XXIII
Pdv Katsuki :
Les passants me bousculaient d'un pas pressé. Pour les éviter mais aussi pour récupérer un brin de chaleur je me rapprochai des tables en terrasse du café, me frottant les mains pour les empêcher de geler. J'avais de l'avance. En fait j'en avais même beaucoup, et le froid me faisait moins trembler que l'appréhension qui me parcourait depuis ce matin. S'il ne s'agissait que de revoir de bons amis dans un café je n'aurais rien eu à craindre. Mais la situation était toute autre...
Un léger coup sur mon épaule me fit sursauter si fort que je percutai une chaise à côté de moi. Denki leva les mains au dessus des épaules comme s'il s'attendait à ce que je le frappe, ce que j'aurais peut-être fait si je n'étais pas trop occupé à remettre mon pauvre coeur en place.
- Non mais t'es pas bien ?!
- Pardon ! Si j'avais su que tu réagirais comme un parano je me serais abstenu.
Je lui administrai une claque sur la tête pour lui rappeler que le parano pouvait aussi se venger. Il se frotta le crâne en souriant avant de redevenir plus sérieux.
- T'es en panique c'est ça ?
- Non Captain obvious, je pète la forme là...
Il se contenta d'un signe de tête pour toute réponse, m'invitant à continuer. Depuis la naissance de Naraku Denki était devenu un confident que la distance n'avait pas éloigné un seul instant. Son coup d'éclat à l'hôpital avait vraiment changé quelque chose entre nous. Je m'étais forcé à m'ouvrir un peu plus et à poser des mots sur ce que je vivais. Ainsi il avait été le seul témoin de ma peur de ne pas réussir, de mes remords et de cette sensation d'être toujours suivi par l'ombre grandissante de mon enfant. Aujourd'hui encore c'était lui qui me poussait à parler :
- Je croyais que les revoir c'était qu'une question de courage, une manière de mettre un terme à tout ça, de se dire au revoir. Je ne pensais pas qu'Eijiro puisse envisager de me laisser une place dans leur vie, et moi... Je voulais tenir ma promesse et être pardonné, la suite m'importait peu.
J'eus un léger soupir, le temps de former des phrases cohérentes à partir du bordel qui se produisait dans mon esprit depuis le début de la semaine.
- Mais quand je les ai vus, surtout Naraku, j'ai compris que j'avais tout faux. J'avais envie qu'il me voie un peu plus comme son père et moins comme un connard, qu'il soit fier de moi. Je voulais le voir grandir pour rattraper toutes les années où je n'ai fait que l'imaginer. Bref... j'avais envie de vivre avec eux et pas à côté d'eux.
Il me fit un grand sourire d'encouragement qui m'agaçait toujours autant qu'il me rassurait, il n'avait pas besoin de me féliciter à chaque fois que je me confiais à lui.
- Et Eijiro ?
Nous décidâmes à demi-mots d'entrer dans le café parce que nous mourrions de froid et que Shoto venait d'envoyer un message comme quoi il serait en retard et qu'il valait mieux ne pas l'attendre. Je tirai ma chaise et y déposai mon manteau pour me donner le temps de réfléchir à sa dernière question, encore plus épineuse.
- Je sais pas, ça se voit comme le nez au milieu de la figure qu'il m'en veut malgré tout je suis sincèrement content de le revoir, mais...
Je m'interrompis pour congédier le serveur, le prévenant du même coup que trois autres personnes arrivaient. La diversion ne fonctionna pas un seul instant et le blond me lança un regard insistant.
- Mais ?
- Mais disons que je m'attendais à ressentir plus de choses. Je ne l'ai jamais oublié et j'ai évidemment été ramené en arrière en le voyant, et malgré ça il semblait changé, pas physiquement mais pour tout le reste...
- Tu m'étonnes il s'est retrouvé avec un petit humain sur les bras et il s'en est occupé seul pendant quinze ans, ça forge le caractère.
J'eus un petit sourire amusé devant son ton exaspéré, comme s'il ce qu'il racontait était totalement évident. Il devait avoir raison, après tout il avait vu Eijiro changer au fil du temps contrairement à moi.
