Chapitre 4
Chapitre IV
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit !
Mon ton était presque en colère.
- Qu'est-ce que tu voulais que je te dise ? Que le cousin orphelin et complètement taré de Jasper est splendide ? Ce n'est pas important, Dal. Ce qui est important c'est qu'il est dangereux. Même Katrina le dit, et pourtant Dieu sait qu'elle voit le bien partout. Reste loin de lui. Est-ce qu'il t'a touchée ?
La voix de Lynn grimpait à mesure qu'elle parlait.
- Non. Il n'était même pas défoncé. Et il a l'air gentil. Je ne vois pas pourquoi vous lui en voulez tous. Qu'est-ce qu'il a fait de si grave ?
Les yeux ardents de Sephir ne voulaient pas quitter mon esprit, et je n'arrivais pas à me dire que cet amoureux du silence et des histoires puisse être l'enfoiré que Jasper avait dépeint pendant des heures.
- Arrête, Dalea, tu lui as parlé trois minutes.
- Et alors ! Vous exagérez.
Lynn a serré les dents. Son regard s'est durci.
- Dal, c'est bon, a-t-elle grondé. Changeons de sujet.
- Très bien, ai-je déclaré en me crispant. Changeons de sujet. Mais je suis sûre que vous vous méprenez sur son compte.
La journée a suivi son cours sans réel accroc. Jasper était plus irritable que jamais.
- Tu veux que je vienne chez toi pour t'aider ? ai-je soupiré en le voyant râler pour la millième fois.
Son regard a glissé sur moi, mais il a vite secoué la tête. J'ai froncé les sourcils. Je ne me souvenais pas avoir déjà obtenu cette réponse de sa part.
- Je préfère que tu restes aussi loin que possible de mes cousins.
Je me suis raidie. Il avait l'air très sérieux. Une colère sourde a commencé à se bâtir dans mon ventre, et j'ai serré les poings un bref instant.
- Quand vont-il chez leur grand-mère, dans ce cas ? ai-je demandé d'une voix aussi douce que possible.
- Je ne sais pas. Dans beaucoup trop longtemps, a craché Jasp.
Il a essayé de se concentrer sur ses exercices de maths. Autour de nous, les chuchotis des élèves rassemblés dans la bibliothèque nous forçaient à ne pas monter le son.
Je me suis efforcée de me plonger dans les vers de Baudelaire, mais Jasper continuait de pester pour un rien.
- Saloperie de x qui n'est pas foutu de se mettre au carré tout seul...
- Jasp, tu es sûr que ça va ?
- Certain.
J'ai abandonné. Si ce n'était pas lui qui venait vers moi, alors il ne dirait rien du tout. Je le connaissais bien. Et ce n'était pas en insistant qu'il me donnerait ce que je désirais.
- Je pense que la cohabitation avec ces imbéciles va être difficile, a finalement avoué Jasper, presque à contrecœur.
- Pourquoi donc ? ai-fait en feignant l'étonnement.
- Simple impression. Ils ne sont même pas odieux, pour le moment. Juste silencieux. Ils n'ont pas prononcé un mot devant mes parents au dîner hier. Ils restent toujours tous les deux, et...
- Jasp, ils viennent de perdre leurs parents.
Jasper a ouvert la bouche, comme pour balancer une réplique acerbe, mais rien n'est venu. Il a serré les dents.
- Tu as sans doute raison. Il suffit d'être patient.
- Exactement.
Un ange est passé. Finalement, une silhouette à la toison châtain clair à quelques pas de là a attiré mon œil. Jasper l'a remarquée aussi, et il a grogné.
- Rien de nouveau avec elle non plus ? ai-je tenté.
- Si. Elle m'a envoyé bouler hier.
Violet Duncan retenait l'attention de Jasper depuis le début de l'année. C'était d'ailleurs assez pénible de l'entendre nous poser des questions, à Lynn et à moi, sur le pourquoi du comment elle lui parlait pour ensuite l'ignorer, et attendait toujours que ce soit lui qui aille lui parler. Personnellement, je voyais mal comment on pouvait résister à Jasper. Mais Violet avait trouvé le moyen de dire non, ce qui ajoutait à l'irritabilité de mon ami.
- Pas prête à s'engager, a grommelé Jasper. Responsabilités, gnagnagna...
J'ai étouffé un rire.
