XIX
Pvd Eijiro :
Ma chambre n'avait jamais été aussi sombre et une musique déprimante passait en boucle dans mes écouteurs. Je n'arrivais pas à dormir, pas depuis que j'avais reçu le message de Terumi. Il ne m'avait même pas prévenu lui même ce con. Je haïssais Katsuki Bakugou, en cet instant je le haïssais. Il venait d'être emmené à l'hôpital et il n'avait même même pas jugé bon de me prévenir. C'était comme s'il voulait m'écarter complètement de lui.
Je poussai un soupir de stress et me retournai dans mon lit à l'affut du moindre bruit. J'attendais le moment où mes mères iraient se coucher, encore quelques minutes.
Je n'avais jamais passé une moitié d'année aussi merdique. J'étais tiraillé entre l'impression que rien n'avait changé, que mes amis étaient toujours là, que les cours étaient toujours aussi monotones et le sentiment d'avoir dû rejoindre le monde des adultes d'un coup, avant tout le monde. Et seul. Je n'avais jamais imaginé qu'on pouvait l'être à ce point, surtout après une année de première passée main dans la main avec le blond. Ces deux années scolaires étaient le jour et la nuit et je n'arrivais pas à comprendre pourquoi notre relation avait si radicalement changé.
Certes c'était une épreuve, mais nous aurions pu l'affronter ensemble, en discutant, en cherchant ce qui serait le mieux pour nous. À la place il s'était muré dans le silence, trop concentré sur ses cahiers pour remarquer quoi que ce soit d'autre. Et j'avais beau me dire qu'il y avait sûrement une bonne raison à cela, sa fierté, sa crainte pour l'avenir, ou même cette nuit qui avait tout détruit sur son passage, je n'arrivais pas à comprendre. Je me sentais terriblement négligé par celui que j'aimais et qui portait mon enfant.
Mes poings se serrèrent contre l'oreiller, je sentis mon dos et ma nuque se tendre. C'en était presque douloureux. Mais un mouvement me tira de mes idées noires, hors de ma chambre, ça s'agitait. Quelques minutes.
Lorsque j'entendis la porte de la chambre de mes parents claquer je ne pris même pas la peine d'être prudent. Je me glissai hors du lit, pris les clefs de voiture et me précipitai le plus discrètement possible jusqu'à l'extérieur. L'air suffocant de juillet me fit un bien fou bizarrement, je ne me sentais plus à l'aise chez moi depuis que j'avais forcé la main à mes mères en début d'année. Je ne m'étais jamais opposé aussi ouvertement à elles, profitant de ce qu'elles me laissaient faire, levant les yeux au ciel en soupirant quand elles allaient trop loin. Je ne m'étais jamais senti très proche d'elles, de toutes manières elles n'étaient pas du genre très présentes, mais en ce moment c'était comme si j'avais érigé une muraille entre nous. Surtout entre Sekai et moi.
Je courus jusqu'à la petite bagnole et me glissai sur le siège du conducteur. Je tournai les clefs et attendis qu'elle démarre, plus le temps passait et plus elle était lente.
- Allez Bertrand II... J'ai un putain d'abruti qui ne se sent pas bien du tout et que je dois rejoindre parce que je suis moins con que lui, bouge-toi !
Mais rien n'y fit, pendant un moment je crus que j'allais craquer et rouer de coups la foutue bagnole. Je renversai la tête, affalé contre mon siège, c'était trop con, j'avais envie de pleurer.
- S'il te plaît, ça doit faire des mois que je lui ai pas parlé. T'as tenu la chandelle suffisamment longtemps pour savoir qu'il me manque. Il me manque tellement. Alors démarre...
Un petit bruit de moteur qui s'enclenche me répondit, comme un ronron réconfortant. Je soupirai de soulagement et caressai un instant le bord du volant.
- Merci, t'es vraiment mon gars sûr.
Je fonçai vers l'hôpital aussi vite qu'il était permis à mon pauvre petit Bertrand II de le faire. Et j'eu l'impression qu'il faisait des efforts, ça me dit sourire sur le trajet.
Dans le parking tout semblait plus sombre et plus lourd. Ma bagnole s'arrêta en crachotant comme si elle faisait de l'asthme. Je lui offris une petite tape réconfortante. Je devais être fou, passer ma panique et mon mal être en parlant avec une voiture...
- Heureusement que t'es là toi. T'es aussi silencieux que lui mais au moins t'es présent.