- Dit comme ça... Mais bref je sais pas trop comment le prendre, j'ai beau retrouver par instants le garçon que j'ai laissé et auquel j'ai continué de penser, je suis quand même souvent confronté à un homme que je ne connais pas, plus mature, plus retenu. C'est comme s'il lui était poussé des antennes, on le reconnaît mais un truc cloche...
Il éclata de rire devant cette dernière remarque.
- Bon tu fais toujours des comparaisons de merde mais à part ça c'est pas trop mal ! Je devrais vraiment faire psy moi.
Ce fut à mon tour de laisser échapper un rire ironique en m'imaginant l'enfer que vivraient ses patients.
- Oh non... Tu tournerais docteur maboule et tu tenterais de retourner le cerveau de tes pauvres clients à coup d'électrochocs.
- T'as pas confiance en moi c'est fou !
- Personne n'a confiance en toi Denki !
J'avais pensé la phrase mais ce n'était pas de ma bouche qu'elle était sortie. Une jeune femme à l'éternel carré violet s'installa à côté de nous dans un grand fracas, son sac au style rock plein à craquer de babioles en tout genre fit un grand bruit métallique en s'écrasant au sol à côté d'elle.
- Hello vous deux !
- Salut Kyouka !
- Comment va ?
- Ça allait mieux avant que t'arrives ! Si j'étais un savant fou je commencerais par te formater pour te rendre plus sympa !
- Roh, tu t'ennuierais sans mon sale caractère !
- Non c'est pas vrai !
J'eus un léger sourire en les voyant se disputer, c'était agréable de se rendre compte qu'à dix-sept ou trente-deux ans ils étaient toujours aussi immatures et amusants. Je dus cependant les calmer lorsque je vis le serveur de tout à l'heure jeter un coup d'oeil anxieux à notre table. Ce fut le moment que choisirent nos deux retardataires pour faire irruption dans la salle. La vue d'Eijiro fit immédiatement remonter mon angoisse que les deux compères avaient un peu calmée. Pendant la semaine, j'étais tombé une fois sur son assistant, un homme de notre âge aux cheveux déjà gris et qui semblait étonnement être la copie conforme d'Eijiro. Nous ne nous étions donc pas croisés et il était terriblement frustrant de plonger son regard dans ses yeux pour y lire notre incapacité à nous parler.
Shoto sembla le comprendre car il s'assit entre nous après nous avoir jeté un léger coup d'oeil. Je vis très clairement Eijiro le remercier du regard et s'installer avec un soupir, comme quoi, mon malaise était assez réciproque. Le carmin ne le laissa cependant pas planer longtemps, il s'affala avec un air exténué assez comique tout en maugréant :
- J'aimerais qu'on me présente le con qui a inventé les activités extra-scolaires que je l'étrangle !
- Toi au moins il dort la nuit...
La réponse de Shoto, bien qu'amusante, me fit un peu de peine. Il avait l'air complètement crevé comme chaque fois que je le voyais. Il avait relevé ses mèches blanches pour se la jouer plus élégant mais ça ne faisait que mettre en avant ses cernes de six pieds de long. Maintenant que ce n'était plus son travail à l'étranger, c'était sa fille de trois mois qui lui volait ses heures de sommeil. Dans ces moments je me disais ironiquement que ce n'était pas plus mal d'avoir évité la vie de jeune papa.
Eijiro passa une main compatissante sur son épaule tout en blaguant sur le fait que son fils ne le laisserait pas le bercer pour dormir de toute façon. C'était assez effrayant de penser qu'il avait déjà vécu tout ce que nos amis qui commençaient seulement à fonder un foyer imaginaient vivre un jour : Avoir un enfant, une maison, prendre des responsabilités qui lui pesaient sur les épaules depuis ses dix-huit ans. Il connaissait tout ça mieux que personne ici.
- Après faut pas que ça te passe l'envie d'en avoir un deuxième !
- T'as l'air vachement impatiente d'être marraine toi !
