XXVIII
Pdv Eijiro :
Nous attendions dehors. La famille de Shoto avait voulu faire dans le minimalisme, avec le moins de personnes possible autour de la tombe. Seulement ceux qu'elle aimait, et pour une femme si seule il ne s'agissait que d'une poignée de personnes. Alors nous attendions dehors. Il faisait un froid terrible mais nous pouvions aisément surmonter cela, ce que vivait notre amis devait être autrement plus dur.
Nous avions passé le plus de temps possible avec lui ces dernières semaines. Katsuki surtout s'était montré très à l'écoute pour Shoto. Je n'avais pas vraiment su pourquoi au début mais il m'avait expliqué que notre ami avait eu l'impression de ne pas être suffisamment proche de sa mère pendant longtemps, et qu'il pouvait comprendre ça. Ceci dit tout le soutien du monde n'aura peut-être pas suffit. Je m'en rendis compte en voyant l'arrivée de la famille Todoroki sur le parking, ou plutôt ce qu'il en restait : Shoto, sa soeur et leur frère aîné. Tous avaient les yeux rougis, et le bicolore, pourtant si calme d'ordinaire, cachait de ses mains un reste de larmes qui ne s'était pas encore tari.
Ce fut la compagne de Fuyumi qui s'avança la première pour la prendre dans ses bras. Alors tous nous les rejoignîmes, les amis, les proches, cette espèce de grande deuxième famille que l'on choisit et qui nous adopte. Dans cette foule de visages connus les Todoroki parurent d'un coup un peu moins seuls. À côté de moi, Denki posa une main sur l'épaule de Shoto.
- Allez, on va prendre un bon repas. On est avec toi.
En d'autres circonstances j'aurais scandé la devise lycéenne de mon ami au tempérament de pile électrique : "Les élèves ou plutôt les gens réfléchissent avec leur ventre" car il semblerait que celui ci l'applique toujours même après avoir quitté le lycée. Mais je m'abstiens, en réalité il n'y avait pas grand chose à dire de plus. Beaucoup avait été dit avant d'ailleurs, l'idée de la mort de Madame Todoroki planait depuis longtemps maintenant. Fuyumi qui l'hébergeait depuis qu'elle était sortie de l'hôpital en avait parlé avec ses frères un peu plus tôt. Ils savaient que ça arriverait bientôt.
Alors pendant le repas nous avons surtout tenté de changer de sujet. Parler de la vie, de la suite, de projets. Faire connaissance avec la famille de notre ami bicolore et leurs proches me fit un effet étrange. Il faut dire que jusque là il nous en avait si peu parlé. D'ailleurs je n'eus pas trop l'occasion d'avoir son ressenti, Katsuki et lui échangeaient à voix basse à côté de moi si bien qu'il m'était impossible de prendre part à la conversation. Je m'éloignai donc et rejoignis Kyouka sur la terrasse, la petite demoiselle aux cheveux violets fumait une cigarette les yeux perdus dans le vague.
- Tu vas choper le cancer. Je veux pas d'un autre enterrement dans deux semaines.
Elle souffla sa fumée et se tourna vers moi avec un sourire moqueur.
- J'en fume quasiment jamais, et puis venant d'un éternel fumeur passif qui se grille une clope toutes les semaines dans son jardin c'est bas !
Je levai les yeux au ciel devant sa référence à l'habitude que j'avais prise quand j'avais emménagé en banlieue avec Naraku. Le soir je laissai une cigarette se consumer sans la fumer tout en pensant dans le jardin. C'était plus pour éloigner Naraku a qui j'avais inculqué une horreur pour les clopes que par intérêt pour la cigarette.
- Moi au moins j'inhale pas la fumée ! Et puis j'ai arrêté de faire ça.
Son sourire s'élargit encore une peu plus.
- Grâce à qui on se le demande !
Elle se tourna vers l'intérieur de la maison de Fuyumi qui nous accueillait. Je sus immédiatement vers où se portait mon regard.
- Je ne m'attendais pas à le voir aussi proche de notre bicolore favori dans un moment pareil je dois dire.
J'haussai les épaules, moi non plus à vrai dire. Après tout les deux hommes avaient été les plus éloignés et difficiles à joindre de la bande pendant longtemps, peut-être que c'était ce qui les avait rapprochés.
- Ça me rassure d'un côté. Je sais pas s'il aurait été présent si l'événement était survenu il y a cinq ans.
Se fut à son tour d'esquisser un petit mouvement d'épaule en signe d'indécision.
- Je pense que oui quand même, il est borné et con comme un âne parfois mais dans l'ensemble c'est un super ami.