Ce soir-là, quand nous nous apprêtions à nous dire au revoir, tous les deux, Jasper m'a attrapé le poignet pour me tourner à nouveau vers lui.
- Dal, si je peux te demander un service...
- Oui ?
Au fond, je savais ce qu'il allait me demander. Mais je voulais l'entendre le dire.
- Reste loin de Sephir et Demetes. S'il te plaît.
- Pourquoi ?
Ce n'était même plus tourné comme une question.
- Parce que... Parce que Sephir m'a un peu parlé de toi hier sur le chemin du retour, et c'est mauvais signe. S'il te plaît, Dal, crois-moi. Ni lui ni son frère ne sont dignes de confiance, et...
- ... et je n'ai pas treize ans, je sais me faire mon propre opinion des gens. Et ton cousin a l'air tout ce qu'il y a de plus normal. Je ne suis pas une gamine !
Nous étions en plein milieu du passage, et quelqu'un a fini par me bousculer. Je me suis retournée pour l'insulter, sous le coup de la colère, et Jasper a grimacé.
- Lynn et moi...
- Quoi, Lynn et toi ? ai-je presque hurlé. Qu'est-ce que vous pensez qui est le mieux pour moi ? Un couvent ?
- Sephir...
- ... est quelqu'un comme toi et moi, mais orphelin, qui a besoin d'autre chose que de se sentir brimé à longueur de journée.
- Crois-moi, il n'a besoin de rien, et il ne mérite rien de personne, a grondé Jasp.
- C'est ça. Passe-lui le bonjour.
Je l'ai dépassé sans un mot de plus.
Je n'avais pas envie de prendre le bus, ou de demander à quelqu'un de me ramener. J'ai avalé les vingt minutes de marche qui séparaient le lycée de ma maison, et quand j'ai poussé la porte, je me suis sentie démesurément vide.
J'avais toujours trouvé ma maison trop grande, trop sombre, un brin vieillotte. Le hall immense était grisé de papier peint foncé, et dans l'escalier étaient accrochés des miroirs austères. Les lourds tapis, les buffets anciens, les chandeliers et les lustres poussiéreux... la seule pièce que j'avais toujours trouvé à mon goût était ma chambre.
C'était l'endroit le plus lumineux de la maison. Le lit était contre le mur, juste sous la grande fenêtre, et les murs étaient littéralement tapissés d'étagères recouvertes de livres. Il n'y avait ni vingt poufs, ni des dizaines de bougies, juste ce qui me tenait à cœur. La seule photo que je possédais, celle de ma sœur et ma mère, était à l'Orion, parce que c'était là-bas que je passais la plupart de mes nuits. Mais ma mère rentrait ce soir, et restait trois jours. Alors j'avais bien l'intention de profiter d'elle. Mieux encore : demain, ma sœur rentrait. Et ça, ça n'avait pas de prix.
En attendant, le silence de la maison s'est abattu sur moi à mesure que le soleil déclinait. J'ai lu, un peu. Pas grand chose, juste histoire de me dire que j'avais fait quelque chose de ma soirée. J'ai dormi. Une heure. Je me suis fait une tartine. Ma mère ne devait pas tarder. Elle avait dit qu'elle ne rentrerait pas tard. J'ai regardé ma montre. Neuf heures. J'ai soupiré. Je suis remontée dans ma chambre.
Allongée sur mon lit, dans une semi-pénombre, seulement tranchée par la lumière de ma lampe de chevet, j'ai repensé à Sephir. A la couleur de ses yeux. Un acier brûlant et ravageur. J'ai fermé les yeux comme pour mieux visualiser leur couleur. Pourquoi tout le monde semblait ainsi le repousser constamment ? Il ne pouvait pas être si mauvais.
Et dans tous les cas, je voulais voir par moi-même.
D'un air déterminé, je me suis relevée, et j'ai enfilé un pull noir par dessus mon débardeur léger. J'ai saisi mon sac et j'ai jeté un rapide coup d'œil au miroir accroché au mur qui me faisait face.
Pour être honnête, je ne m'étais jamais trouvée jolie. Focalisée sur les défauts de mon visage pâle, j'ai frotté une poussière de mascara qui s'était abîmée sur ma joue, et j'ai secoué la tête pour ébouriffer mes cheveux. On ne pourrait rien faire de mieux de toute façon. J'ai dévalé l'escalier, enfilé mes chaussures, et fermé la porte à clé derrière moi.