- Fuyumi m'a volé la place alors normal que je veuille voir arriver le petit frère !
La remarque sembla amuser le bicolore même si cela ne l'empêcha pas de calmer l'entrain de notre amie.
- Même si on y pense ce ne sera pas avant un bout de temps donc ne te monte pas la tête avec ça ! D'ailleurs le prochain, c'est moi qui le porterai. La grossesse a été trop compliquée pour Pony...
- Oui la pauvre, elle a été très courageuse !
Le mot me fit tiquer et une foule d'images me revinrent à l'esprit. Le miroir, les toilettes, mes cours, ma chambre et l'hôpital se succedaient comme des décors de théâtres. Je les repoussai le plus vite possible en tentant de sourire devant les encouragements et les blagues de Denki et Kyouka qui prenaient plaisir à imaginer Monsieur Shoto, élégant et raffiné, incapable de rentrer dans ses smokings. Ce n'était pas le moment, on ne parlait pas de moi, et mon ami était heureux, cette situation le rendait heureux, alors pourquoi l'entendre en discuter me donnait la nausée ?
Je ne jetai pas même un regard derrière l'épaule de Double-face pour voir celui qui aurait peut-être pu me comprendre. De toute manière il riait de bon coeur avec les autres. Denki avait raison, peut-être que c'était moi le problème, peut-être qu'il faudrait voir un psy ?
- Et toi Denki tu t'en sors avec ton éternel blasé ?
Je fis une prière pour que mon soupir de soulagement ne soit entendu de personne et esquissai un timide sourire en constatant que les lamentations du blond l'avaient parfaitement camouflé.
- Ah lala c'est terrible si vous saviez !
C'était toujours ainsi depuis plus d'un an. Dès l'instant où il avait rencontré ce Shinzo il fallait toujours, à chaque fois et quoi qu'il arrive, qu'il parle d'à quel point son copain le faisait tourner en bourrique. Kyouka s'empressa de le lui faire remarquer d'ailleurs :
- Alors c'est quoi cette fois ? Il t'a demandé de lui ramener de la neige de Sibérie et tu y es allé ?
- Non mais j'aurais pu ! Si tu savais tout ce qu'il arrive à me faire faire... Il est incroyable, je ne sais pas lui dire non ! Rien qu'hier il s'est mis en tête de manger du pain complet au dîner et devinez quelle heure il était ? Vingt-et-une heure !
Il feint un air éreinté et malheureux, les coudes sur la tables dans une posture de martyre à se tordre de rire.
- Mais que voulez vous messieurs-dames ? Je suis un homme faible et rendu plus faible encore par l'amour. Alors je cours le chercher son pain ! À vingt-et-une heure ! Dans toute la ville ! Résultat on a mangé à minuit, merci Shinzo ! À ce rythme là j'aurais bientôt des cernes plus énormes que celles de Shoto...
La remarque provoqua l'hilarité générale, plus due à l'idée d'imaginer Denki supplier les boulangers en train de fermer de lui vendre un simple pain complet qu'à la pique destinée au plus fatigué de nos amis. Lorsque les rires se turent Denki reprit son calme et ajouta d'un air éperdument amoureux qui cette fois-ci était loin d'être feint :
- Mais bon, il me le rend bien cet idiot. Savoir que ses plutôt rares sourires sont grâce à moi... c'est juste génial.
Tout le groupe eut un air attendri pour notre ami qui semblait avoir enfin trouvé le bon. Il balaya cependant cette tendre ambiance d'un revers de la main.
- Et puis bon, si je le fais pas il boude pendant deux jours ! C'est pas du tout les coups de colère de type enfant de deux ans et on oublie tout comme Katsuki ! Non lui il faut ramer pour qu'il arrête de te faire comprendre qu'il est vexé... Ah mes amis je vis un enfer !
Je lui balançai une flopée d'injures au visage sous les remarques affirmatives de Kyouka, Shoto et Eijiro qui semblèrent tous approuver le fait que j'avais un caractère sanguin. Devant cette coalition je tentai de me renfrogner et rien dire de plus mais je n'y parvins pas plus de quelques secondes. Je dû me résigner à leur donner raison et reprendre part à la conversation.
