Chapitre 7
Chapitre VII
Je suis réveillée avant lui, le lendemain matin. L'heure était particulièrement matinale ; c'est en glissant un œil à mon portable que je me suis rendue compte de mes huit appels manqués. Lynn essayait justement de me joindre.
- Allô ?
- Si Demetes n'avait pas vendu la mèche, je t'aurai étranglée.
- Bonjour, Lynn.
- Il a fallu que je compte sur l'odieux cousin de Jasper pour avoir de tes nouvelles, Dal, c'est scandaleux. Vous êtes vivants, au moins ? Il a eu le temps de se remettre ?
J'ai jeté un regard sur la massive silhouette de Sephir, étendu de tout son long sur mon matelas, alors que j'avais fini par rejoindre la couche de Lynn après qu'il se soit endormi.
- Je crois qu'il va bien. Il respire.
- Tu viens en cours, ce matin ?
- Je ne crois pas. Je pense que je vais rejoindre ma sœur.
- Donc en plus tu me laisses seule en littérature. Ça va que c'est Baudelaire...
J'ai jeté un coup d'œil à l'horloge de mon téléphone, et j'ai repris l'appel.
- Ça va sonner, Lynn. Je te rejoins sans doute à la pause de midi, d'accord ?
- D'acc. Sa gueule à lui m'importe peu, mais prends soin de toi, Dalea.
Mon nom complet de la part de mes proches n'était jamais bon signe. J'ai raccroché, et je me suis levée en me rendant compte que je mourais de faim. Sephir était loin d'être réveillé. Sa respiration était lente et profonde. Il s'est déplacé sur le dos, pour finalement pivoter dans ma direction.
Qu'il avait l'air serein, ainsi.
- P'pa...
Il a froncé les sourcils dans son sommeil, s'est retourné à nouveau brusquement. Il a marmonné quelque chose d'incompréhensible, et j'ai fermé les yeux en décidant d'oublier ce murmure désespéré, et son visage qui, brusquement, n'avait plus du tout eu l'air serein.
J'avais faim. Je me suis levée en rabattant la couverture de Lynn sur les draps, et j'ai eu un dernier regard pour la photo qui dépassait du matelas. Achille, son petit frère, y souriait avec sa mère. Il pointait du doigt l'objectif.
« Il avait l'air tellement heureux que je le prenne en photo », m'avait confié Lynn d'un ton malheureux quand elle m'avait expliqué le cliché. « Mon père a brisé l'appareil deux semaines plus tard dans un excès de colère. »
Il n'y avait pas grand monde de jour-là, puisque la plupart des habitués étaient en cours, ou au travail pour les plus âgés. J'ai acheté un muffin au chocolat au bar, et je me suis assise à une table en face de Lia, une jeune Vietnamienne que j'avais rencontré l'année dernière.
- Ça va ?
Elle avait des cernes, un teint blafard, et elle tirait nerveusement sur une de ses mèches ébène en fixant le fond de sa tasse de café comme si elle avait peur d'être attaquée.
- Ça va. J'ai eu une nuit difficile, mais ça va.
Elle avait une ombre d'accent, un sourire adorable. Je lui ai souri en retour avant de rester silencieuse.
Dix minutes plus tard, une main s'est posée sur mon épaule. Je n'ai pas eu besoin de me retourner. J'avais reconnu l'odeur de Sephir.
- Je te ramène chez toi.
Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit, il avait déjà tourné les talons. Il n'a salué personne, mais tout le monde l'a regardé se diriger vers les grandes portes. J'ai salué Lia d'un mouvement de la main, et j'ai marché dans son sillage.
La proximité de Sephir contre moi n'était pas aussi tentatrice de la veille. Je me sentais inexplicablement triste ; sans doute parce que la façade de glace de Sephir s'était effondrée, et j'avais vu que lui non plus n'était pas incassable.
J'ai enfoui le nez dans son épaule pour ne pas regarder les routes autour de nous.
- Tu habites où ?
Je l'ai guidé pendant de longues minutes, jusqu'à ce que les ruelles me paraissent familières, et que j'ose reconnaître ma maison. Il a stoppé sa moto à quelques mètres de mon portail, et est resté religieusement silencieux alors que je relâchais mon étreinte, posant pied à terre, dans ma robe de la veille. Je lui ai tendu son casque alors qu'il essuyait ses yeux pleins de la poussière du voyage.
- Bon...
Je voulais rentrer chez moi, et être seule. Et pourtant, je n'arrivais pas à détacher mes yeux de son visage cireux.
- Sois prudent sur la route, ai-je simplement dit en soufflant sur une boucle qui tombait devant mes yeux, mourant d'envie d'enfouir mes mains dans des poches inexistantes.
Une ombre de sourire a roulé sur ses lèvres, sans atteindre ses yeux. Il semblait tellement triste, soudain.
Quand j'ai avancé le bras pour le passer autour de son cou, il m'a rendue mon étreinte d'un geste mou, sans vraiment réfléchir. Je suis restée ainsi pendue à lui juste le temps de murmurer dans son oreille :
- Si tu as besoin de parler, tu sais où me trouver.
Je me suis détachée, et il a enfilé la tête dans son casque, sans un mot. Il donnait l'impression depuis ce matin d'être en conflit avec lui-même. Ses yeux étaient vides.
- Tu es une personne bien.
J'ai relevé la tête en haussant un sourcil, mais impossible de voir son expression derrière la visière du casque. Sa voix était rauque.
- Je comprends pourquoi Jasper ne veut pas que je te voie.
Et, sans une explication, il a mis le contact, a fait demi-tour au coin de la rue, et sa silhouette a diminué jusqu'à disparaître complètement.
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