J'hochai simplement la tête. Mon côté optimiste pensait la même chose l'autre se rappelait avec amertume les anniversaires manqués, les silences, à l'époque je passais plus de temps avec sa propre famille en un mois que lui en un an. Je secouait la tête pour chasser tout cela, j'avais dit que je ne voulais plus penser au passé. Et puis la petite violette avait raison. Katsuki Bakugou aimait ses proches, il ne savait juste pas le montrer.
Je n'eus pas le temps de lancer un sujet plus léger, Kyouka qui semblait jusque là aussi pensive que moi tourna soudainement la tête vers l'intérieur avec un air complètement exaspéré.
- Denki !
Qu'est ce qu'il avait pu faire comme connerie encore ?
- Rends-lui son jouet tout de suite !
- Maieuh ! Je l'ai vu le premier !
Complètement éberlué je regarde mon amie courir vers cet abruti aux cheveux jaune poussin occupé à retirer un petit camion des mains du pauvre fils de Fuymi âgé d'à peine quatre ans. Kyouka s'empara au plus vite de l'objet pour le rendre au pauvre gosse au bord des larmes.
- Bon dieu espèce de Pikachu abruti qu'est ce qui te prend ??
- Mais il pouvait jouer avec tous les autres ! Moi je voulais celui avec l'éclair !
- Purée c'est lui l'enfant pas toi ! Tu lui donnes celui qu'il veut et tu t'adaptes. Bon sang comment ça se fait que je sois obligée de t'expliquer ça ?
- Mais le camion électrique...
Je ne pus m'empêcher de sourire devant l'air penaud de notre ami pendant que la pauvre jeune femme aux cheveux violets levait les mains aux ciels dans une posture tragique.
- Seigneur j'ai pas d'enfants, pas de neveux, personne dans ma vie ! Je suis forever alone coincée avec mon meilleur pote qui a trois ans dans sa tête ! Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ??
Les lamentations avaient été dites avec tellement de ferveur que l'assemblée éclata de rire et je vis le frère de Shoto se plier en deux quand Pony vint prêter à Denki une des innombrables peluches de sa fille pour le consoler. Cela dit il eut l'air vachement content de la recevoir et on ne l'entendit plus se plaindre d'avoir été dépossédé du camion éclair. Je le vis serrer le doudou puis s'en servir comme d'une marionnette pour raconter une histoire débile à base de "One Punch Lapin" aux enfants rassemblés autour de lui.
Katsuki me rejoignis vers ce moment là. Il avait un grand sourire au lèvres qui me rassura un peu. Je posai quand même la question par précaution :
- Shoto se sent mieux ?
- Oui clairement, le numéro de notre imbécile préféré l'a tiré de tout ça.
Je m'apprêtais à enchaîner sur une remarque concernant notre fameux "imbécile préféré" qui tentait désespérément d'expliquer à de pauvres gosses à quoi pourrait ressembler un lapin chauve avec une cape et une force surhumaine quand une ombre apparut.
Il était impossible de la rater, cette grande silhouette, celle d'un homme bien plus haut et large d'épaules que la moyenne. Il avait une allure d'ours, une carrure immense qui me fit me sentir ridicule. Il s'approcha de nous d'un pas lent et fatigué, marchant dans le hall de la maison comme s'il y passait tous les jours. C'est là que la ressemblance me frappa. Il avait une barbe et des cheveux rouges parsemés de fils gris qui mangeait son visage, mais son regard bleu glacier ne laissait planer aucun doute sur son identité. Il avait les yeux, ou plutôt l'oeil de son fils.
La foule rassemblée se mura dans le silence et à côté de moi le blond retint son souffle, le père de Shoto n'aurait jamais du arriver là. Il était connu notoirement qu'aucun membre de la famille Todoroki ne voulait le voir, surtout aujourd'hui. Sans être très au courant de ce qui avait pu déchirer cette famille, je ne pus m'empêcher de frissonner lorsqu'il parvint à ma hauteur. Il avait une aura terrible malgré ses épaules misérablement voûtées et son regard las.
Il s'arrêta enfin au centre de la salle sans un mot, créant une vague d'appréhension parmi les invités. Fuyumi tressaillit au point que sa compagne dut passer un bras autour de ses épaules pour la calmer, son grand frère se braqua aussi. Quant à Shoto, il se leva brusquement, faisant sursauter Pony qui s'était rapprochée de lui avec leur petite. Le plus jeune de la fratrie en deuil engloutit les quelques mètres qui le séparait du grand vieillard. Mais évidemment, ce n'était pas pour l'accueillir.
- Qu'est ce que tu fous là !? Dégage !