- Comme quoi t'as au moins une qualité : t'es tellement pressé que t'es pas rancunier !
- J'ai bien plus d'une qualité voyons, je suis sûr que j'en ai plus que vous tous réunis. Je suis tout simplement génial.
- Mais quel gosse prétentieux !
J'eus une seconde de battement en comprenant que c'est Eijiro qui s'était penché sur la table pour m'adresser ses mots, un petit sourire aux lèvres et les yeux levés vers le ciel. Une toute petite seconde, juste assez pour que mon coeur s'emballe et qu'un sourire narquois s'étale sur mon visage.
- La modestie c'est pour ceux qui ne réussissent rien d'important ! Je préfère clairement que mes amis sachent qu'ils côtoient un être exceptionnel !
Le sourire du carmin s'élargit pendant que Kyouka prenait le relais avec une répartie cinglante. Il réitéra de façon grandiose son petit rictus en levant les yeux aux ciels. C'était tellement lui, tellement bien.
Le ton qui était monté se calma un peu, les boissons étaient terminées depuis longtemps, l'heure tournait mais personne ne semblait vouloir se quitter. La demoiselle de la bande eut un soupir de contentement avant de se tourner vers nous.
- Je suis tellement heureuse de vous revoir tous ! Ça fait comme si Denki ne commençait pas à avoir un peu de ventre et qu'on était toujours pas des vieux.
- Eh ! Je fais du sport moi au moins !
- Et ils sont où tes abdos Schwarzenegger ?
- Jpeux pas te les montrer tu serais jalouse !
Shoto se chargea de mettre fin à la fausse dispute naissante avec son calme et son tact habituel aidé d'Eijiro. Je préférai ne pas intervenir, depuis le lycée j'avais un certain don pour faire monter les décibels dans le groupe. Lorsque Kyouka se calma non sans menacer de faire goûter ses petits poings pas musclés à son comparse, Shoto reprit la parole :
- Pour revenir à la remarque de Kyouka, on est vraiment heureux de vous revoir en même temps tous les deux. Avoir la bande au complet nous a manqué.
Son regard passa d'Eijiro à moi avec un léger sourire, c'était sincère et l'air de rien ça faisait plaisir que justement, ce retour n'ait pas créé de malaise avec nos amis.
- Ouais ! On a vraiment eu l'impression d'être les gosses de parents divorcés !
- T'imagines si on avait dû passer d'une maison à l'autre ?
- Oh tu sais moi je dis pas non à une semaine sur deux aux States !
- Pas faux. En plus l'appart de Katsuki était trop classe là-bas ! Aah la vie de riche c'est dur...
Les deux compères repartirent dans un de leurs délires sous l'oeil tranquille et un peu fermé du bicolore qui n'allait pas tarder à s'écrouler de fatigue si nous ne bougions pas vite du café. Je m'apprêtai donc à me lever pour payer l'addition quand une chevelure rouge passa sous mon nez et me devança.
- Hep ! C'est moi qui paye !
Eijiro se retourna d'un air un peu surpris, les deux braillards assis à notre table ne nous prêtaient aucune attention. Il passa une main dans ses cheveux et tenta sur le ton de la rigolade :
- Ne t'embête pas va, et puis si tu payes il vont t'appeler "Papa Riche" pendant un an au moins. Je préfère t'éviter ça.
J'eus un sourire en le dépassant pour arriver plus vite que lui au comptoir, se faufiler entre les tables et les chaises relevait de la course d'obstacle.
- Ça ne m'embête pas, et puis ça fera un petit dédommagement pour toutes les fois où je t'ai taxé des crêpes.
Il ne se laissa pas faire et esquiva un client en train de siroter un verre de vin pour me devancer et interpeller la serveuse.
- C'était il y a trop longtemps, ya prescription pour ces fautes là, Terumi me l'a dit. Madame ! Je paye pour cette table !