Jasper n'était qu'à dix minutes de marche. Il ne faisait pas si froid. Je me sentais bien.
Une fois parvenue à sa haute maison claire, j'ai frappé à la porte, avant même de me rendre compte que je n'avais aucune excuse pour lui rendre visite. Il était tard. Quasiment vingt et une heures trente. Heureusement que Katrina avait l'habitude de mes visites inopinées.
Je me préparais à inventer un prétexte, n'importe quoi, quand un jeune homme uniquement vêtu d'un jean noir, avec un air particulièrement nonchalant, a ouvert la porte.
Sephir n'a rien dit, pas le moindre mot. Il ne semblait même pas se rendre compte qu'il était à moitié nu. Je n'ai pas hésité une seconde de plus, et j'ai plongé dans ses yeux.
Son regard était hypnotisant. J'en avais le souffle coupé. Je suis restée ainsi trois secondes, perdue dans cette mer glacée. Sa froideur était tangible. Elle m'empêchait d'avancer.
- Sephir ? Qui est-ce ?
Il n'a pas répondu. Son regard est resté accroché au mien une seconde, et il a baissé les yeux. Son corps s'est très lentement détourné. Sa tête a tourné sur son axe pour croiser le regard de Katrina. Et sans un mot, sans une parole, il s'est retourné, toujours très lentement, avant de monter les marches de l'escalier une à une, ne montrant que le dessin splendide de ses épaules et des muscles de son dos. Il était tatoué. Et ces dessins étaient hypnotiques.
-Dalea ! Qu'est-ce qui t'amène ?
Je n'ai pas tout de suite entendu Katrina. Je ressortais à peine de ma pathétique fascination pour cet homme.
- Je voulais...
Je n'ai pas fini ma phrase. Sephir est arrivé en haut de l'escalier. Il s'est arrêté. Mon souffle s'est suspendu.
- Je voulais juste voir comment vous alliez et si vous aviez besoin de quelque chose, ai-je dit plus bas.
Les épaules de Sephir se sont détendues. Il a tourné à droite pour se diriger vers sa chambre. Une ombre de déception a voilé mon cœur. Comme si j'avais échoué à un test.
-C'est gentil. Tu peux rentrer un peu, si tu veux. Jasper est dans sa chambre.
-Maman ?
Il n'était plus dans sa chambre, manifestement. Jasper a dévalé les marches.
- Il y a un problème ?
- Non,Jasp.
- Bonsoir, a fait une nouvelle voix.
Demetes ne ressemblait pas vraiment à Sephir. Pourtant, sans savoir pourquoi, j'aurai probablement deviné qu'ils étaient frères en les croisant dans la rue. Il avait les cheveux aussi sombres que son cadet, mais il était un peu plus grand, un peu plus musclé, son visage était plus marqué, et ses yeux étaient bleu glacial. Impérieux.
- Bonsoir, ai-je répondu alors que l'homme n'attendait pas ma réponse et montait les escaliers.
- Enfoiré, a grogné Jasper quand la porte s'est refermée.
- Jasp, s'est indignée Katrina.
- Je suis sérieux, a répondu son fils. J'espère qu'ils vont bientôt dégager.
J'avais revu Sephir. Et ça avait été une bouffée d'air incroyable.
Maintenant que je marchais pour rentrer chez moi, je me sentais étrangement vide.
Ma mère était peut-être déjà à la maison. Je me sentais fatiguée rien qu'à cette idée. Maman et moi, nous n'avions jamais été très proches. Pourtant, presque par obligation, on se parlait, on se racontait nos vies, on se croisait en souriant. Moi, ça m'insupportait. Parce qu'au fond je savais que nous n'étions pas sincères l'une envers l'autre. Avant, Rose, ma sœur, veillait sur moi pendant que ma mère vaquait à ses occupations à droite à gauche. Avec son départ à l'université, je m'étais retrouvée très seule.
Ma sœur était le parfait inverse de moi. Elle était aussi blonde, pétillante, lumineuse et souriante que j'étais brune, effacée, froide et terne. Rose, elle portait bien son nom. Fraîche comme les pétales d'une fleur et douce comme de la soie. Dans mes premiers poèmes, je la comparais à la rosée du matin. Elle avait toujours aimé cette comparaison. Moi, plus je relisais mes poèmes, et plus je me disais que c'était absolument gnangnan et surfait.
