XXVI
Pdv Eijiro :
- Quel temps de merde !
La remarque de Katsuki me fit sourire tandis qu'il retirait son manteau trempé pour s'assoir. La pluie nous avait pris de court pendant que nous nous baladions sur le port et nous avions dû nous réfugier en urgence dans un café. Cela ne nous avait pas empêchés de nous prendre un sacré paquet de flotte sur la figure, le blond passa une main dans ses cheveux mouillés.
- Ça m'avait pas manqué ça bizarrement.
- Comme s'il ne pleuvait jamais à New York. Et puis ça fait un bail que t'es revenu tu devrais être habitué !
- Eh oh, laisse-moi me plaindre tu veux ?
Je ris franchement cette fois et commandais pour nous deux auprès du garçon. Le voir au boulot avait un avantage, il me permettait de le voir souvent, de redécouvrir ce qu'il aimait au quotidien : quel café, quel plat à midi, quelle routine le matin. Il avait même un classeur dans lequel il triais ses références avec de petits marques-pages en forme de bombes. Il les classais par ordre d'importance : une bombe quand c'était peu utile et trois quand c'était très important par exemple. Ça m'amusait beaucoup de constater qu'il avait gardé cette étrange fascination pour les explosifs.
- Et puis en vrai le temps à New York était pas affreux.
Je levai les yeux au ciel. Comment le temps d'une ville du nord des États-Unis pouvait-il ne pas être affreux ? Il y faisait super froid la seule fois où j'y étais allé.
- Comment c'était d'y vivre d'ailleurs ? Je l'ai visité en touriste mais y habiter doit être tellement dépaysant.
- C'était l'enfer, ils vivent à cent à l'heure, parlent trop vite et sont grognons.
J'évitai de lui faire remarquer qu'il vivait à cent à l'heure, parlait trop vite et était grognon.
- Et plus ya toujours trop de monde partout ! Par contre c'est tellement impressionnant, tout parait démesuré, puissant. Je me sentais tout petit la première fois que j'y ai mis les pieds. Surtout dans Manhattan.
Je m'imaginais ce jeune homme de même pas vingt ans seul à l'autre bout du monde dans cette ville immense. Ça avait dû lui plaire l'infinie grandeur, l'inconnu, ce côté anonyme aussi. C'était même sûrement ce qu'il était parti chercher en plus de ses études. Je posais la tête sur mes mains en chassant cette pensée,
- Ça faisait quoi d'être étranger là-bas ?
- C'était plutôt bien à vrai dire ! Je venais d'ailleurs et en plus j'étais boursier et bêta...
Il mit cette fameuse classe entre guillemets et je soupirai. Je ne m'y habiterai pas à ça.
- ...Donc tous les cons du campus m'évitaient comme la peste. C'était parfait pour bosser quand j'étais à l'école et ça me donnait tous le loisir de rencontrer d'autres personnes ailleurs. Et bizarrement dans un bar populaire en banlieue, ne pas être un alpha passe beaucoup mieux auprès des autres.
J'hochai la tête. Donc il avait rencontré d'autres personnes, c'était évident il n'avait pas passé plus d'une dizaine d'années seul. Mais je ne voulus pas trop insister. Et s'il y avait eu quelqu'un parmi les jeunes rencontrés dans un bar... Ou un élève boursier dans la même situation que lui ? S'était-il seulement fait des amis aux États-Unis ? Ces questions me taraudaient mais je sentais monter la peur d'en connaître la réponse. Je me contentai de dévier de sujet.
- Dis comme ça c'est plutôt cool. Et au boulot ?
- Personne dans ma tranche d'âge ne pouvait me sentir. Mais mes supérieurs adoraient mon accent, ils trouvaient que ça faisait très professionnel ! Et le fait que je vienne de l'étranger plaisait aussi, j'aurais pu les insulter dans ma langue ils auraient quand même aimé ça.
J'étouffais un rire en m'imaginant Katsuki traiter son patron de connard avec un air libérateur pendant que celui-ci l'applaudissait. Mais je me calmai bien vite et trouvai enfin le courage de poser la question qui me brûlait les lèvres.
- Et en amour ? L'accent marche aussi ?
Il eu un léger sursaut. J'avais beau avoir demandé ça de façon tout à fait naturelle, presque désinvolte, ça ne rendait pas le jeu moins dangereux. J'avalais ma gorgée de café tout en le regardant passer une main derrière son crâne.
- J'ai eu disons... quelques expériences, et un homme avec qui j'ai passé beaucoup de temps.
