XXI
Pdv Katsuki :
La clef tourna dans la serrure, ma mallette calée sous mon bras manqua encore une fois de tomber, la lumière de la cage d'escalier s'éteignit à ce moment là. Mauvaise matinée. Je poussai un soupir en appuyant frénétiquement sur le petit interrupteur. J'étais fatigué, un peu sur les nerfs et j'appréhendais. En descendant les marches je m'imaginai mes futurs subordonnés en face de moi, leurs têtes exaspérées ou curieuses et les murmures échangés après mon intervention. Les "C'est vraiment un bêta ?", "Dix contre un qu'il est pistonné...", "Moi je vous préviens je bosse pas sous lui, il se prend pour qui sérieux ?!" raisonnèrent dans ma tête.
S'ils savaient.
Je pris une grande inspiration en poussant la grille en fer forgé de la résidence. Le ciel était d'un bleu éclatant mais il faisait un froid glacial caractéristique des hivers gelés de mon pays. Mon pays. Même après presque deux ans à revivre si proche de là où j'avais grandi j'avais l'impression d'être un étranger. Mais le léger accent que j'avais quand je parlais anglais me rappelait mon appartenance à ces lieux.
Je m'engageai dans les rues alentours et retrouvai un peu de chaleur dans ma voiture où je m'empressai d'allumer le chauffage. Je soufflai sur mes mains pour les réchauffer et me mis en route. À vrai dire, mon petit accent était loin d'être la seule chose qui me rattache à ces lieux. À une cinquantaine de kilomètres de là, une ville côtière et ses habitants me rappelaient sans cesse tout ce qui s'était passé ici. Des choses que j'aurais préféré ne pas vivre, d'autres que j'aurais aimé retrouver. Et pourtant aujourd'hui c'était ma destination, ma ville natale où j'allais aussi mener le projet de ma vie, les équipes que j'avais toujours rêvé d'avoir, le tremplin de ma carrière. Enfin, à supposer que cette bande de gosses alphas en costumes trois pièces accepte de m'obéir...
Penser au travail m'évitait de m'attarder sur le parc attraction décrépi qui n'attirait plus que des ados en mal de sensations fortes. Ou encore cela m'empêchai de contempler les rues à la recherche de souvenirs ou de fantômes. D'un jeune homme aux cheveux rouges et à la tête bizarre, d'une coiffure en gratte-ciel, d'un sourire.
Mais encore une fois cette personne sortie d'un autre temps n'apparut pas, je soupirai de soulagement en repensant à ma promesse. J'avais refusé de le voir lors de mon emménagement, mais je me jurais chaque jour que ce serait pour bientôt. Peut-être que ce serait après ce projet, lorsque je serais intouchable et que je pourrais enfin renouer avec mon passé en étant fier de celui que j'étais devenu. Je craignais ce jour autant que je l'espérais. Ce serait sûrement une sorte de libération, à défaut de ressembler à de joyeuses retrouvailles comme dans un film de merde.
Le parking du grand immeuble où je venais de me garer me ramena à la réalité. Ça ne pouvait pas encore être le moment, même si la culpabilité me rongeais, même si ça me soulagerait, je n'étais pas prêt. Il y avait plus important, comme l'homme qui m'attendait à l'accueil pour mieux me conduire au vingt-cinquième étage du bâtiment de verre. J'adorais l'ironie de ce genre de tours. Les hommes qui fabriquaient les engins volants se trouvaient au ras du sol, ceux qui les inventaient ne montaient guère plus haut, et ceux qui faisaient une réunion pour décider de qui écrirait son nom sur l'aile se trouvaient au sommet, comme si avec leurs gros billets ils étaient les plus proches du ciel. Cela me faisait doucement sourire mais j'avais sans doute un sens de l'humour douteux.
L'ascenseur s'ouvrit sur un grand espace de travail, c'était très à la mode de ne plus séparer les bureaux. On me fixa avec hostilité, la rumeur sur ma "classe", ou plutôt celle que je m'étais désignée, avait dû me précéder. L'homme qui m'accompagnait me présenta sommairement aux ingénieurs triés sur le volet pour ce travail. Développer une version démocratisable des "taxis-volants" comme aimait le dire la presse. C'était un rêve qui nous plongeait en plein monde futuriste, mais qui ne pourrait se réaliser que s'ils me montraient un peu de respect. Et vu leurs têtes ce n'était pas gagné.
- Je laisse Mr.Bakugou vous dire deux mots avant que les dossiers ne vous soient distribués.