Sa voix vibrait d'une telle colère que toute l'atmosphère sembla s'épaissir un peu plus. Shoto Todoroki était grand, mais son père lui mettait encore une demi-tête. Malgré tout, si j'avais du prendre les paris je n'aurais pas donné cher de la peau de l'homme vieillissant qui s'était invité ici. Celui-ci se courba un peu plus comme pour faire front, ses sourcils roux et broussailleux semblaient entourer ses yeux de flammes lorsqu'il baissait la tête.
- Je veux encore lui demander pardon.
Je ne m'étais pas attendu à une voix aussi rauque. Celle de mon ami me parut presque enfantine à côté.
- Personne n'en veut de tes pardons ! C'est par ta faute si elle est morte, elle te détestait ! On te déteste tous !
Le frère et la soeur de Shoto le rejoignirent comme pour l'arrêter mais se stoppèrent à mi-chemin. Toute la petite assemblée devait bien voir qu'elle n'aurait pas dû assister à cette scène là, et en même temps, je sentais la colère de mon ami me gagner aussi. La haine dans ses yeux me parut si tenace, et elle ne pouvait qu'être légitime. L'homme contre qui elle était dirigée fit enfin un pas en arrière mais ne partit pas pour autant.
- Non ça ce n'est pas ma faute. J'ai fait des erreurs avant mais...
- La ferme !
Je crus que les murs allaient voler en éclats, un torrent de glace semblait cingler à chaque mot de Shoto.
- Si c'est de ta faute ! Tu nous avais déjà volé un frère en poussant Toya à fuguer ! Tu nous avais pourri la vie, tu l'avais rendue folle de douleur et maintenant elle est morte trop tôt ! Et tu oses venir devant nous, devant le peu qu'on essaie de garder d'elle ? Alors que tu as été le pire père et le pire mari au monde ?! Personne ne te pardonnera jamais rien ! On vit bien mieux sans toi !
Il fallut un moment pour qu'il reprenne son souffle, tout le monde pouvait entendre sa respiration hachée par la colère. Finalement ce fut Pony qui s'avança. Elle posa une main sur l'épaule de son compagnon sans un mot, la petite fille qu'elle avait dans les bras avança machinalement un bras vers son père. Cela calma suffisamment Shoto pour qu'il dise son dernier mot sans hurler. Mais cela ne l'empêcha pas d'être sans équivoque :
- Disparais.
L'homme se ratatina au point de paraître plus petit que le fils qu'il avait surplombé jusque là. Je ne l'avais jamais vu avant et Double-face ne nous en avait presque jamais parlé. On savait qu'il faisait partie d'une vieille famille d'alphas, le genre conservateur soucieux de préserver ses gènes et ses moeurs de toute impureté. Celui qui ne peut tolérer aucune faiblesse chez un alpha, surtout s'il fait partie de son clan. C'était un milieu dangereux, riche et qui avait ses propres règles sur lesquelles la justice du pays n'avait pas de prise.
Lorsqu'enfin il fut certain que l'intrus était parti, plus personne ne se sentait le coeur à la fête. Et la famille Todoroki, ou du moins ce qu'il pouvait en rester, semblait avoir besoin de calme. Elle avait un double-deuil à faire, celui d'une mère et d'une époque. Katsuki dut le comprendre en même temps que moi car il tira doucement ma manche.
- Il est temps de partir je crois...
J'hochai simplement la tête, saluai les quelques convives restés à l'intérieur et pris tout de même le temps de partager une étreinte avec notre ami. Nous ne le laissions seul que parce qu'il en avait besoin en cet instant, je voulais qu'il sache qu'il pouvait compter sur nous.
Dès que l'air gelé de l'extérieur nous fouetta le visage, Kats poussa un long soupir. Ce ne fut qu'à cet instant que je vis qu'il était terriblement tendu. Le souvenir fugace de toutes les fois où j'avais glissé ma main dans sa poche en hiver me revint à l'esprit. Machinalement j'exécutai ce geste, comme un vieil automatisme qu'on pourrait exécuter les yeux fermés. Mais ses yeux à lui s'ouvrirent en grand et brûlèrent d'une lueur si forte que mon coeur rata un battement. Et d'un coup cette ancienne habitude me parût complètement nouvelle. Il me fallut un moment pour me tirer de la magnifique emprise que m'imposait son regard, et encore un autre pour parler.
- C'est fou Shoto nous en a si peu parlé. Enfin à toi peut-être un peu plus mais je savais juste que ses parents avaient divorcé et que son père était un connard...
- Je n'en sais pas beaucoup plus que toi. Il m'a juste fait comprendre que des choses terribles étaient arrivées.