J'hochai simplement la tête et il me regarda un instant comme s'il devait ajouter quelque chose. Je avais envie d'avoir un nom, des détails, une image sur laquelle poser ce constat douloureux. Mais j'étais déjà assez embêté comme ça. C'était pourtant moi qui lui avait demandé d'être heureux... Je ne pus m'empêcher d'ajouter une autre question :
- Beaucoup de temps c'est à dire ?
- Eh bien, à un moment il a été question de fiançailles, mais j'ai refusé.
Ma fausse mine enjouée disparut aussitôt et je m'en voulus de m'être montré trop curieux. Des fiançailles rien que ça ? Mais que faisait-il là face à moi s'il avait pu aimer quelqu'un au point d'avoir pensé à l'épouser ? Il me lança un regard désolé qui me brisa le coeur. Mais quel con je faisais avec ma déception et ma tête déprimée, il ne m'avait rien promis ! Je touillai frénétiquement les deux dernières gorgées de café restées dans ma tasse pour garder un semblant de contenance.
- Ah... Fiancé carrément... Et pourquoi ça ne s'est pas fait ?
- A vrai dire... c'est un peu une accumulation de raisons. J'ai dû déménager, je ne me sentais pas prêt... Et puis je me suis rendu compte assez vite que, comment dire ? J'aimais seulement ce qu'il dégageait. Il envoyait bouler ses supérieurs, avait un caractère de cochon qui lui avait valu de ne jamais avoir été promu, il avait une personnalité, une force que je ne me permettais pas d'avoir. En fait je crois que je voulais être lui, mais que mes sentiments pour lui n'étaient pas sincères.
Entendre qu'il ne l'avait peut-être jamais vraiment aimé me retira un tel poids que j'eus du mal à cacher mon soupir. J'en restais malgré tout un peu attristé. Je n'avais donc jamais traversé ses pensées en quinze ans ? J'osai lancer un nouveau regard vers lui et immédiatement ses yeux se plongèrent dans les miens. Inconsciemment, ma cheville se pressa contre la sienne sous la table.
- Et puis... Je n'arrivais pas à l'aimer comme je t'ai aimé toi. En fait ça n'a jamais marché avec personne.
Il baissa les yeux vers sa tasse, les relevant vers moi par moments comme si me regarder trop longtemps pouvait le brûler. J'ouvris la bouche un court instant, que pouvais-je répondre à cela ?C'était à la fois terrible et inespéré. Ce n'était pas le genre de chose qu'on dit à un garçon qu'on a laissé sur le quai d'une gare quinze ans en arrière, et pourtant c'était exactement ce que j'avais envie d'entendre. Je restai un instant boulversé sans savoir sur quel pied danser, le tintement de ma propre cuillère me tira de mes réflexions. Avec une voix plus tremblante que je ne l'aurai voulu je murmurai :
- C'est fou, on s'est pas vus pendant quinze ans et on a pas réussi a se débarrasser l'un de l'autre.
Nouveau regard lancé par dessus sa tasse, nouveau flot d'émotions.
- Faut croire qu'on est nuls tous les deux.
Un long silence s'ensuivit, je ne voulais plus parler de cet autre, des autres, tous ceux qu'il a eu dans sa vie et ce même si c'était peut-être pour m'oublier. Enfin il se racla la gorge er me renvoya ma question. Il avait cependant laissé tomber ce côté faussement léger que j'avais voulu prendre au départ.
- Et toi... Il y a eu quelqu'un ?
Ce fut à son tour de faire remonter le bout de sa chaussure contre ma jambe, dans un geste qui se voulait normal, comme si c'était une simple façon de se redresser sur sa chaise. Mon dieu comme ce devait paraître ridicule, deux abrutis trop honnêtes qui s'avouent qu'ils sont responsables de la misère sentimentale l'un de l'autre... Je pris une grande inspiration en tâchant de ne pas y penser.
- Non... Je n'avais envie de rencontrer personne, de n'aimer personne. J'avais l'impression que tant que je ne pensais pas à l'amour je ne pensais pas à toi.
Il leva à nouveau les yeux vers moi, l'air un peu perdu. J'eus alors follement envie de l'embrasser. C'était tellement brut et tellement violent que ma poitrine me faisait mal, mes côtes broyaient mes poumons de frustrations et d'envie. Et j'eus l'impression que lui aussi.
