Chapitre 10

Chapitre X



Dire que j'angoissais pour cette soirée était un euphémisme. J'étais littéralement morte de peur, dans ma chambre, essayant tant bien que mal de trouver une tenue adéquate. En même temps, j'étais au téléphone avec Jasper, qui angoissait lui aussi, mais pour des raisons bien différentes.

- L'événement Facebook a presque quatre cents participants. Dal, imagine, on n'a jamais fait autant. Les gens n'arrêtent pas de m'envoyer des messages de soutien, et je crois qu'il y aura des amis de Cléa. Max stresse comme un fou. Tu ne veux pas l'appeler ?

- Je passerai dans les loges pour vous dire bonne chance, ai-je promis. Ça va bien se passer, Jasp. J'en suis sûre.

- Si le public n'est pas réceptif, on est foutu.

- Tu peux être sûr que je serai au premier rang en train de hurler comme une groupie.

- C'est gentil, Dal. Je dois faire une dernière mise au point avec le groupe, à tout à l'heure. Tu passes, hein ?

- Oui, promis.

J'ai raccroché au moment où ma sœur entrait pour me trouver en panique.

- Alors, tu sors ?

Rose s'est assise sur mon lit en secouant les doigts dans l'espoir de faire sécher son vernis plus rapidement.

- Ouais.

J'ai jeté une robe sur le lit, attrapé un vieux tee-shirt un peu ample.

- Certainement pas, a tranché Rose alors que je regardais le vêtement avec tendresse.

Elle a soupiré, et a rejeté ses cheveux dans son dos avec un savant mouvement du poignet, doigts recroquevillés.

- C'est Sephir ?

J'ai hoché la tête, plus stressée à l'idée de ma sortie qu'à celle de sa réaction. Elle a baissé les yeux, comme en proie à une intense réflexion, et s'est levée.

- Bon. Tâchons que tu sois inoubliable, alors.

Elle n'aimait pas l'idée que je sorte en compagnie de Sephir, je le voyais bien, et pourtant, lèvres serrées, elle m'a indiqué une robe très confortable et plutôt longue, dans une matière qui ne manquerait pas de souligner combien j'aimais le chocolat.

- Celle-là. Tu seras très belle dedans.

Rose me disait toujours que je serai très belle dans tel ou tel vêtement. Cette phrase m'avait accompagnée presque toute ma vie : le jour de la rentrée des classes, de ma première boum, de cette fête chez Yasmine en fin de troisième, du restaurant avec Maman quand Rose nous a annoncées qu'elle était acceptée à l'université.

Mais, cette fois-ci, j'ai secoué la tête.

- Tu ne penses pas qu'un jean suffira ?

Et je me suis mordue la lèvre avec véhémence.

- Non, bien sûr que non, ai-je marmonné. C'est évident.

- Essaye, a soupiré Rose en plaquant la robe choisie sur mon torse. Je trouverai autre chose pendant ce temps.

J'ai obéi, et enfilé un peu laborieusement la robe en rabattant honteusement mes cheveux sur ma poitrine. Rose m'a regardée des pieds à la tête.

- Peu pratique pour un concert, a-t-elle lâché. Hmm...

Elle a fouillé dans ma penderie encore un peu et a jeté sur moi un pantalon noir taille haute – sans doute mon préféré, avant de sortir de la chambre, pour revenir quelques secondes plus tard en tenant un haut noir entre ses mains. Je l'ai déplié devant moi. Le décolleté était un entrelacs de fils noirs croisés qui laisseraient voir ma peau.

- Euh...

- Essaye. Il a l'air super provocant, mais il passe très bien.

- On n'a pas la même poitrine, Rose.

Elle a levé les yeux au ciel.

- Essaye, bon sang !

- Je suis sûre que ça va me faire des seins énormes, ai-je grogné en enlevant la robe précédente.

J'ai regardé machinalement le réveil sur ma table de nuit, et la panique m'a gagnée.