Mais Rose riait. Et quand Rose riait, je riais aussi.
Ça avait toujours été comme ça. La plus belle, la plus vive, la plus drôle de nous deux. Et je ne lui en voulais pas. Au contraire. Je voulais presque m'effacer pour la regarder rayonner. C'était un spectacle magnifique, Rose qui souriait. Je l'avais toujours enviée. Jamais jalousée.
Et quand je suis rentrée au collège, puis au lycée, et que les profs voyaient que nous avions le même nom de famille, j'avais toujours le droit à ce regard curieux par dessus la liste de classe, le regard qui cherche la petite voix timide du « présente ». Quand cette paire d'yeux me trouvaient enfin, c'était une surprise presque tangible, un froncement de sourcils. Un coup d'œil à la liste pour vérifier qu'ils ne s'étaient pas trompés. Un commentaire, souvent. « Vous êtes la sœur de Rose ? », « J'ai eu votre grande sœur il y a quelques années. ». Pour les plus surpris, la réponse était souvent quelque chose comme « Dalea, c'est... original, comme prénom. »
J'avais appris à faire face à ce genre de réaction, et ça ne me dérangeait pas. Quelque part, un peu naïvement, j'avais été presque heureuse d'être mise à côté du portrait si brillant, si parfait de ma sœur. Maintenant, j'avais grandi, j'avais changé. J'essayais de me rendre compte de mes choix, et souvent, les gens comprenaient. Ils ne me comparaient plus à Rose, ni à ma mère. Ils me connaissaient, moi et juste moi, et ça me suffisait. Ça m'aidait à oublier que ma sœur me manquait. Ça m'aidait à grandir, aussi.
« Lève la tête ! disait souvent Lynn. Arrête de regarder tes pieds ! ».
Bon, c'était pas encore ça. Je préférais regarder mes pieds. Je préférais que ce soit Lynn qui parle, Lynn qui me raconte sa vie et ses livres.
Quand je suis finalement arrivée devant ma porte, la lumière dans la cuisine m'indiquait que ma mère était rentrée, et que de chaleureuses retrouvailles s'imposaient. J'ai collé un sourire sur mon visage, et j'ai poussé la porte.
- Maman ?
- Dalea, ma chérie. Où étais-tu ? J'ai essayé de t'appeler.
Elle n'avait pas l'air particulièrement inquiète. Elle était dans la cuisine, je ne voyais pas son visage. J'ai commencé à monter les marches.
- Chez Jasper.
J'ai fermé la porte de ma chambre, et j'ai titubé jusqu'à mon lit pour m'y laisser tomber. La violence de ses yeux ne voulait pas me lâcher. Outre la couleur démentielle de ses iris, son être entier semblait rejeter toute trace de chaleur humaine. Pourtant, il transpirait de feu et de lave. Comme lorsque la neige vous glace au point de vous brûler.
Sa froideur m'avait pourtant parue bien différente de notre soirée à l'Orion. Je me suis mordue la lèvre, et je me suis assise sur mon lit. D'une main, j'ai extirpé du bureau de ma table de nuit le calepin de feuilles noircies que je promenais ordinairement avec moi. J'en ai déchiré une, ne désirant pas garder le projet que j'avais en tête. Et j'ai écrit. Les mots se sont déroulés sur la feuille avec une fluidité remarquable. Je ne réfléchissais même plus.
Ce n'était qu'une liste.
Quand ma tête était trop pleine d'idées et d'images, je faisais des listes des mots me rattachant à ces pensées. Souvent, le résultat était aléatoire.
Écrire ces mots sur Sephir n'avait pas grand sens. Il y avait des mots simples, concrets, des mots que n'importe qui aurait pu trouver pour le décrire.
« Gris »
« Cigarette »
« Grand »
Plus je continuais ma litanie incessante, et plus je voyais naître des mots qui se regroupaient tous plus ou moins. Son regard, par exemple. « Gris », « ardent », « perle »,« brûlant », « brume ». ¨Puis il y avait les mots qui se rattachaient directement à ce que Sephir inspirait. En relisant ma liste, ma gorge s'est serrée. « Froid »,« sombre », « obscur » étaient ceux que j'avais écrit en premier.
