Elle avait les traits durs. Son nez, droit, avait été cassé et remit maladroitement.

Tout en elle respirait l'autorité et la sagesse, jusqu'à ce qu'elle sourit. Immédiatement, elle rappelait à Apolline les sourires doux de Marie, maternels et réconfortants.

La vampire se détendit tout de suite et, lorsqu'elle s'assit, elle sentit autour d'elle l'air se faire plus opaque. Ses yeux se remplirent de questions, ses doigts se soulevèrent à peine.

— Ne posez pas de question auxquelles vous ne voudrez pas de réponses Mademoiselle d'Apcher. Le Baiser Maudit qui vous a étreint n'est pas le seul cadeau que peuvent offrir les Puissants.

Apolline ne répondit pas.

La sœur se leva. Autour d'elle, son voile s'évasait. L'absence de vent ne la touchait pas alors que l'élément s'enroulait dans le tissu épais. La religieuse était l'image même de cette Madone qu'Apolline avait vu toute son enfant, berçant le Seigneur de ses gestes doux.

La vampire aurait dû avoir peur et pourtant elle ne bougeait pas, hypnotisée par la sœur.

—Monseigneur ne vous a certainement pas mis au courant de votre mission au sein de notre capitale.

Apolline répondit par la négation à la question, toujours incapable d'ouvrir les lèvres.
Un soupire s'échappa de celles de la religieuse. Elle quitta l'arrière de son bureau et se mit à faire les cent pas, le regard de l'immortelle pour tout accompagnement.

—Le roi est vieux et le roi se meurt. Entre ses murs, les monstres ont vu l'occasion rêvés de s'engouffrer et de tenter de contrôler les esprits faibles. Ils dominent chacun avec leur esprit et, même avec l'aide de Sa Seigneurie, nous ne parvenons à les repousser. C'est là que vous interviendrez. Vous êtes une dès leur et ils ne vous reconnaitront que bien assez vite. Vous n'avez plus de père, vous n'avez plus d'origine. Jamais les gens de votre race ne laisseront l'une d'entre eux courir les nuits sans guide. Assurez-vous qu'ils vous retrouvent.

Les yeux bleus de la sœur se posent dans ceux d'Apolline. Elle s'arrête, devant la marquise, la toisant de toute sa hauteur. Son regard n'a plus rien de doux. N'en ressort que des plans, longuement ourdis.

—Puis prévenez-nous dès leur prochaine réunion. L'ordre sera prêt. Armé. Pour en finir une bonne fois pour toute avec les monstres de Paris.

—Ils reviendront.... murmura la vampire.

Elle ne récolta qu'un regard sombre. La nonne leva les yeux au ciel, avant de retourner s'assoir.

—Je me fiche qu'ils reviennent. Si nous les chassons de Paris, ils réfléchiront à deux fois avant de revenir hanter nos terres. Avec vous à nos côtés, nous frapperons fort. Je doute que ce message ne leur suffît pas. Qu'ils aillent se terrer en Gévaudan comme ils le firent autrefois.

—Le Gévaudan ?

—Vous y retournerez bien assez vite. Terminez votre mission à Paris et vous pourrez vous venger de ce qui a, pendant si longtemps, décimé vos terres.

—Vous le savez...

Un rire froid lui répondit. La Madonne avait déjà perdu de la grâce divine qui l'entourait. Alors que son pouvoir inconnu disparaissait, Apolline la voyait enfin comme elle l'était. Sa peau était parcheminée, trop vieille sous le voile noir. Au bord de ses yeux, les ridules de l'âge racontaient une peau qui n'avait jamais ris.

La marquise eut un mouvement de recul, s'enfonçant plus profondément dans son siège. Son instinct, ce même instinct qui se réveillait régulièrement, la mettait en garde. Cette femme était dangereuse, qu'importe qu'elle soit envoyée par Le Très Haut. Elle suintait d'une force cruelle.

Apolline se sentit mal. Son ventre la brula alors que sa tête devenait lourde et son esprit gourd. Les images de la nonne se lièrent à d'autres qui ne lui appartenaient pas. Elle entendait un autre cri à travers sa gorge et sentait sur ses bras et ses côtes la morsure de l'argent. Elle n'était plus dans son corps, elle n'était plus que spectatrice d'une tragique exécution.

Ils frappaient, encore et encore, d'argents et d'eau bénites sa peau blanche. Des râles s'échappaient de sa gorge alors qu'il grinçait des dents. Le cliquetis des chaines rythmait chaque nouvelle attaque. Ils ne lui laissaient aucun répit, vengeant avec application toutes les morts qu'il avait pu entrainer derrière lui. Le vampire grinçait des dents et gardait la bouche hermétiquement close. Ses crocs, arrachés, ajoutaient à sa douleur. Le sang coulait dans sa gorge, dégoulinait sur son corps.

La nonne, en face de lui, essuya la sueur qui coulait sur son front. Quelques mèches blondes s'étaient échappées de sa coiffe, collant à sa peau comme autant de serpents visés à sa chair. Elle leva à nouveau le bâton d'argent et il cambra à l'instant même où l'arme rencontra sa chair.

—Parle !

L'ordre resta sans réponses alors qu'il feulait.

—Nous défendons Paris, siffla la nonne, arrachant Apolline aux souvenirs qui n'étaient pas les siens. Votre petit problème de province ne concernait pas le roi et ne le mettait pas en danger. Et puis... vous avez bien fini par vous débarrasser de cette bête. Les Enfants de la Lune obéissent toujours à un maitre, vous avez certainement fait disparaitre ce dernier.

« Enfin, vous aurez bien le temps de comprendre tous les faits et aboutissants des vampires. Une mortelle vous attendra dans votre chambre pour que vous puissiez vous nourrir. Il va de soi que si vous la videz, vous serez exécutées dans la seconde qui suivra. Puis vous vous rendrez à Versailles. Le roi organise une nouvelle cérémonie pour une occasion quelconque. Assurez-vous que l'on vous voit et qu'on remarque la Marquise de Morangis. La disparition de votre époux a certainement fait grand bruit chez les... vôtres.

Elle avait craché son dernier mot comme une insulte, les lèvres pincées.

Apolline n'eut pas le temps de répondre qu'on l'entrainait déjà à l'extérieur. Ils ne lui avaient offerte aucune arme, pas le moindre moyen de les joindre. Pire encore. Elle ne voyait que les souvenirs, inconnus, qui avaient surgit dans son esprit.

Elle dû pourtant se plier aux ordres qu'on lui offrait. Une fois de plus, elle était devenue prisonnière d'une puissance supérieure. Et hurlait déjà de rage.

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