- Il arrive dans vingt minutes ! Merde !

- Respire un bon coup, a dit Rose en riant. Je te promets que ça va passer.

- Je ne me suis pas encore maquillée !

- Vingt minutes, c'est suffisant.

J'ai juré un bon millier de fois en enfilant de haut noir, et quand je me suis regardée dans le miroir, j'ai effectivement paniqué davantage.

- C'est n'importe quoi !

- Mais non, ça passe, je t'assure. De toute façon, tes seins sont là, tu ne pourras pas les faire disparaître. Mets une veste. Et va à la salle de bain. Ne me regarde pas comme ça, ils ne sont pas si énormes, bon sang !

J'ai lâché une dizaine de nouvelles insultes et j'ai foncé dans la salle de bain.

- Prends mon maquillage, a proposé Rose alors que je cherchais désespérément un pinceau adéquat dans son immense trousse. Dal, calme-toi, tu es bien stressée.

Elle m'a faite asseoir sur le rebord de la baignoire en riant, et a entrepris de me maquiller les yeux avec bien plus de calme que je n'en aurai jamais.

- Désolée, ai-je marmonné.

- Ne t'excuse pas. Le connaissant, il sera en retard.

Elle a soupiré en tapotant le pinceau plein de fard sur son poignet. J'ai préféré ne pas relancer.

- Fais attention ? a-t-elle tenté en formulant clairement sa requête comme une question.

J'ai souri, en essayant d'avoir l'air confiante alors que mon cœur semblait prêt à se décrocher à la simple perspective d'une sortie avec Sephir.

Depuis quand étais-je aussi réceptive à son charme ?

- Oui.

- Je ne veux pas te retrouver comme Jana, a-t-elle soufflé.

J'aurais menti si j'avais prétendu ne pas me souvenir de ce prénom. J'y pensais beaucoup trop souvent, en réalité.

- Ne t'inquiète pas.

Elle m'a regardée avec tellement d'inquiétude que je me suis demandée pendant un instant si elle n'allait pas m'empêcher de sortir.

- Fuis si tu sens quoi que ce soit d'inhabituel, a soupiré Rose en se redressant, rangeant ses palettes et ses pinceaux.

La sonnette a hurlé la fatidique entrée en scène de Sephir, et je me suis relevée d'un bond.

- Merde, merde, merde !

- Calme-toi !

Elle a presque ri. Presque.

- Merde ! Meeerde !

Paniquée, j'ai regardé autour de moi dans l'espoir de trouver ma veste et mes chaussures entre la baignoire et le lavabo. J'ai quitté la salle de bain en courant, attrapé la première paire de pompes que je trouvais, et j'ai arraché ma veste en cuir du porte-manteau. Je me suis regardée dans le miroir de l'entrée, admirant par la même occasion le travail de Rose, et j'ai pris deux grandes inspirations en essayant désespérément de rabattre les pans de la veste sur ma poitrine que je n'allais clairement pas assumer pendant cette soirée.

J'ai ajusté la descente de mes cheveux, remonté une dernière fois mon jean, sous les yeux narquois et inquiets de ma sœur, à l'étage, et j'ai ouvert la porte.

Mon souffle s'est coupé. Sephir était tellement beau que ça en faisait mal aux yeux. Il avait l'air de meilleure humeur que la dernière fois – et heureusement. Il m'a souri d'un air confiant.

- Bonsoir.

- Salut, ai-je murmuré en souriant un peu plus timidement.

Il a levé la tête vers ma sœur qui descendait les marches, avec la soudaine prestance d'une impératrice.

- Soyez prudents, et amusez-vous bien.

Il a hoché la tête avec un sourire à faire fondre un iceberg. Autant dire que mon cœur n'a pas résisté plus longtemps.

- Promis je te la ramène en entier, a souri Sephir en posant une main sur mon épaule alors que je saisissais mon sac.