Il ne dit rien, je ne voulais pas qu'il parle. Nous regarder comme si nous n'avions pas vu un humain depuis un siècle me semblait suffisant. J'avais cette sensation cuisante, ce besoin impérieux de le dévorer des yeux, d'avancer ma main jusqu'à la sienne, poser mes doigts sur sa joue... Je ne fis rien de cela et il me fallut un effort monstre pour simplement baisser la tête et la cacher dans mes mains. Je devais avoir l'air complètement désespéré n'est-ce pas ? Il était parti, je l'avais attendu pendant qu'il rencontrait d'autres personnes, qu'il évoquait des fiançailles avec un autre homme... Il s'était tout permis alors que moi son simple souvenir m'avait empêché de m'intéresser à qui que ce soit. N'importe qui d'autre serait au moins triste et moi il avait suffit qu'il dise quelques mots pour me donner l'impression que ce n'était pas grave. Que pendant ces quinze dernières années j'avais été autant dans son esprit que lui dans le mien. Peut-être que Terumi avait raison. Peut-être que j'étais terriblement optimiste et naïf au point d'en devenir stupide ?
- Pardonne-moi...
J'étais tellement absorbé par mes pensées que ses deux mots me firent sursauter. Il me regardait toujours droit dans les yeux avec ce feu que nous avions partagé un court instant. Et peut-être une point de remords aussi ? Machinalement je soufflai :
- Ce n'est pas grave. Vraiment.
Je ne savais même pas ce que je devais pardonner. Ni même qui ? Le garçon de tout juste dix-huit ans qui m'avais laissé seul avec un enfant ? Non, il avait mon accord depuis le début. Le jeune homme qui avait refait sa vie sans moi ? En cet instant il me semblait si malheureux que je lui aurais pardonné sans même réfléchir. Ou alors me demandait-il seulement de passer l'éponge sur cet échange que nous venions d'avoir ? Ce genre de regard qui donne l'impression d'être seul au monde ? Il avait cligné des yeux en prononçant sa phrase, comme s'il se réveillait d'un drôle de rêve. Et il avait ce petit air coupable qui lui traînait sur la figure presque à chaque fois qu'il m'adressait la parole. J'en avais assez de cet air là.
- Je crois qu'il serait temps qu'on arrête de parler et penser au passé tous les deux...
J'avançai ma main le premier, et entourai négligemment sa jambe des miennes sous la table. Sa paume ne vint pas caresser ma peau, en fait il ne bougea quasiment pas. Mais il l'effleura du bout des doigts comme l'aurait fait Katsuki Bakugou au lycée, le petit doigt en premier et les autres un à un... Je me laissai emporter par ce mouvement hypnotique, oubliant son regard sur moi, ne me reconcentrant que lorsque sa voix s'éleva à nouveau.
- C'est fou j'ai cru qu'on n'évoquerait jamais tout ce qu'on vient de se dire. Qu'on ne se reparlerait qu'une ou deux fois, tout juste cordialement. Et maintenant seulement je me rends compte d'à quel point j'avais besoin de ces mots.
Je relevai le regard avec un sourire tendre, ses doigts ne s'aventurèrent pas plus près des miens mais ses yeux et cet aveu me suffirent amplement pour aujourd'hui. Les restes de nos cafés étaient froids, le serveur nous surveillait du coin de l'oeil, Katsuki se leva et rompit cet instant de grâce. Je n'eus pas envie de me battre à nouveau pour savoir qui devait payer, je préférais conserver pour moi tout ce que je venais de ressentir, tenter de vivre chaque sensation encore une seconde de plus.
Finalement je lui emboîtai le pas hors du café et l'accompagnai jusqu'à sa voiture. Fourra la main dans sa poche pour récupérer ses clefs tout en regardant aux alentours avec un air déçu.
- Faudra que tu me dises où est Bertrand II quand même, je l'aimais bien cette vieille bagnole toute pourrie.
J'éclatai de rire devant ce drôle de compliment typique d'un blond bougon et râleur que je connaissais bien.
- Passe à la maison la semaine prochaine et tu le sauras ! Je pense que tu n'en croiras pas tes yeux.
Il prit un air offusqué tout bonnement hilarant :
- Attends tu ne l'as pas abîmée quand même ?! Après m'avoir traité d'assassin chaque fois que j'osais l'effleurer ?
- Mais non pour qui me prends-tu ? C'est fou on dirait que Bertrand t'as plus manqué que moi.
Il baissa la yeux sans se départir de son sourire amusé et rougit quelque peu. Savait-il que rougir ainsi suffisait à me rendre fou ? Il valait mieux que je ne le lui fasse pas remarquer. Je me contentai donc de le regarder entrouvrir la portière de sa voiture. Juste avant de s'engouffrer dans le véhicule il se retourna et s'avança pour déposer un baiser chaste sur ma joue.
- Merci pour aujourd'hui, Tête d'Orties.
Et il me planta là. Sa main avait à peine touché mon épaule, la sensation de ses lèvres disparaissait déjà laissant place au froid mordant de l'hiver et pourtant il me fallut de longues minutes pour revenir à moi. Au fond de moi l'adolescent aux cheveux en gratte-ciel sauta de joie et l'adulte en surface eut un sourire stupide.
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