Un court moment je m'imaginais les pires scénarios. Tout ce qui pouvait pousser un enfant à la fugue et une femme douce à la folie. Puis je pensais à notre ami qui n'avait presque parlé de rien. Il n'y avait que des brides d'aveux, de rares allusions. Et sa cicatrice aussi sur laquelle personne parmi nous ne s'était jamais vraiment attardé parce qu'elle passait facilement pour une tache de vin et que Shoto n'aimait pas l'aborder. Je lui en voulut un peu de ne pas s'être confié à nous, mais je m'en voulus surtout de ne pas m'être montré plus curieux.
- Quand je pense que ses parents se sont séparés en plein été de première... Quoi qu'il ait pu se passer chez lui il était sûrement en plein dedans et il ne nous a jamais rien dit. On aurait pu l'aider.
Kats haussa simplement les épaules.
- C'est ptet des choses dont il arrive pas à parler. T'as déjà réussi à ne serait ce qu'expliquer à quelqu'un ce qui s'était passé la nuit du trois janvier ?
Je serai sa main encore chaude dans sa poche, d'un coup les lumières de l'après-midi me parurent plus froides. J'aurais pu lui répondre que oui, j'avais du en parler sous l'insistance de mes mères, et que je m'étais aussi beaucoup confié à Terumi, à Kyouka... bref, mes proches . Parce que j'étais comme ça et que j'avais besoin de discuter de mes sentiments pour les affronter. Mais je comprenais surtout que Katsuki raisonnait avec sa façon de faire. En enterrant tout et en cherchant à tout résoudre tout seul. D'un coup il ne me parût pas très étonnant que lui et Shoto se comprennent si bien sur ce point. Finalement, ils étaient les moins bavards. Aussi je me contentai d'acquiescer.
- ...Je vois l'idée on va dire. Mais je sais pas si garder les choses enfouies aussi longtemps peut vraiment aider.
Nouveau haussement d'épaules, plus fébrile cette fois. Le genre de mouvement qui veut dire "Touché".
- Il en a peut-être parlé avec Pony, ou a quelqu'un d'autre. Peut-être que ses frères et sœurs font front avec lui en quelque sorte.
Je retins les questions qui me brûlaient les lèvres. "Et toi à qui tu parlais à New York quand tu allais mal ? Puisque tu n'étais pas heureux ? Avec qui veux-tu faire front Katsuki Bakugou ?" A la place, c'est lui qui m'en posa une :
- Tu crois que Naraku aura... ce genre de réaction si un jour il était confronté a moi comme ça ?
Je m'arrêtai net pour le regarder. Évidemment pourquoi est-ce que je n'y avais pas pensé ? Il avait dû être terrible de faire le parallèle entre cet homme cherchant obstinément à se faire pardonner et sa situation. J'eus une envie terrible de le prendre dans mes bras mais m'abstint. Je me contentai d'agripper sa main dans sa moche et de l'inciter à tourner vers moi son regard pensif.
- Hey Kats... Ça n'a rien a voir, ce type a sûrement fait des trucs infâmes. Il n'y a aucun rapport entre ce type et toi !
J'ajoutai avec un sourire parce que je sentais bien que l'argument ne l'avait pas du tout convaincu.
- Et je te signale que Naraku sait communiquer contrairement à son père taiseux et boudeur ! Je ne dis pas que ce sera simple de reparler avec lui facilement mais dans tous les cas vous n'aurez jamais ces rapports là.
Je ne pouvais pas affirmer à cent pour cent ce que je venais de dire mais j'avais une bonne intuition. Ou alors j'étais bien trop optimiste. Mais je voulais y croire, surtout quand je voyais les yeux bouleversés du jeune homme en face de moi et son ébauche de sourire. Le vent nous glaçait de part en part mais sa main dans la mienne suffisait à me réchauffer le coeur. Ce que nous étions en train de reconstruire entre nous me plaisait tellement. Je ne voulais pas croire que lui et Naraku ne puissent pas un jour s'entendre. Une pensée en entraînant un autre j'ajoutai sur un ton que je voulais désinvolte.
- D'ailleurs il est avec ses amis le week-end prochain, ça te dirait de passer ?
J'entendais évidemment par là "plus longtemps qu'une après midi" mais j'eus un peu peur de le prononcer. Je m'empressai donc d'ajouter :
- Tu n'as toujours pas eu l'occasion de voir notre chère vieille bagnole en plus.
Un immense sourire illumina son visage, je ne me souvenais plus depuis quand il avait eu l'air aussi heureux. Et par une merveilleuse contagion je souris à mon tour en entendant sa phrase.
- C'est vrai, montre-moi donc notre chère vieille bagnole !
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