- Eijiro !!
Je relevai la tête brusquement et sautai hors de la voiture. Trois gosses à l'allure complètement débraillée, dont un blond poussin qui bâillait encore aux corneilles quittaient l'arrêt de bus pour se précipiter vers moi. Je fis les yeux ronds en reconnaissant Shoto, Kyouka et Denki sur un parking d'hôpital.
- Mais qu'est-ce que ?...
- La sœur de Katsuki nous a prévenus pour son malaise. Tu sais ce qu'il se passe ?
- Non, ça peut être des contractions ou juste une faiblesse parce qu'il fait n'importe quoi avec son corps en ce moment. Mais vous n'étiez pas obligés de vous lever à cette heure, il est super tard.
Tous trois me regardèrent comme si j'avais mis le doigt sur quelque chose d'important. La violette s'approcha de moi sans un mot avant de passer ses bras autour de mon cou.
- On a l'impression de vous avoir si peu aidé ces derniers mois, on ne pouvait pas rester sans rien faire.
J'ouvrai la bouche pour protester, partagé entre mon désir de nier ses dires et une profonde reconnaissance. C'était faux, ils avaient été là pour moi ces temps-ci, ils m'avaient fait rire, m'avaient aidé à supporter l'attente et la froideur du blond. Ils avaient été les meilleurs potes du monde, même s'ils s'étaient fait discrets.
- On te voit venir, Eijiro ! "Vous êtes parfaits gnagnagna". Il n'empêche qu'on a l'impression qu'on aurait pu faire plus. Pour toi comme pour Katsuki.
Le ton de Shoto me fit pouffer, Denki dormait presque debout le pauvre, mais il tentait de suivre la conversation et d'apporter son approbation en opinant du chef.
- Je suis tellement chanceux de vous avoir. Et ne vous bilez pas pour Katsuki, il a décidé qu'il se débrouillait tout seul comme un grand de toute manière. C'est rageant mais c'est comme ça.
Kyouka qui avait quitté mes bras pouffa un peu, mais pas le genre de rire qu'elle avait quand c'était une vraie blague. C'était plutôt un rire amer. Comme quoi, l'isolement du jeune homme nous affectait tous.
- Bon, on y va ? Denki a besoin de se bouger là ! Et je vous signale que c'est moi qui porte les boissons et les ptits trucs à manger pour tenir la nuit. Et c'est lourd !
Je souris au bicolore et lui pris un sac pour l'aider. Notre entrée dans l'hôpital fut remarquée, quatre jeunes un peu bizarres à minuit passé, il y avait de quoi se poser des questions. Terumi nous rejoignit dès qu'elle nous vit, sa mine alarmée me fit un peu peur.
- Bon, ça a déjà commencé mais le bébé va naître...
- Maintenant ?!
- Oui normalement il reste encore un mois et demi mais Katsuki a tellement mal vécu la grossesse... Bref, ce sera un prématuré moyen. Plein d'enfants naissent au bout de sept mois et demi, ce n'est pas non plus affreux. Il faut juste faire attention et le laisser passer un peu de temps en couveuse.
- C'est peut-être mieux comme ça...
La jeune femme eut un petit rire et haussa les épaules.
- C'est sûr qu'il y en a un qui va être content de s'en débarrasser.
La mot me pinça le coeur. Si j'étais sûr que Katsuki n'aimerait pas se débarrasser complètement et pour toujours de cet enfant, la remarque de sa soeur m'amuserait bien plus.
- Pardon je voulais dire... enfin débarrasser, pas au sens définitif...
- J'ai compris, pas de souci, Terumi.
Elle hocha la tête d'un air dépité et se tourna vers mes trois amis qui semblaient seulement réaliser ce qui était en train de se passer. Comment leur en vouloir ? Avoir un enfant c'était totalement irréel à notre âge et, par son absence, Katsuki ne leur avait pas vraiment laissé la possibilité de s'habituer à l'idée.
- Ça va durer des heures, peut-être toute la nuit et toute la journée. Vous êtes en vacances mais ça reste encombrant. Vous voulez rester quand même ?
Les trois comparses se regardèrent avant de se tourner vers moi, comme si j'avais une approbation à donner.
- Moi je reste, mais vous faites ce que vous voulez, ça va être long et épuisant pour rien d'attendre alors que je pourrais vous envoyer des messages pour vous tenir au courant.
