XXVII
Pdv Katsuki :
Je laissai le verre de jus de fruit qu'on m'avait servi de côté. Elle se tenait de nouveau là, face à moi, dans la maison d'Eijiro. Naraku avait choisi de rester dans sa chambre, quant à nous, nous étions assis exactement de la même manière que la dernière fois. Elle sur le fauteuil, moi et lui sur le canapé. La différence était qu'elle avait l'air moins enjouée, moins sûre d'elle.
De notre côté la distance sur le sofa avait drastiquement diminué. C'était merveilleux de sentir qu'il n'y avait plus vraiment de gêne entre nous. L'épisode du café avait tout chamboulé en quelque sorte. J'avais le sentiment que nous avions enfin réussi à mettre les choses à plat, à créer un climat vraiment plus serein entre nous deux.
Évidemment cela ne concernait que nous, il n'y avait rien de serein dans la posture de Terumi.
Je soupirai et me redressai. Il fallait que je commence, c'était ridicule de se fixer ainsi pendant tant de temps sans rien dire. Mais je ne savais pas quoi dire, comment parler sans savoir si la situation n'allait pas de nouveau tourner au vinaigre ? Eijiro vint me sauver en se raclant la gorge.
- Et si on se faisait une petite liste de sujets à éviter ? Par exemple je propose qu'on ne parle pas de Naraku maintenant, et de vos parents aussi. On a tellement d'autres trucs à se dire.
Elle leva les yeux au ciel, apparemment pas très enthousiasmée par cette idée.
- Ok... mais pas New York non plus. Et pas de boulot pitié je viens tout juste de sortir d'un gros dossier je veux respirer un peu !
J'haussais les épaules devant la première partie de sa phrase et le rouquin esquissa un sourire en réponse à la seconde.
- Ok, ça changera ce monstre de travail qu'est Katsuki !
- Arrête on va à deux à l'heure ! J'ai jamais vu un projet aussi lent sérieux...
- Comment tu peux dire ça alors que tu nous exploites ?! Tu veux voir l'état de mon bureau ? Tu sais qu'un constat de budget c'est censé être rendu tous les mois pas tous les jours ?
- Mais j'ai l'impression que tu te tournes les pouces sinon !
- Mais c'est le principe Katsuki, toi tu trimes et moi j'attends que t'aie finis !
- Donc t'assumes d'avoir choisi ce métier pour rien foutre ?
Sa moue consternée manqua de me faire perdre mon sérieux, c'était vraiment le genre de tête qui voulait dire "Tu le fais exprès de pas comprendre ?".
- J'ai pas dis ça ! Ta boîte est pas le seule cliente de la mienne je te signale.
- Les gars ! Stop, j'ai dit quoi à propos du travail ?
Tête d'Orties fit une grimace désolée à Terumi. Elle ne s'était pas décrispée mais semblait tout de même un peu plus réceptive à la conversation. Et même bien réceptive puisque il suffit de quelques blagues et remarques d'Eijiro pour qu'elle se mette elle aussi à papoter gaiement. Et au bout de quelques minutes tout allait bien. La discussion restait superficielle comme prévu, pas de sujets houleux, juste des échanges sur des séries, des livres, des voyages. Une nouvelle série en particulier retint notre attention.
- Alors toi aussi tu as vu The One ?
- Évidemment, c'était un tel phénomène à sa sortie. Tu imagines ? Permettre aux gens de trouver leur âme soeur rien qu'en regardant leurs chromosomes ? C'est irréel et super bien pensé !
L'enthousiasme de ma soeur me fit chaud au coeur, pendant un instant je nous vis de nouveau ados, partageant un pot de glace et un moment ensemble devant la télé. Et toutes ces remarques stupides, ces moments à se disputer pour le choix de la chaîne. Je m'empressais d'enchaîner :
- Et puis toute cette réflexion autour des classes ! Avec ces couples avant-gardistes et surtout cette scientifique oméga, brillante et tellement ambitieuse !
- Comme par hasard !
Elle leva les yeux au ciel mais pour une fois je ne le pris pas comme un reproche. J'esquissais un sourire, prenant un ton faussement énervé.
- Oui bon tu me changeras pas ! Mais toute la réflexion sur l'amour était bien aussi.
Je perçus la main d'Eijiro contre la mienne, quelques centimètres de peau qui manquèrent de me figer.