- Ce ne serait pas de refus, a raillé Rose en posant la main sur la poignée. Passez le bonjour à Jasper.

Elle m'a embrassée sur la joue et a fermé la porte.

- Comment ça va ? a été la première question stupide qui a franchi mes lèvres ce soir-là.

Il n'a pas arrêté de sourire en se dirigeant vers sa moto. Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi élégant en jean et en T-shirt. C'était tellement injuste que je lui aurai presque fait une remarque, mais j'ai préféré prendre sagement place derrière lui alors qu'il répondait d'un ton rauque :

- Plutôt bien. Et toi ?

- Super.

Il a mis son casque, m'en a tendu un deuxième avec un clin d'œil, et a mis le contact. J'ai retrouvé un peu honteusement mais avec bonheur le contact de son corps contre le mien, et il s'est tendu instinctivement.

L'Orion était bondé. J'étais surprise qu'autant de monde ait fait le déplacement. Sephir a garé sa moto, je lui ai rendu son sac, et j'ai regardé autour de moi.

- Salut, Dal !

- Dal, ça va ?

- Eh, Dal !

J'ai salué ou embrassé certains visages en attendant que Sephir ne me rejoigne. Il m'était étrangement plus facile de parler avec lui dans un moment comme celui-là, où il était poli, avenant, et où il prenait facilement les choses autour de lui, sans regard noir ou sans réplique glacée.

- Voici Lia et Alexeï, ai-je présenté alors que Sephir tendait une main étonnamment longue aux deux jeunes adultes.

J'ai parlé trente secondes avec Lia, trente secondes pendant lesquelles Alexeï et Sephir ont oscillé entre le russe, le français et l'anglais dans une fluidité à rendre jaloux un polyglotte.

- On se voit plus tard, ai-je proposé avant de prendre instinctivement la main de Sephir.

- Ils sont cool, a-t-il dit alors que je souriais, confiante et heureuse.

- Oui. Hum... j'ai promis à Jasper que je passerais le voir avant le début de son concert... tu veux m'accompagner ?

Il a eu l'air surpris mais a haussé les épaules.

- Si tu veux, oui.

Nous avons fendu la foule, et à l'intérieur, l'ambiance était étouffante et bondée. Il y avait des lumières plus tamisées, des réductions sur les boissons, et de manière générale, beaucoup de rire et de raclements de bancs.

Tobias m'a sauté dessus, un bras passé autour du torse d'un Théo souriant, dans un parfum d'amour insouciant et magnifique. J'étais toujours incroyablement heureuse de les voir ensemble.

- T'es enfin là ! Jasper va péter les plombs ! Il est hyper stressé ! Tu as vu tout ce monde ?

Théo a jeté un regard brillant à Sephir, et lui a tendu la main avec chaleur.

- Salut, on ne se connaît pas. Je m'appelle Théo.

- Sephir, a répondu l'intéressé en serrant sa main sans hésiter une seule seconde.

J'étais intimement soulagée que Sephir n'ait apparemment pas de problème avec les homosexuels.

- Je vais voir Jasper, alors, ai-je souri en embrassant leurs joues. A plus tard.

- A plus tard, Dal, ont-il répondu en cœur avant d'éclater de rire et de repartir vers Reyan, débordé, au bar.

- C'est cool qu'ils assument leur sexualité comme ça, a dit Sephir alors que nous nous engagions dans le couloir qui menait aux loges.

- Oui, c'est génial. Tobias a eu de gros problèmes avec sa famille à ce sujet. Ça va mieux, aujourd'hui.

J'ai hésité.

- Ça te pose un problème ?

Sephir a paru outré.

- Moi ? Aucun. Les homophobes ne sont que des bâtards ignorants.

J'ai souri. Il a instinctivement cherché ma main et a enlacé nos doigts alors que je frappais à la porte. J'avais l'impression que tous les nerfs de mon corps s'étaient donnés rendez-vous dans ma paume. Une très brève seconde, l'idée que Max puisse me voir avec un autre homme m'a effleurée, et s'est ensuite envolée très loin, alors que je souriais une dernière fois à Sephir, plus beau que jamais sous les lumières.