Shoto et Kyouka hochèrent la tête.
- S'il n'y a rien d'urgent on va vous laisser et attendre chez nous. Je suis un peu partie comme une voleuse de chez moi et Shoto devait voir sa mère aujourd'hui. Mais on attend un texto au moins une fois par heure !
L'ordre de la violette me tira un sourire.
- Bien mon capitaine !
- Moi je reste.
Tout le monde regarda le pikachu en herbe avec des yeux ronds, Denki qui jusque là somnolait dans son coin semblait d'un coup bien réveillé.
- Primo, j'ai rien à faire chez moi. Secondo, j'ai ramené ma switch exprès pour t'aider à t'occuper. Tertio, j'ai deux mots à dire à Katsuki Bakugou.
On n'avait jamais vu le jeune homme parler ainsi, on n'avait presque jamais vu sa mine sérieuse, ou ce regard déterminé dans les yeux. C'était déroutant et presque inquiétant, surtout lorsqu'il mentionna le troisième point. Mais j'étais heureux qu'il ne me laisse pas seul à me tourner les pouces, même si je m'en serais accommodé. Savoir un de mes amis près de moi dans ce moment étrange me fit du bien.
Nous nous séparâmes ainsi, Terumi resta avec moi, elle était pâle comme la mort et se rongeait les ongles. Pas très rassurant... Lorsque nous rejoignîmes les parents de Kats, je découvris avec effroi qu'ils n'en menaient pas large non plus. Comment ne pas paniquer, Katsuki avait limite fait exprès de se pourrir la santé, et même si le bébé n'était pas grand prématuré, ça restait peu réjouissant comme nouvelle... Après plusieurs minutes de silence, Denki tenta désespérément de nous sortir de notre état d'inquiétude.
- Cookie, saucisson, Mario Kart ?
Je lui fis un vague sourire, sa remarque avait le mérite de détourner mes yeux de la porte derrière laquelle la personne j'aimais reposait sans que je puisse la voir.
- Va pour Mario Kart, mais j'ai pas faim.
- Ok mais si tu oses zapper le ptit dej' dans cinq heures je te force à avaler le paquet de cookies façon gavage d'oies.
- Super réjouissant comme programme !
Ainsi commença ma série de défaites contre mon enfoiré de pote qui semblait abonné à l'objet en forme d'éclair qui rétrécissait tout. J'étais passé huitième à cause de lui alors que je commençais toujours premier. Je m'étirai après un bon nombre de manches, un peu détendu par le jeu et la fatigue qui reprenait le dessus sur l'adrénaline.
- Ok, pause.
- T'abandonnes ?
- T'es trop fort pour moi, mais je pense que Terumi peut te battre.
À vrai dire je n'en savais strictement rien, j'essayais juste de tirer la famille Bakugou de sa torpeur. J'échouai cependant, la jolie blonde secoua la tête sans un mot. Je me retrouvai donc seul face à mon ami qui semblait de nouveau proche du sommeil.
- Dis Denki ?
- Hum.. ?
- Tu veux lui dire quoi à Kats ?
Le jeune homme d'habitude si énergique ouvrit un œil fatigué et se redressa sur le siège peu confortable de l'hôpital.
- Bah... les trucs habituels.
- Comme ?
- Comme "Tu nous as manqué", "C'est un nouveau départ et on est là pour toi", "Bravo pour les félicitations du jury au bac", "T'avais pas à avoir honte tu sais", "Courage".
Il se tût un instant avant de prendre une grande inspiration.
- "T'es un salaud de nous avoir laissé dans le flou. On pensait que t'avais arrêté de t'enfermer dans ta tête pour tout endurer comme en seconde. Que tu avais compris que la jouer solo ça marchait moins bien. Tu nous as fait du mal, on croyait que tu avais confiance en nous autant qu'on a confiance en toi. On a eu l'impression de servir à rien pendant six putain de mois. Et on t'en veut d'avoir été comme ça même avec ton propre mec. Parce que tes potes passe encore, t'as toujours été un gars secret, mais avec Eijiro... on a toujours eu l'impression que tu lui disais tout, que lui il pourrait t'aider dans les moments difficiles et que tu le laisserais faire, mais non, t'as préféré t'enfermer chez toi sans réfléchir aux conséquences. T'as toujours été trop fier et ça te rend vraiment con parfois."