J'arrivai à côté de lui et posai une main sur le bois du zinc, ma carte bleue tirée de ma poche comme un cow-boy tirerai son arme.
- Non c'est moi ! Madame je vous conseille de ne pas l'écouter il est dans le commerce, c'est un escroc. Il va se débrouiller pour ne pas payer. Aillez plutôt foi en un ingénieur.
- Tu parles tu vas pirater sa caisse et repartir avec le pactole espèce de ruffian.
- Plus personne n'utilise ce mot Tête d'Orties.
Le dit "Tête d'Orties" ne sut quoi répondre car même si le surnom n'était plus d'actualité à cause du changement de coupe de cheveux, il n'en était pas moins symbolique. Et moi aussi je pris un instant pour juste profiter de ces mots, c'était bizarre, peut-être un peu précipité, mais étonnamment sa marchait et ça n'avait pas une acre saveur sur la langue.
La serveuse me prit la carte d'un air amusé et lorsque nous nous dirigeâmes plus lentement vers notre table Eijiro sembla demeurer un peu chamboulé.
- C'est fourbe ce que t'as fait là.
J'eus un sourire timide qui s'effaça très vite, incapable de comprendre ce qu'il entendait par là. Je n'aurais sûrement pas dû, il m'en voulait peut-être d'avoir cherché à être trop familier. Et en même temps...
- Hurm... Ça a marché, la fin justifie les moyens. Mais je te demande pardon, je ne le ferai plus.
Ce fut à son tour de paraître gêné et de se racler la gorge en me regardant du coin de l'oeil.
- Non tu peux, c'est sympa de me rappeler que j'ai eu une période coiffure gratte-ciels. Juste ne t'en sers pas comme moyen de me devancer. C'est totalement déloyal et peu viril !
Je laissai échapper un petit rire franc cette fois, immensément soulagé de ne pas avoir recréé le froid que nos amis avaient passé l'après-midi à éclipser.
- J'ai toujours eu un côté un peu déloyal.
- Oh ça, mon premier cours de piscine au lycée me le rappellera toujours.
Ce fut à mon tour de me sentir gêné et dépassé par ce souvenir. Eijiro sembla s'en réjouir et rejoignit les autres sans me laisser le temps de répondre. Je dus donc m'occuper de réveiller un bicolore somnolant pour garder une contenance. Il mit un temps fou à se lever et sortir du café, toujours à vérifier qu'il avait tout. Je n'osais même pas imaginer ce qui se serait produit s'il avait voulu payer... On y serait encore à minuit.
Au dehors le soleil déclinait et le vent n'en était que plus glacial. Je frottai immédiatement mes mains avant de les fourrer dans mes poches en espérant qu'elles ne gèlent pas totalement. Kyouka frissonna et Denki fut pris d'un éternuement magistral comme si le simple fait de mettre un pied dehors lui donnait un rhume. Shoto quant à lui... se massait les tempes en tentant d'immerger de son état somnolant.
- Merci Katsuki le papa peté de thunes !!
Eijiro éclata de rire devant l'air enfantin de nos deux amis et me fit un regard entendu. Mais la blague n'alla pas plus loin et il fut l'heure de partir pour tout le monde.
- Par contre on ne peut pas laisser Shoto conduire comme ça, il va se tuer.
En effet le bicolore avait beau vouloir faire bonne figure il semblait épuisé et complètement incapable de prendre le volant.
- Laissez je ramène Double-Face. Je suis venu en transports de toute façon donc je pourrai rentrer directement chez moi.
J'étais aussi le plus proche du domicile de notre ami. C'était la meilleure solution, et puis, assez égoïstement, j'avais envie que ça se termine comme ça sans qu'un silence ou une gêne ne s'installe entre Eijiro et moi par exemple et ne vienne tout gâcher. Je n'avais pas particulièrement l'intention de faire un debrief à Denki ce soir non plus.