Mon stress et mon angoisse étaient partis bien haut.

Quand j'ai pénétré dans la loge, Jasper s'est levé d'un bond du fauteuil où il avait élu domicile. La loge était éclairée d'une lumière jaunâtre et artificielle, avec deux gros miroirs et quelques chaises.

- J'ai cru que tu n'allais pas venir, a lancé Jasper alors que je lâchais la main de Sephir pour étreindre Jasper de toutes mes forces.

Il y avait assez peu de marques d'affection entre lui, Lynn et moi. Nous savions tous les trois ce que nous pensions les uns des autres ; nous n'avions pas vraiment besoin de nous dire que nous nous aimions. Nous nous le montrions au quotidien, et c'était assez. Mais depuis que j'étais amie avec Jasper, chaque événement marquant se voyait gratifié par de longues étreintes et des bonne chance à tout-va.

J'ai cru que Jasper allait faire craquer mes côtes, mais il a finalement enlevé ses larges mains de mon dos, et s'est tourné vers Sephir, qui était négligemment posé dans l'encadrement de la porte, bras croisés, ne me quittant pas du regard, une lueur sombre au fond des yeux.

- Salut. Je ne savais pas que tu viendrais.

Il a tendu une main qui n'était même pas polie à son cousin, d'un geste froid et sévère, que Sephir lui a parfaitement retourné.

- C'est Dalea qui m'a invité, a-t-il répondu en prenant grand soin d'insister sur mon nom.

Je me suis tournée vers les trois autres membres du groupe de Jasper, tous morts de stress. Kale, celui qui assurait la plupart des chants et ne sortait jamais sans sa guitare, avait son casque posé sur les oreilles, et battait la cadence de petits mouvements de tête, les yeux dans le vague. Ses yeux noirs et chaleureux ont pétillé quand il m'a vue, et il m'a laissée le serrer dans mes bras. Il me considérait comme une petite sœur depuis des années.

Aden, guitariste, était le membre duquel j'étais la moins proche. Je l'ai gratifié du même bonne chance qu'à ses amis, et il m'a retournée un sourire d'une blancheur terrifiante.

Et Max, lui, n'esquissait pas un geste. Il était toujours un peu tendu quand j'étais dans le coin, maintenant. Jasper me racontait que Max avait été longtemps persuadé que je reviendrais vers lui, et qu'on pourrait se remettre ensemble, tous les deux. Une vague de culpabilité m'a assaillie quand j'ai pensé à Sephir et à sa main dans la mienne alors que j'embrassais Max sur les deux joues, étonnamment consciente de ses mains dans le bas de mon dos.

- Tu vas bien ?

J'ai hoché la tête avec un sourire. Ses yeux bleus me dévisageaient sous sa toison de boucles brunes en bataille, qu'il n'essayait jamais de coiffer, malgré les concerts et les apparitions publiques qui se faisaient de plus en plus fréquentes pour eux.

- On est sur scène dans dix minutes, a lancé Jasper alors que Sephir prenait une apparence de marbre.

Son regard me cuisait la nuque, et je me suis écartée de Max qui s'est rassis sans un mot, continuant de gratter machinalement sa basse. Il mordait sa lèvre avec son éternel anneau noir, rêveur.

- Il y a vraiment du monde, dehors ? a demandé Kale.

- C'est bondé. On va littéralement se marcher dessus pour vous voir.

J'ai vu Sephir, du coin de l'œil, qui serrait la main d'Aden avec plus d'entrain, mais sans vraiment y croire. Son regard dérivait sur Max, qui l'attendait avec un œil noir.

- Sephir, a-t-il dit d'un ton soudain glacé. Je suis le cousin de Jasper.

- Ouais. Il a beaucoup parlé de toi. Désolé pour tes parents, a marmonné Max en serrant sa main.