- C'est la partie que j'ai préféré personnellement. Il y avait des moments tellement forts.
Ses yeux se plongèrent dans les miens et les sensations de la semaine dernière me revinrent. Sa cheville produisant une source de chaleur immobile contre la mienne. Nos doigts entrelacés un court instant. Et ce regard, ça aurait été beau de juste rester comme ça pendant des heures.
Je penchai la tête vers lui avec un air complice et sûrement une tête un peu stupide. Machinalement je passai ma main sur le dos de la sienne.
- C'est vrai que c'était... pas mal du tout.
Dans ses yeux j'eus la joie de lire que lui non plus ne pensait plus du tout à la série.
- C'est sûr que pour un type incapable d'aimer ça doit être impressionnant. Hein, Katsuki ?
Je me redressai d'un coup, complètement fauché par l'horreur qui venait de sortir de la bouche de ma soeur. Elle avait repris sa posture crispée sur le fauteuil, jambe croisée, menton pointé vers moi d'un air accusateur. Je laissai la main d'Eijiro et serrai le poing tant que mes ongles s'enfoncèrent dans ma peau. Ce n'était cependant pas ce qui me faisait le plus mal.
- Tu peux répéter s'il te plaît ?
- Tu me demandes tout le temps d'être honnête. Il faudrait savoir...
J'aurais sûrement renversé la table si le rouquin n'avait pas attrapé mon poignet. Je fis volte face un peu trop brutalement pour me dégager. Je m'en voulus immédiatement et me sentis d'autant plus honteux que ma soeur esquissa un sourire de vainqueur.
Eijiro ne dit rien, me regarda simplement d'un air perdu. Je soupirai pour reprendre mon calme.
- Eijiro, est-ce qu'on peut être seuls deux minutes avec Terumi ?
Il hocha la tête, apparemment toujours consterné et se rassis sur le canapé. La femme blonde me tira dans le couloir avec une moue crispée. Elle voulait apparemment en finir au plus vite, tant mieux d'ailleurs. Je me calais contre une porte fermée, elle croisa les bras face à moi et me fixa sans un mot.
- Qu'est-ce qui t'as pris de dire ça ?
- J'ai bien vu ton petit jeu malsain là.
J'en restai bouche bée. Un jeu malsain ? Me sentir proche à nouveau de la personne avec qui j'avais passé les moments les plus forts et marquants de ma vie : malsain ?
- Je ne fais rien de mal. Et Eijiro n'a pas l'air de s'en plaindre...
- Oh arrête, il te laisserait brûler sa maison et détruire sa vie en continu juste pour que tu restes. Tu te dégoûtes pas trop de profiter des sentiments d'un homme à qui tu as fait un mal par le passé ?
Je ne savais pas si elle le pensait vraiment. Et si elle le pensait, qu'est-ce que j'avais fait pour qu'elle me voie comme une menace et un monstre ? Comment pouvait-elle me dire incapable d'aimer ? La plus grosse erreur de ma vie était arrivée parce que j'avais trop aimé ce garçon !
- Mais je ne profite de rien !
- Ah oui ? Tu ne profitais pas de sa gentillesse quand tu laissais filer les années à l'autre bout du monde ? Ni quand tu sortais avec ces filles et ces mecs que tu traitais n'importe comment ? Et Neito ? T'as vraiment pas l'air de quelqu'un qui se soucie du bonheur des autres Katsuki.
C'était lâche. C'était pire que lâche. Et en même temps je pouvais comprendre qu'elle raisonne comme ça. Comment pouvais elle savoir que la seule chose que j'avais vraiment eu aux États-Unis c'était cette fameuse liberté. Et encore, elle s'accompagnait de remords, de la peur d'être découvert dans mon boulot, par mes propres amants qu'elle me reproche maintenant. Je n'étais pas heureux là bas, et j'avais plus l'illusion d'être libre qu'autre chose... Mais ce serait trop compliqué de lui expliquer tout ça, je peinais déjà à en parler avec Eijiro il y a une semaine. Cependant je ne pouvais pas lui donner raison...
- Il sait pour Neito. On en a discuté...
- Et comme par hasard tu t'en es bien sorti hein ? Eijiro est un mec parfait, un véritable amour, il pourrait tout te pardonner sans penser à son bien être et toi tu le manipules constamment pour te donner bonne conscience.