« Glaçant »
Compréhensible.
« Silence »
Sa voix retentissait encore dans ma tête. « C'est tellement beau, un silence. »
« Splendeur »
Je ne regrettais pas ce mot le moins du monde.
La troisième catégorie était faite de mots beaucoup plus... abstraits. Des mots auxquels j'ai dû vaguement songer après tout pour comprendre le sens qui les raccrochaient à la personne de Sephir.
« Rouge »
La passion, peut-être. La rage, la haine. Deux mots qui auraient largement pu faire partie de ma liste.
« Lointain »
Probablement l'expression d'une idée d'inaccessibilité.
« Noir »
Avais-je réellement besoin de me l'expliquer ? C'était ce que Sephir m'inspirait. Pour de multiples raisons qui se rattachaient sans doute à celles déjà exprimées. J'ai enfin jeté un coup d'œil au premier, puis au dernier mot de ma liste. Souvent évocateurs. Le premier était « froid ». Le dernier...
- Dalea ?
J'ai levé les yeux. Maman venait d'entrer. Elle était encore en tenue de travail. Elle avait simplement lâché ses cheveux châtain dans son dos. Elle m'a souri.
- Tu as passé une bonne journée ? Qu'est-ce que tu faisais chez Jasper ?
- Il a perdu son oncle et sa tante dans un accident de voiture il y a une semaine environ. Ses cousins sont venus habiter chez lui en attendant de déménager chez la grand-mère paternelle. Tu devrais envoyer une carte.
Le visage de ma mère s'est aussitôt décomposé. J'ai baissé les yeux sur la couverture de mon lit. J'avais peut-être jeté la nouvelle avec un air trop détaché.
- Je voulais voir s'ils avaient besoin de quoi que ce soit, ai-je ajouté en essayant de ne pas avoir l'air trop piteux.
- Tu as bien fait. Les pauvres... Je passerai à l'occasion.
Un silence un peu gêné a suivi. Nous nous sommes toutes les deux éclaircies la gorge. Un petit rire nerveux a franchi ses lèvres pulpées par un rouge à lèvre bordeaux.
- Tu as donc rencontré ses cousins ? Ont-ils besoin de quoi que ce soit ? Je peux regarder à la cave s'il reste des affaires de ton père...
- Non, ça va. Ils n'ont besoin de rien.
- Très bien. Et Cléa ? Comment va-t-elle ?
La grande sœur de Jasper avait le même âge que Rose. Elles s'entendaient bien, toutes les deux. Ça avait sans doute aidé ma mère à accepter mes nuits chez Jasper et mes escapades nocturnes ou après les cours. Elle-même aimait beaucoup Katrina et son mari.
- Elle va bien. Londres lui plaît beaucoup, de ce que j'ai compris. Jasper a des nouvelles assez régulièrement. Je lui en demanderais, si tu veux. Je le vois demain.
- D'accord. Eh bien... je suis dans ma chambre si tu as besoin de quoique ce soit.
- Bonne nuit Maman.
- Bonne nuit Dalea.
Elle a refermé la porte presque silencieusement. Je suis restée immobile un instant, et j'ai regardé à nouveau ma liste de mots, qui, habituellement, m'aidaient à poser des termes clairs sur des émotions abstraites que je n'arrivais qu'à effleurer. Cette fois-ci, au contraire, ma liste ne m'aidait pas. Elle m'enfonçait. Il y avait des termes extrapolés que je ne comprenais pas. Il y avait des images qui surgissaient dans mon esprit. Les lettres dansaient devant mes yeux en une fantaisie nouvelle. J'ai écrit son nom, sur le verso de la feuille.
Sephir.
La rondeur de la calligraphie de ces six lettres me toucha inexplicablement. Un nom que je trouvais emprunt d'une douceur infinie mais aussi d'une forme de beauté poétique presque violente. Je l'ai murmuré à haute voix. Sephir. La pierre, le vent.
Puis, après de longues minutes de réflexion, je me suis penchée sur ce dernier mot que je n'avais toujours pas analysé. A sa vue, j'ai fermé les yeux, et j'ai rangé mon calepin.
Non, cette liste ne m'avançait à rien.
Le dernier mot résonnait encore dans ma tête que j'ai réussi à m'endormir.
« Parti »
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