J'ai vu les muscles de Sephir se tendre, son dos se raidir. Mais il a eu un faux sourire très convaincant :

- Merci. Et toi, tu es ?... Max ?

Jasper a essayé de capter mon regard, mais je me suis appliquée à l'éviter.

- Max, ouais. Enchanté.

Il n'avait clairement pas l'air enchanté, mais Sephir a tourné les talons.

- Je vais chercher à boire, a-t-il déclaré.

Manquait plus que ça.

- Je t'accompagne. Je vais vous laisser seuls pour les cinq dernières minutes. Bonne chance. Vous allez assurer, ai-je ajouté parce que le visage de Jasper avait perdu des couleurs.

Je lui ai asséné une claque dans le dos qui l'a fait rire, et, fière de ma victoire, j'ai rejoint Sephir près de la porte, au moment où elle s'ouvrait sur Violet Duncan qui nous a dépassés dans même nous regarder pour se couler dans les bras de Jasper et échanger avec lui un long baiser avec beaucoup plus de langues que j'aurai aimé en voir. Sephir a grogné, Max m'a regardée, comme pour me demander de ne pas partir, et c'est le moment que Sephir a choisi pour fermer la porte.

- Quel con, a-t-il décrété en marchant plus vite que prévu dans le couloir.

- Attends, l'ai-je intimé en l'attrapant par le bras.

Mon cœur a battu jusque dans mes tempes quand il s'est retourné vers moi. Il s'est figé, attendant que je parle, alors que les premiers cris et rires de la foule se faisaient entendre.

J'ai soudain eu envie d'être seule, et de rentrer chez moi. Soudain, l'attirance sans limite que je ressentais pour Sephir me faisait peur, et soudain, je me demandais si j'étais à la hauteur, si je pourrai l'aider comme je le voulais, je me demandais s'il avait envie que je l'aide, s'il avait envie de moi dans sa vie.

- Pourquoi cet arrêt ?

- Je n'arrive pas à savoir si tu me détestes ou si tu m'apprécies.

Il a paru surpris, alors que je me disais que c'était trop tôt, beaucoup trop tôt, que je n'aurai jamais dû demander ça.

- Je n'aurai jamais accepté de sortir avec toi ce soir si tu ne me plaisais pas, a-t-il dit le plus naturellement du monde.

J'en suis restée muette. Il a eu un pauvre sourire, plus triste que les précédents.

- Arrête de stresser, Dalea. Il n'y a pas de problème.

- J'ai envie de t'aider, ai-je brusquement lâché.

Il a haussé les sourcils, encore plus surpris.

- Quoi ?

- Je ne sais pas. Faire mon possible pour que tu ailles mieux. Toi et ton frère, vous ne méritez pas ce qui vous arrive, et si je peux être là pour toi...

Ses yeux gris n'avaient jamais été aussi pénétrants.

- Pourquoi tu es là alors que personne ne veut que tu m'approches ?

- Parce que j'en ai rien à foutre. Tu m'intrigues. J'ai envie de te connaître. Et ouais... tu me plais.

Son regard s'est fait narquois.

- Alors il n'y a aucune raison qu'on ne s'amuse pas ce soir, tu ne crois pas ?

Il m'a attirée à lui d'un geste ample du bras, et nous avons recommencé à marcher.

- Aucune, ai-je répondu en murmurant presque pour moi-même.

- Seph !

Ambre s'est frayée un chemin dans la foule. Sephir et moi, qui jusque là éclations gaiement de rire, l'avons regardée en même temps, et elle s'est stoppée, les joues rouges.

- Qu'est-ce qu'elle fait là, celle-là ?

- Je te demande pardon ? a demandé calmement Sephir.

J'ai cru qu'Ambre allait me frapper.

- Elle. Qu'est-ce que tu fous ici ?

- Elle m'accompagne, a laissé échapper Sephir comme pour la narguer.