Je ne pris pas de grande inspiration, ne déglutis pas, ne cherchai pas à fuir leurs mines renfrognées. Tout stress avait disparu.
- Je ne vous demande que deux choses : Être efficaces et ne pas commettre d'erreur. Je m'imposerai la même discipline qu'à vous et je me montrerai irréprochable, il y a donc intérêt à ce que ce soit réciproque.
"Et si vous vous trompez ne serait ce que d'un demi-millimètre sur la taille du trois-cent-quarante-septième boulon, je vous dégage" fut la phrase que je pensai sans pouvoir la dire. Si j'avais été un alpha j'aurais pu me permettre un tel coup d'éclat. Mais je n'étais qu'un bêta déjà à la limite de l'insolence, et même si c'était déjà mieux qu'un larbin d'oméga, il valait mieux ne pas pousser ma chance trop loin.
- Sur ce à demain.
Pas de marque de sympathie, pas de sourire ou même de signe de respect, quelques regards haineux tout au plus me répondirent. Mais c'était déjà mieux que l'indifférence qu'on avait pu m'accorder par le passé, quand j'étais encore un novice qu'on pouvait se permettre d'écraser. Le même homme me fit signe de le suivre. Son léger signe de tête à la fin de mon allocution me fit comprendre que j'avais eu raison de ne pas en faire trop.
Il me fit reprendre l'ascenseur pour monter trois pauvres étages de plus tout en tentant de faire la conversation. C'était comme si maintenant qu'il m'avait entendu parler il pouvait enfin se montrer bavard. Je l'écoutai d'une oreille distraite.
- J'espère que vous vous plairez avec cette nouvelle équipe.
Toujours mieux que le stagiaire qui avait craché dans mon café il y a deux ans...
- Il vous faudra un peu de temps pour vous adapter mais vous verrez qu'ils sont l'avenir de la boîte et de l'aéronautique à grande échelle.
C'était surtout eux qui allaient devoir suivre le rythme.
- Évidemment ce genre d'entreprise révolutionnaire a un coût.
Ben voyons, l'interlude ingénierie étant passé, il était temps de parler pognon.
- Nos producteurs ainsi que nos mécènes veulent s'assurer que leur argent ne s'envole pas si vous me permettez le jeu de mots.
Je souris pour être poli pendant qu'il étouffait un petit rictus de bonhomme qui a l'habitude de rire seul à ses propres blagues.
- Enfin bon... c'est pourquoi une équipe de vente et de gestion des ressources vous sera affiliée. Vous aurez un rapport de vos moindres dépenses à rendre à un directeur marketing qui suivra le projet de très près. Mais pour vous ça ne devrait pas être un problème ?
Même si s'était un connard fini on ne m'autoriserait pas à me plaindre, donc je répondis par un simple non, prenant le ton de la modestie que j'avais appris à utiliser plutôt que mon éternel air énervé. Mon sale caractère n'avait plus vraiment sa place dans ma vie, où alors seulement quand on m'autorisait à virer quelqu'un. Travailler avec une équipe de marketing était toujours plus ardu, chaque pièce devenait indispensable et impossible à refaire, c'était d'ailleurs sûrement pour ça que j'avais été choisi. En huit ans je n'avais fait aucune erreur, aucun faux pas. Et cela payait.
Il poussa une lourde porte et me fit rentrer dans un petit bureau qu'immédiatement je détestai. Tout d'abord parce que le fauteuil qui trônait au centre était couleur vase dégueulasse. Ensuite parce que l'homme qui se retourna à notre arrivée faillit faire exploser mon coeur dans l'instant.
Il ne faisait plus la même taille et il avait troqué sa coiffure en pics pour une coupe plus conventionnelle. Mais c'était la même carrure, les mêmes yeux et assez étonnamment, la même teinture pétante.
Je restai un instant cloué sur place, complètement tétanisé et persuadé que je rêvais, qu'il n'y avait qu'un inconnu devant moi et que c'était encore une fois un tour de mon imagination. Ça ne pouvait être que ça. Mais il me regardait avec des iris que je connaissais bien et que je n'aurais jamais pu oublier. Un farta d'émotions mêlées que je n'arrivais pas à distinguer s'y lisaient, mais je n'y vis aucune surprise.
La vague présentation qu'on me fit de lui me parut si sommaire, si inutile pour moi que je n'en écoutai rien, seul le nom retînt mon attention.
- ...Eijiro Kirishima, j'espère que vous vous entendrez bien.