Il en fut donc décidé ainsi et après un bref au revoir et quelques pas je me retrouvai devant la voiture de Double-Face. Mes amis s'amusaient de me voir réussir mais ils pourraient faire la même remarque à Shoto, rien qu'à la tête de la bagnole on pouvait deviner qu'il était loin d'être mal payé. Je le laissai monter sur le siège passager et il me passa les clefs.
- Si tu lui fais une seule mini-rayure Pony va me tuer donc on y va en douceur ok ?
J'eus un sourire en comprenant que la voiture appartenait sûrement plus à sa compagne qu'à lui.
- Ça t'es déjà arrivé ?
- Une fois, je te raconte pas la crise !
Je démarrai donc le bolide avec précaution, il ne fallut pas beaucoup plus de temps pour que le bicolore laisse sa tête dodeliner de fatigue. C'était presque alarmant quand même. Mais alors que je le pensai endormi il se redressa et me regarda du coin de l'œil.
- Tu sais, moi je pense que tu n'as rien fait de mal.
Je sursautai un peu et le reconcentrai sur la route.
- T'es pas obligé de me faire la conversation si t'es crevé, tu peux te reposer.
À vrai dire je n'avais pas envie de parler de ça malgré le soulagement d'entendre ces mots plutôt que l'éternel : "pourquoi t'as attendu si longtemps ?".
- Ouais mais c'est important. Je dis ça parce que j'ai fait exactement la même chose que toi, au bout d'un an j'étais à la capitale et ensuite je voyageais tellement que je ne voyais quasiment plus personne. Comme toi j'ai privilégié mes études et ma carrière, et on ne m'a pas emmerdé.
Son téléphone passé en mode GPS bipa comme pour apporter son d'approbation, je m'arrêtai à un feu et le regardai un court instant.
- T'as pas laissé toutes tes responsabilités derrière...
- T'avais à peine dix-huit ans et Eijiro était d'accord ! T'avais déjà tellement subis en plus.
Ses paupières s'abaissèrent à nouveau mais loin de la fatigue je cru déceler une once de regret dans son regard.
- Et puis... à vrai dire si, j'ai fait pareil. Quand mes parents ont divorcé en première je m'étais juré de me rapprocher de ma mère, de l'aider à surmonter ce que ce connard lui a fait subir. Mais j'ai fui pour travailler ensuite. C'est Fuyumi qui s'est occupée d'elle et moi je n'ai rien fait d'autre qu'envoyer quelques lettres.
Il reposa sa tête contre le dossier du siège.
- Et pourtant personne ne m'en a voulu.
Je savais que Shoto exécrait son père, et je savais à quel point sa situation familiale et en particulier celle de sa mère était difficile. Mais j'étais loin de penser qu'il avait eu à peu près la même vie que moi, coupé du monde et complètement hors du temps. Nous nous garâmes pas loin de chez lui, un grand immeuble du quartier résidentiel à l'est de la ville. Il ne fit cependant pas mine de bouger, il devait attendre une réponse.
- Peut-être que c'est parce que tu n'as fait de promesses à personne.
Il prit un air étonné.
- T'as promis de revenir, t'as jamais dit quand. Sur ce coup là c'est Eijiro qui s'est un peu monté la tête tout seul.
Je secouai la tête en sortant de la voiture avec lui. Nos chemins se séparaient là mais j'avais encore quelque chose à ajouter. C'était une façon de voir les choses mais...
- Je ne pensais pas à cette promesse là.
Il s'arrêta net comme si fort de sa phrase il ne s'attendait pas à ce que j'aie quelque chose à redire. Son visage se fit bien plus grave.
- Laquelle ?
Mes yeux se détournèrent, mes mains s'enfouirent dans les poches de mon manteau et encore une fois il me fallut un temps pour réussir à dire ces mots :
- Je devais revenir en étant heureux.
Shoto ouvrit la bouche un court instant avant de la refermer. Puis à mon grand étonnement un léger sourire perla sur ses lèvres et il me pressa l'épaule d'une main avant de se détourner pour partir. Mais il ne me laissa pas seul sans me lancer une dernière tirade :
- Alors ça veut juste dire qu'il était temps que tu reviennes.
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