Il me fit un maigre sourire, j'eus du mal à le lui rendre tant j'étais surpris. C'était tout sauf les trucs habituels, et le pronom utilisé me fit vite comprendre que ce n'était pas seulement son ressenti mais celui de Shoto et Kyouka. Ils avaient du en discuter, réfléchir à toute cette histoire, et je n'en savais rien. Et pourtant c'était logique, comment ne pas être impacté par ce que Katsuki et moi vivions ? Nous passions nos journées ensemble, normal qu'ils aient eu le même ressenti que moi.
- J'espère qu'il t'entendra.
- J'espère aussi, depuis le temps que je mouline mon petit discours.
Je lui rendis enfin son sourire et nous ne fîmes plus rien d'autre qu'attendre, voguant au gré des nouvelles sur l'état du blond. Et d'elles n'étaient pas toutes bonnes... Déjà il s'était débattu au point qu'on avait dû mandater son père pour le calmer, ensuite son comportement pendant les sept derniers mois était assurément la cause de la naissance prématurée du bébé, bébé dont il a d'ailleurs risqué la vie en plus de la sienne. Je soupirai, partagé entre la colère et l'angoisse. Et après il avait refusé la césarienne... Je ne savais même pas que c'était autorisé de refuser !
Lorsqu'enfin on me permit de le voir j'hésitai entre le secouer comme un prunier en lui demandant pourquoi il s'acharnait à se rendre les choses difficiles et juste le serrer dans mes bras. Car malgré toute ma colère, j'avais surtout eu très peur. Peur de perdre deux être chers d'un coup. Car maintenant ils étaient deux, dont un qui dormait dans un bac hermétiquement fermé. Je me dirigeai vers ce petit extra-terrestre, il était minuscule, tellement petit qu'il pourrait sûrement tenir dans une seule de mes mains. J'effleurai la paroi de la couveuse d'un doigt fébrile.
- C'est un garçon et un alpha, il est plutôt grand pour un prématuré et il respire tout seul. Il ne devrait rester sous couveuse que quelques jours, le temps que da température se régule.
Je n'entendis qu'à moitié les mots du médecin, comme perdu dans une bulle. Cet enfant c'était le mien, je ne pensais pas que cela pouvait être si fragile. Un peu boulversé je contemplai les joues rondes, le bout de nez au milieu de sa frimousse. C'était irréel et en même temps il était si proche de moi.
- Vous voulez le porter ?
Je hochai la tête sans parvenir à prononcer un mot, j'avais la gorge nouée et les mains tremblantes, lorsque le médecin glissa ce petit bonhomme dans mes bras je n'eus qu'une peur, celle de le serrer trop fort contre moi et de lui faire mal. Sa main devait à peine faire la taille d'une de mes phalanges. Il vint d'ailleurs presser mon petit doigt sans ouvrir les yeux, le front tourné vers moi. Je ravalai un sanglot, je n'aurais jamais imaginé ça, pas comme ça, pas à mon âge, mais quand je regardais mon petit garçon, je n'en étais pas malheureux. Au contraire.
- Vous voulez le prendre dans vos bras vous aussi ?
- Non merci...
Le ton un peu froid malgré l'épuisement du jeune homme dans la salle me ramena à la réalité. La vie de ce petit bout de chou ne commençait pas exactement comme dans un conte de fée.
- Vous êtes sûr ? Si c'est parce que vous avez peur de lui faire mal rassurez-vous..
- J'ai dit que je ne préférais pas.
Je me retournai aussi vivement que possible avec mon garçon dans les bras. Dans le lit, le jeune homme faisait peine à voir, il avait les traits tirés, les yeux rougis et le tain affreusement blanc. Même ses cheveux semblaient plus ternes. Je posai mon regard sur lui, il tenta de cacher le renflement au ventre qu'il gardait de la grossesse et qui ne disparaîtrait qu'un peu plus tard. En vain.
- Kats regarde-le. Il est tellement, tellement petit et tellement magnifique...
Il ne répondit pas et se contenta d'observer l'enfant comme un être étrange dont il ne comprenait ni le fonctionnement ni la provenance. Cela me peina un peu. Je m'assis sur le bord du lit, on me retira cependant le bébé pour qu'il ne reste pas trop longtemps à l'air libre. Les parents et la soeur du blond étaient venus avant moi, Denki aussi et le médecin venait de partir, maintenant il n'y avait plus que nous deux.
- J'ai eu peur pour toi. Pendant des mois.