Non ce n'était pas un rêve. Et le premier sentiment qui parvint jusqu'à mon cerveau fut la frustration. Ça n'était pas le moment, j'avais promis de revenir mais pas maintenant. J'avais encore trop de choses à accomplir avant cela. Je serrai les poings et ne dis pas un mot. Le troisième homme qui était clairement de trop sembla attendre une réponse de notre part, il n'eut qu'un silence contemplatif où chacun cherchait des brides d'indices de ce qu'était devenu l'autre, le cœur battant.
- Hum... Je vais vous laisser faire connaissance et évaluer le projet. Vous avez le bureau pour la journée.
Personne ne lui répondit, ce fut tout juste si Eijiro détourna les yeux de moi pour regarder la porte claquer dans mon dos. Un long moment nous ne fîmes que nous fixer sans rien dire. Il esquissa un geste comme pour me frapper ou me prendre dans ses bras, et sembla sur le point de parler à plusieurs reprises mais se ravisa à chaque fois. J'aurais voulu m'enfuir ou retourner dans le temps, ce n'était pas comme ça que je voulais le revoir. Dans ma tête j'arrivais toujours avec un bouquet, un air gêné certes mais aussi l'envie d'au moins rediscuter un peu, de prouver que je n'avais rien oublié. Tout cela vola en éclats.
- Katsuki Bakugou, chef de service en ingénierie. Un bêta, humble et discipliné, très capable... C'est marrant c'est le même nom mais pas le même homme.
Je baissai la tête, la pointe de tension dans sa voix et son regard déçu me frustrèrent encore plus.
- Il s'est passé beaucoup de choses...
- Un peu trop à mon goût.
Il n'était pas difficile de discerner les reproches dans ses mots, je ne m'en sentis que plus en colère. De quel droit me jugeait-il ? C'était lui qui m'avait laissé le choix ! Et savait-il seulement tout ce que j'avais enduré pour en arriver là ? Et me parler comme si les laisser ne m'avait pas coûté, alors que je tentais d'oublier mes remords chaque putain de jour de ma vie.
- Je comptais vous revoir !
- En nous effaçant de ta vie ? En te créant une nouvelle identité ? Un nouveau caractère ? Tu n'imagines même pas ce que j'ai ressenti quand on m'a présenté ton parcours. On t'a traité de "docile" ! Katsuki Bakugou le gosse braillard prêt à clamer haut et fort qu'il était un oméga et que ça ne changeait rien était devenu un "bêta docile". Je me suis dit... Je me suis vraiment dit que tu ne reviendrais jamais, que tu avais trop changé et que c'était peine perdue d'attendre quoi que ce soit de toi.
Je serrai les poings. Dit comme ça c'était moi le méchant. C'était comme si je n'avais jamais été rongé par la culpabilité. Comme si l'ombre d'un fils que j'avais à peine connu et qui devait me ressembler ne me suivait pas partout.
- Parce que tu crois qu'ils auraient laissé sa chance à un oméga braillard comme tu dis ? Parce que tu crois que si je venais vous voir maintenant, que j'avouais avoir donné naissance et menti sur ma classe on ne me virerait pas ? Je marche sur un fil de rasoir depuis quinze ans et tu me reproches de ne pas avoir sauté dans le vide pour tes beaux yeux ?
Son regard s'adoucit un court instant mais il sembla se reprendre bien vite et son visage se ferma.
- Ça ne t'excuse pas, tu aurais pu venir nous voir et m'en parler, j'aurais compris. À la place tu m'as laissé poireauter comme un con. La vérité c'est que tu n'en avais rien à foutre de ce qu'on devenait sans toi.
Encore une fois c'était totalement faux. J'avais passé des heures entières à m'imaginer ce qu'ils devenaient, ça me comprimait le coeur de penser qu'ils avaient sûrement refait leur vie, que Naraku me détestait probablement. J'avais envie qu'ils ne m'attendent pas, qu'ils vivent sans que j'aie la moindre importance pour eux parce que c'était ce qui pouvait leur arriver de mieux. Et en même temps ça m'aurait condamné à vivre seul avec mes remords, à ne jamais pouvoir m'attacher à personne. Et une toute petite part de moi aurait au moins voulu qu'ils me pardonnent à défaut de me donner une place dans leur vie.
- Même Terumi et le reste de la famille ne sait rien de ma vie professionnelle. J'ai fait un choix tu comprends, et j'attendais de pouvoir mêler ces deux vies sans problème. Il me fallait encore du temps.
- J'ai du mal à te croire... je t'en ai donné tellement.