Et Ambre est devenue écarlate. Sephir a souri. Ambre a eu les larmes aux yeux. Sephir a incliné la tête. Ambre a fait demi-tour en se mordant la lèvre, semblant comprendre le message implicite.

- Tu te sens mal pour elle ? a-t-il demandé.

J'ai secoué la tête, mentant à peine.

- Du tout.

Reyan nous a fait passer devant, fendant la foule. Au premier rang, nous avons retrouvé Tobias et Théo, qui dansaient en riant au son d'une musique d'ambiance d'avant concert.

J'ai continué de parler avec Sephir de tout et de rien. Je n'arrivais pas à me dire qu'il était d'une humeur correcte, et qu'il avait accepté de m'accompagner au concert de son cousin qu'il ne pouvait pas supporter. Et je n'arrivais pas à croire que je lui plaisais. J'étais entre deux eaux, transportée ailleurs, dans une autre réalité où je riais avec Sephir en attendant la tempête.

J'ai passé une soirée incroyable. Jasper était déchaîné, terriblement heureux, à fond dans l'instant, et la foule en délire, immense, compacte, répondait au groupe avec un enthousiasme qui a bien failli faire défaillir les membres.

Je hurlais au premier rang, sous l'œil plus calme et moqueur de Sephir, mais je n'en avais que faire. J'étais heureuse. Max et Kale m'ont regardée plusieurs fois, et à chaque fois leur sourire valait de l'or. J'étais tellement fière de Jasper, fière de ce petit garçon qui essayait tous les instruments du monde pour effleurer la musique du bout des doigts.

Et puis, comme s'il ne fallait plus que ça, comme si c'était la seule chose qui manquait à cette soirée, j'ai senti les deux mains de Sephir se glisser autour de ma taille, s'y ancrer comme s'il cherchait à toucher la peau à travers le tissu, et j'ai entendu sa voix à mon oreille.

- Tu es belle quand tu souris, Dalea.

Et même si c'était une phrase digne d'Edward dans Twilight ou d'un film niais pour adolescente, j'ai senti mon cœur tomber dans mes pieds, et s'embraser. J'ai senti chacune de mes terminaisons nerveuses converger là où sa peau cherchait la mienne, et j'ai espéré de toutes mes forces que la nuit s'éternise, que ce moment ne s'arrête pas.

Je me suis retournée pour lui faire face. La lueur des spots lui donnait un air sombre, splendide. La lumière semblait lui glisser dessus sans arriver à saisir son essence, cette goutte d'insolence dans ses yeux.

La certitude qui a ébranlé mon être du plus profond de mon cœur à la pointe de mes cheveux a failli me faire perdre l'équilibre.

Il était cette personne qu'il manquait à ma vie.

Quand il s'est penché et que nos lèvres se sont rencontrées, je me suis dit que c'était tôt, beaucoup trop tôt, que c'était insensé, et que c'était terrible ; et, plus encore, je me suis demandée, mais pourquoi, pourquoi moi, ma sœur est plus belle, Lynn est plus drôle ; Violet est plus farouche et Ambre est plus sensuelle. Alors pourquoi moi ?

Je lui ai rendu son baiser en m'accrochant à lui comme si j'allais m'écrouler.

Et il m'a enlacée comme s'il était sur le point de partir pour toujours.

Dans son baiser, j'ai goûté la révolution, la rancœur, la passion.

Ses mains, son odeur, son souffle.

Gris, sombre, brûlant.

Il a reculé un peu, juste un peu, en me gardant serrée contre lui, et a essayé de chercher de l'air, dans la touffeur de la pièce. Je ne voulais pas le lâcher. Il était hors de question que je le lâche.

Quand nous nous sommes embrassés à nouveau sous les applaudissements de la foule et le discours de la fin de Kale, j'avais une certitude pour ce soir, celle que cette nuit durerait pour toujours.



Je venais sans le savoir de signer ma descente aux enfers.

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