- Je sais, Terumi m'a dit.
Je serrai les dents un instant pour contenir ma rage, un "Je suis désolé" n'aurait pas été de trop. Je tentai cependant de changer de sujet, je ne voulais pas me disputer avec lui, pas maintenant. L'heure des comptes viendrait plus tard.
- Bon alors, tu as pensé à un nom pour ce petit bonhomme ?
- Naraku.
J'avais évidemment réfléchi à des noms pendant ces mois bizarres que j'avais passé à penser au blond sans pouvoir le voir. Mais jamais je n'avais ne serait-ce qu'envisagé ça. Je demeurai interdit et Katsuki évita soigneusement mon regard lorsqu'il répéta :
- Il s'appelle Naraku. J'ai demandé à mes parents de le faire enregistrer comme tel.
Naraku. Ça voulait dire Abîme. Ça voulait dire Enfer. Un nom qui ne laissait pas de doute possible sur la façon dont le jeune homme voyait son fils. Cette fois-ci je ne me retins pas.
- T'es sérieux là ?!
Pas de réponse évidemment. Monsieur avait choisi tout seul d'humilier son propre enfant en lui faisant bien comprendre plus tard que son nom ne voulait pas dire "Désiré".
- Putain Katsuki pourquoi tu le hais à ce point ? Regarde-le ! Il n'a rien choisi non plus ! Pourquoi tu le diabolises ?
Je pointai du doigt la couveuse où mon enfant si paisible dormait sans rien entendre de ma fureur. Le voir depuis le lit du blond me calma légèrement, il semblait tellement heureux. L'opposé de son père qui gisait à mes côtés entre les draps. C'était comme si le petit Naraku, puisque c'était son nom, avait retiré à celui qui l'avait mis au monde toute envie de vivre en naissant. Réaliser cela me fit comprendre un peu mieux le regard sombre du jeune homme, et malgré tout je ne pouvais pas l'accepter. Cet enfant n'était responsable de rien.
- C'est qu'un bébé. Un tout petit bout de chou... Tu peux pas lui donner ce nom là, c'est le condamner à se demander pourquoi il l'a et à savoir un jour qu'il n'était pas attendu !
- Ah parce que tu penses qu'il ne va pas s'en douter en voyant l'âge de ses géniteurs ?
Comment lui expliquer que le problème n'était pas là ? Comment lui faire comprendre qu'il passait sa colère sur un enfant qui n'avait rien à voir là-dedans. J'aurais préféré qu'il m'engueule un bon coup plutôt que de voir qu'il avait ressassé ses angoisses au point de développer une sorte de dégoût pour son propre fils.
- Mais...
- Naraku, c'est bien comme ça.
Je n'ajoutai rien et laissai le silence planer. À quoi bon m'énerver plus longtemps ? Katsuki Bakugou avait toujours été une tête de mule. Et il n'en démordrait pas. Mes épaules s'affaissèrent et je soupirai de tristesse. Je ne comprenais pas...
- C'est à cause de moi c'est ça ?
Le jeune homme qui avait tourné les yeux vers le mur me fixa intensément, il me sembla que c'était la première fois depuis des mois qu'il ne fuyait pas mes yeux. Je ne pus empêcher un hoquet de tristesse et d'horreur de passer mes lèvres. Alors c'était ça ? J'avais raison ?
- C'est parce que je t'ai trahi lors de la nuit du trois, parce que j'ai pas su me contrôler ? Et que j'ai pété un câble avec ce connard d'Izuku ensuite ? J'aurais pas dû te demander de me parler autant alors que toi depuis le début tu ne peux même plus me voir en peinture...
Un second hoquet me coupa et lui il ne me quittait pas des yeux. C'était comme une approbation et ça me perça le coeur. Je me sentais trop con de pas l'avoir remarqué avant.
- Si c'est ça je suis vraiment...
- C'est pas ça.
Je me figeai, le souffle coupé autant par mes sanglots que par sa phrase. Son regard se refit fuyant, comme si parler de lui était plus dur en me regardant.
- Je t'en ai voulu au tout début. Parce que tu m'avais fait peur, tu m'avais fait me sentir sale, impuissant et affreusement vulnérable... Mais très vite je me suis rendu compte que tous les problèmes venaient de moi. C'étaient mes hormones, ma stupidité. Le passage à tabac de Deku je m'en fous complètement. J'ai toujours pensé que tu avais moins à te reprocher que moi.