Je compris à cet instant que non seulement je n'obtiendrais pas gain de cause mais qu'en plus il était bien trop tard pour faire comme si de rien était. Eijiro et moi allions nous côtoyer de toute façon et souvent travailler ensemble. Ce coup du hasard ressemblait presque à une sorte de destin qui aurait voulu me forcer la main. Peut-être qu'il était temps d'arrêter de fuir et de m'enfoncer dans mon boulot et ma peur d'être un jour découvert.
Je saisis le dossier d'une main et le lui tendis.
- Est-ce qu'on pourra reprendre cette conversation plus tard ? J'ai la journée pour peaufiner ça avec toi avant de le présenter à mes équipes.
Il eu un petit rictus ironique qui me parût presque mauvais.
- J'en ai un peu marre de te laisser remettre les choses importantes à plus tard, on va bosser sur ce dossier cet après-midi, ce matin tu viens avec moi.
Je me tendis imperceptiblement, il n'était pas très difficile de deviner que "avec moi" signifiait "chez moi". J'étais en quelque sorte pris au piège et refuser aurait été faire preuve d'encore plus lâcheté. Les choses n'allaient pas dans mon sens, j'allais devoir m'en accommoder et accepter de jouer selon les règles d'Eijiro. On avait tout fait selon les miennes depuis plus de quinze ans, je pouvais au moins faire cela pour lui.
- Je vois... Laisse moi juste le temps de rendre les clefs au gars qui m'a accompagné.
- Je viens avec toi.
- C'est comme ça que tu me vois ? Sérieusement ?!
- T'as déjà disparu une fois, je ne te quitte plus des yeux.
Je grognai de rage. Même si j'avais pu choisir le lieu et le jour des retrouvailles je ne me serais pas attendu à un joyeux accueil. En fait cela faisait des années que je me préparais mentalement à des remontrances. Mais de là à me faire comprendre que je ne méritais plus aucune confiance... c'était vraiment blessant. Je me murai dans le silence sur tout le trajet, tête baissée. Son regard entre mes omoplates me brûlait le dos. L'homme à qui je rendis les clefs du bureau nous regarda d'un air perplexe mais Eijiro devait avoir la même mine sombre que moi car il n'osa pas faire de commentaire. Ça promettait au boulot.
Nous prîmes la voiture de mon... collègue, ancien amour, père de mon fils, rien de tout cela n'avait de sens et j'avais l'impression d'être dans un mauvais feuilleton.
- Ça ira pour ta voiture ?
- Je repasserai par ici de toute façon.
L'ambiance était électrique, j'avais l'impression que si l'homme à côté de moi ne devait pas regarder la route il passerait son temps à me fixer d'un air assassin. Avec peu d'entrain et plus par gêne que par envie de plaisanter, je tentai de détendre l'atmosphère.
- Tu as remplacé Bertrand II ?
Les jointures de ses mains blanchirent contre le volant.
- Non. L'abandon c'est pas vraiment mon genre.
Je me crispai et détournai les yeux en me demandant s'il ne serait pas plus agréable d'ouvrir la portière et de sauter de la voiture lancée à quatre-vingt-dix kilomètres/heure plutôt que de rester une seconde de plus ici. Je ne prétendais pas être un saint ou une victime, et j'avais sûrement mérité sa colère. Mais je me culpabilisais déjà suffisamment tout seul, je n'avais pas besoin de son mépris en plus.
Un long silence s'ensuivit, pesant comme le bitume gris de la route. Je ne voulais plus parler si c'était pour me faire incendier. Aussi ce fut lui qui fit un effort cette fois. Enfin, ça ressemblait plus à un interrogatoire...
- T'as revu Terumi ?
- Oui.
- Combien de fois ?
- Elles se comptent sur les doigts d'une main.
Il me jeta un coup d'oeil avant de reporter son attention sur la route. Je reconnaissais le quartier. À quelques rues se trouvaient la maison d'Hanta, et un peu plus loin le lycée. En descendant maintenant nous aurions pour le rejoindre en moins de dix minutes à pied. Mais bien vite nous nous éloignâmes de ces lieux plus troublants qu'autre chose.
- Et la bande ? T'as gardé contact ?
- Avec Denki principalement. On se voit pas mal.
- Les autres ?
- Aussi mais moins que Denki.
- Ils savent pour ton petit stratagème ?
- On ne parle pas vraiment boulot.
Il se contenta de répondre par un "hum" peu convaincu qui me mit vraiment sur les nerfs.