Cette fois-ci je craquai, ma voix s'éleva plus fort que je ne l'aurais souhaité et mon ton se fit acerbe.
- Mais bordel tu n'en sais rien !! Tu t'es pas dis que j'avais envie qu'il soit heureux maintenant ? Qu'on soit heureux ? Tu lui as demandé son avis au moins avant de me diaboliser !?
- Je n'ai pas besoin de son avis pour savoir ! Je te connais et il ne pourra jamais être bien avec toi. Tu crois qu'il suffit d'arriver comme une fleur, de demander pardon avec des yeux tout mouillés et de lui effleurer la main ? T'as même pas idée de tout ce qu'il a vécu sans toi. Il en a bavé, il n'avait plus ses parents au moment où il en avait le plus besoin. Et moi j'ai toujours été là pour le soutenir contrairement à toi ! Ce n'est pas juste !
Je me figeais.
- Ce n'est pas juste ?
Elle aussi sembla rester immobile un instant, la bouche ouverte, stoppée dans son élan. C'était un peu plus logique maintenant. Elle aurait pu parler de Naraku, elle aurait pu parler de nos parents, mais non. Le seul nom qui sortait en boucle de sa bouche était celui de l'homme qui nous attendait dans le salon.
- Ce... ce n'est pas juste pour lui.
De même elle aurait pu m'attaquer sur tellement de fronts, le nombre de mes fautes étaient immenses. Mais elle avait choisi un prisme particulier, une accusation précise. "Tu ne l'aimeras jamais assez, tu ne pourras jamais être quelqu'un de bien pour lui." Ça me semblait presque trop simple maintenant que j'avais réalisé tout cela.
- Tu es jalouse.
Ses lèvres se pincèrent immédiatement.
- Tais-toi.
- Non c'est ça en fait, tu me reproches d'être revenu mais c'est juste parce que je te fais de l'ombre, hein ? Le bien d'Eijiro, tu parles ! Tu ne penses qu'à toi.
- Non je pense à lui. J'étais là quand il s'est refusé d'aimer à nouveau, quand ton souvenir a instigué en lui la peur d'être heureux avec quelqu'un d'autre.
C'était évidemment vrai. Mais bizarrement quand Eijiro et moi avions évoqué cela la semaine dernière lui n'avait fait qu'un simple constat, peut-être un peu triste mais dénué de tout reproche. Ce n'était un problème que pour elle. Je me redressai et me décollai de la porte qui m'avait servi de pilier, d'un seul coup bien plus sûr de moi.
- Avec toi tu veux dire.
Je n'étais pas très sympa d'appuyer sur le fait qu'Eijiro n'avait sûrement jamais ne serait ce que prêté attention à elle de cette façon. Mais elle avait commencé, et elle aussi avait mis le doigt là où ça faisait mal. Alors remuer un peu le couteau dans la plaie ne me parut pas injustifié. Elle fulminait d'ailleurs :
- Avec n'importe qui !! T'as été tellement toxique pour lui que le mieux aurait été que tu ne reviennes jamais !
Elle avait presque crié le dernier mot, les poings serrés. Elle semblait prête à me cracher au visage ce dont je l'aurais crue capable si Eijiro n'était pas apparu à ce moment là, l'air paniqué.
- Kats !
Mes épaules s'affaissèrent immédiatement et le soulagement devait se lire sur mon visage. C'était tellement stupide que ce soit vers moi qu'il se tourne, mon nom qu'il appelle en premier, et pas n'importe quel non : Ce surnom idiot qu'il prononçait toujours de la même façon. Il était le seul à l'avoir jamais prononcé comme ça d'ailleurs.
Terumi émit un hoquet quand il passa devant elle pour m'atteindre et se placer face à moi.
- Je suis désolée, je n'aurais pas du vous interrompre mais c'est important. J'ai reçu un message de Pony. Il faut qu'on aille voir Shoto.
La satisfaction que j'avais l'instant plus tôt se transforma instantanément en crainte pour notre ami.
- Il va bien ?
Eijiro me prit le bras doucement et Terumi, le couloir, la maison disparurent. J'étais suspendu à ses lèvres tandis que mon inquiétude grandissait.
- Ça va être très dur pour lui dans les prochaines semaines... Sa mère est mourante.
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