Il fit une pause pour reprendre son souffle, chaque inspiration semblait lui arracher la trachée. Je ne saurais dire si c'était à cause de la fatigue ou juste parce qu'il avait perdu l'habitude d'enchaîner plus de deux phrases.
- Comment te dire... Te voir ça me rappelle que j'ai pourri nos deux vies. Et pas seulement toi, ma famille aussi, et c'est pareil avec Naraku maintenant... Je voulais tellement disparaître pour arrêter d'avoir honte. Mais tu revenais sans cesse pour tenter de me tirer de là et ça me faisait plus de mal que de bien.
Il soupira et osa me regarder à nouveau, je redécouvrais les yeux rouges ardents qui m'avaient fait chavirer tant de fois, j'aurais tout donné pour qu'ils retrouvent de leur superbe.
- Je n'ai pas ta force, Eijiro. Je ne l'ai jamais eue et tout ça... cette putain d'erreur, c'était trop lourd de la traîner avec moi à la vue de tous.
Je détournai les yeux pour les poser que la couveuse. Il parlait autant de la grossesse que de notre fils. "Notre fils", il ne semblait même pas le considérer comme tel. Et même si je comprenais mieux son isolement, cela me fit vraiment mal. Je reportai mon attention sur lui, il jouait distraitement avec le drap comme pour s'occuper le temps que j'assimile tout.
- Et tu comptes faire quoi du coup ?
- Je ne sais pas. J'ai été accepté dans une très bonne prépa de la capitale. C'est loin.
- Tu veux partir ?!
- Je ne sais pas j'ai dit !
Je soupirai de frustration et de désespoir. La capitale était vraiment loin de notre petite ville côtière et basiquement y aller revenait à nous abandonner derrière Naraku et moi. C'était vraiment ce qu'il voulait ? Fuir jusqu'au bout ? Une question bien plus affreuse s'imposa alors à mon esprit. Est-ce que ses sentiments pour moi avaient encore un rôle à jouer dans sa décision ?
- Katsuki. Est-ce que tu aimes Naraku ?
- J'en sais trop rien... Pourquoi tu poses une question en sachant que la réponse va te faire du mal ?
Je serrai la mâchoire en une grimace contrite. Au moins ce n'était pas un non catégorique... Sa main triturait toujours le tissu du drap, à quelques centimètres de la mienne.
- Et moi, est-ce que tu m'aimes encore ?
Ses doigts s'arrêtèrent net et s'enfuirent sous le tissu, comme si d'un seul coup les remuer près des miens était dangereux. Il eut un moment de vague où il semblait ne rien regarder en particulier, juste penser. Chaque seconde d'hésitation me brisa un peu plus le cœur.
- On a passé six mois très éloignés. Et on est plus vraiment les mêmes...
- C'est pas ma question. Est-ce que là, maintenant, tu m'aimes encore ?
Puisque je n'étais pas la cause de son mal-être, puisqu'il ne m'en voulait pas, j'avais le droit de savoir. Je me penchai sur le lit dans lequel il était allongé, une de mes mains agrippa son épaule pour me tenir au-dessus de lui. Il fallait que je saches si je devais me faire à l'idée de ne plus être aimé de lui. Il fallait que je saches si je ne pourrais plus jamais l'étreindre comme avant.
- Je crois... C'est compliqué mais, oui, je suppose...
- J'ai pas envie d'une supposition, est-ce que tu pourrais m'embrasser comme il y a sept mois et demi ?
La réponse fusa, c'était sans appel.
- Non. Pas maintenant.
Je me redressai comme si on m'avait giflé. Le lit tangua un peu lorsque je me relevai. C'était prévisible et j'avais pourtant tant espéré l'inverse. Je sortis de la salle à grandes enjambées, je n'avais plus rien à faire ici, c'était trop pour aujourd'hui. Je ne dis même pas au revoir à Denki et au teste de la famille Bakugou. De retour dans Bertrand II je me sentis comme vidé. J'avais besoin de réponses claires et tout ce que j'avais eu c'était des "je ne sais pas" et des suppositions. Et un refus bien sûr, je ne pensais pas qu'après sept mois cela puisse m'atteindre autant, et pourtant voilà où j'en étais... Je posai mon front contre la fenêtre, le parking n'était pas beau à voir, je n'étais pas beau à voir.
- Moi je t'aime encore.
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