- Merde Eijiro ! Le principe d'un secret c'est que je ne le partage pas ! Mon boulot et ma vie privée ne se mélangent pas, c'est tout.
Il freina sec devant une petite maison un peu à l'extérieur de la ville avec un minuscule jardin et un garage. Il ne se tourna pas vers moi mais tapa des doigts contre le volant d'un air exaspéré.
- Ok donc en fait t'es devenu parano et tu fais plus confiance à personne.
- C'est comme ça que j'ai tenu jusque ici, excuse-moi de ne pas avoir voulu changer une méthode qui marche.
Je me retins d'ajouter que ça faisait depuis presque seize ans que je ne faisais plus vraiment confiance à qui que ce soit, depuis une certaine nuit en fait. Mais ça lui aurait fait mal pour rien et en vérité, ça aurait été plus méchant et gratuit qu'autre chose. D'autant plus que je ne lui en voulais pas vraiment.
Il me regarda du coin de l'oeil un court instant avant de sortir de la voiture. Il ne m'invita pas à faire de même mais je le suivis jusqu'à l'entrée de sa maison. Elle ressemblait étrangement à celle dans laquelle j'avais grandi, en plus longue et avec l'étage en moins. Je m'attendais à plus grand pour un directeur marketing. Mais parler d'argent maintenant serait sûrement malvenu.
Il me fit passer dans l'entrée et m'intima d'enlever mes chaussures. Je le fis machinalement avant de m'avancer dans le salon.
- Je te fais pas visiter tu ne m'en veux pas.
J'hochai simplement la tête, perdu dans ma contemplation. C'était là qu'ils vivaient, dans la banlieue de ma ville natale, qu'ils passaient leur quotidien. Quinze ans avaient passé pour eux aussi, j'avais du mal à m'en rendre compte. Et pourtant les photos sur la commode et dispersées entre quelques étagères me le montraient bien. Naraku sur une balançoire. Naraku et Eijiro avec une énorme barbe à papa. Naraku à cinq ans, à dix, qui pêche, qui n'a plus de dents, avec un diplôme... et de grands sourires.
Certaines représentaient aussi Terumi avec lui, dont une où elle le tenait d'une main et empêchait son chapeau de s'envoler de l'autre. Eijiro avait dû prendre le cliché en été car il faisait beau, et elle couvait l'enfant du regard. Du point de vue d'un étranger on aurait pu croire à des photos de famille normales, avec un homme et une femme et leur fils. Mais non, j'étais l'ombre au tableau, le type qui était parti et qui avait un peu taché ce bonheur par son absence. Les remords qui m'étreignaient depuis maintenant longtemps me prirent à la gorge.
- Je suis désolé...
Je détournai les yeux des clichés le plus vite possible pour ne pas craquer. Ça arrivait parfois, je repensais à quelque chose, mon imagination me jouait un tour ou juste je me sentais fatigué et je craquais. Dans ces moments là je pouvais pleurer devant un vendeur de jouets où au téléphone sur le répondeur de ma mère. C'était des larmes sans soulagement et souvent ça m'emplissait de honte. Je me repris cette fois, me retournant juste à temps pour croiser le regard d'Eijiro.
Il n'avait plus le même rictus de colère, ses yeux s'attardèrent sur moi avec un peu plus de douceur. Je ne m'en sentis que plus pitoyable. J'ôtai ma veste pour me donner une contenance et pouvoir lui tourner le dos. Il marcha un peu vers moi et un court instant je crus sentir ses doigts effleurer ma manche. Je me retournai un peu brusquement pour vérifier mais j'avais dû rêver car quand je posai les yeux sur lui il avait les mains le long du corps et regardai soigneusement vers le bas.
- J'ai cru que tu ne dirais jamais ces mots.
Que répondre à cela ? Ça aurait été mon genre de ne pas demander pardon, et d'ailleurs, si nous n'avions pas été chez lui mais encore dans ce bureau, je n'aurais pas vraiment pris conscience de ce qu'ils étaient devenus et je n'aurais rien dit.
Eijiro s'éloigna et m'invita à prendre place sur le canapé sans un mot de plus. Il s'assit en face de moi sur un beau fauteuil en cuir qui me disait quelque chose. Tout n'était qu'impressions de déjà-vu en ce moment.
- Katsuki j'aimerais savoir si... C'est terrible à dire... J'aimerais savoir si on a encore quelque chose à faire ensemble.
Je me figeai un instant. J'avais du mal à comprendre le sens de la question mais mon coeur ne se priva pas de faire un bond dans ma poitrine.
- C'est-à-dire ?
- Eh bien j'aimerais savoir si tu comptes renouer avec ta famille, avec moi, et si ça vaut le coup que tu tentes de reprendre part à notre vie. Nous allons de toute façon bosser ensemble mais ça peut s'arrêter là.
Je baissai la tête. Je n'avais pas l'impression que le choix m'appartenais.
- Je vous ai peut-être déjà suffisamment pourri la vie, non ? J'ai bien compris que t'avais eu l'impression d'attendre pour rien et que ça t'avait couté. Je peux disparaître pour de bon si tu juges ça mieux pour vous.
- Si je te poses la question c'est que je ne juges pas ça mieux pour nous. Dans le meilleur des cas j'aimerais que tu essaies au moins de t'intéresser un peu à nous. Tu as fait assez de mal comme ça et je ne te laisserai pas t'en tirer juste en partant sans rien faire de plus. Après si je te force la main pour que tu fasses connaissance avec ton fils et que tu renoues avec tes parents et ta soeur... je me doutes que tu ne vas pas y mettre du tien et que ça va être encore pire.
Il joignit ses mains sous son menton et plongea ses yeux dans les miens. Un instant je contemplai ses traits un peu durcis par son passage à l'âge adulte et les toutes petites rides du sourire qu'on discernait à peine aux coins de ses yeux. Il ne faisait plus jeune homme de dix-huit ans à peine dont le seul vestige était la chevelure rouge vive, il avait dans le regard la maturité d'un homme de trente ans passés. Cela me chamboula quelque peu, je n'étais pas le seul à avoir changé.
- Alors, si je te demande de faire un effort pour nous, est-ce que tu seras prêt à le faire ?
J'eus un léger instant de flottement où rien ne me vint à l'esprit avant d'être pris d'une certaine panique.
- Tu veux bien me donner la journée pour y penser ?
- Non. Je suis un peu à bout de patience avec toi.
- Mais tu peux pas me demander de choisir comme ça à chaud !
- Si je le peux, tu m'en as donné le droit en te comportant constamment comme un gosse paumé !
Je n'eus pas le temps de continuer cette discussion qui dégénérait. Un bruit de clef qui tourne dans la serrure m'interrompit d'un coup. Il y eu un frottement, un bruit de sac qui tombe et une voix joyeuse, assez grave mais aux intonations presque chantantes.
- Papa tu devineras jamais ce qui s'est passé aujourd'hui !!
Un jeune homme en jean et T-shirt déboula dans le salon à grandes enjambées et se figea dans son élan dès qu'il nous aperçut. À moi aussi cela me fit un choc, il était grand et presque un peu maigrichon, ses bras dévoilés par les manches courtes étaient pâles.
Je parcourus son visage du regard et chaque seconde de plus me faisait l'effet d'une gifle. J'avais longtemps imaginé que ce fils que je n'avais pas vu grandir me suivait comme une ombre dans les rues de New York. J'étais loin de me douter à quel point j'étais proche de la vérité. C'était le même menton et les mêmes yeux d'un rouge enfer, les mêmes cheveux en bataille, à peine adoucis par quelques gènes d'Eijiro. La seule différence était leur couleur noire de jais, la couleur d'un abîme, la couleur d'une ombre.
- Katsuki, tu restes déjeuner ?
C'était le moment du choix et Eijiro avait raison : je ne pouvais pas reculer. Partir maintenant c'était ne plus jamais remettre un pied ici. Rester c'était jurer de tout donner pour reconstruire un lien sain avec eux deux. Sous le choc et sans quitter le jeune homme de quinze ans que j'avais sous les yeux, je prononçais trois mots.
- Oui, je reste.
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Bonjour ! ( bonsoir ? ) Il a mis un peu de temps mais voilà le premier chapitre, l'histoire repart !
Sachez que le rythme restera un peu lent car je publie au fur et à mesure que j'écris désormais. Mais ça à un avantage ! Avant je lisais les commentaires avec plaisir mais sans pouvoir en dire trop en réponse car la suite était déjà écrite. Maintenant je pourrai mieux prendre en compte vos remarques et vos impressions pourront plus influer sur ce que j'écris, même si j'ai déjà la trame narrative en tête.
Bref tout ça pour dire que j'adorerais avoir vos avis sur ce premier chapitre et que j'espère qu'il vous a plu !
Bonne journée ( soirée ? ) et bonne lecture sur Wattys !
Patatarte-chan 🎩
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