IX

PDV Eijiro :

Le soleil vint baigner la pièce de lumière, apportant un peu de chaleur à ma chambre gelée. Je remontai les couvertures le plus vite possible. Je mourais de froid, et le fait que je bouge la nuit n'aidait pas. Je glissai une main engourdie dans mes cheveux et chassai ainsi les dernières vapeurs du sommeil.

Je n'avais pas cours, nous étions samedi. Les jours raccourcissaient, une fine couche de givre se déposait sur mon balcon, et les vacances approchaient. J'avais hâte bien que je ne savais pas du tout de quoi mes quinze jours de repos allaient être faits. Peut-être partirais-je skier, ou bien je m'amuserais en ville avec mes amis. Noel se ferait en famille comme d'habitude et le nouvel an serait d'un ennui mortel. Comme chaque année.

Mais peut-être... peut-être que cette année je pourrais passer le nouvel an avec mes amis. Ou même mieux, peut-être que Katsuki accepterait qu'on le passe ensemble. Ce serait trop beau, passer la soirée à danser sur des chansons d'hiver idiotes. Rencontrer ses parents, plaisanter avec sa sœur, ma main peut-être négligemment posée sur sa jambe, ou bien mon bras passant délicatement autour de ses épaules. Peut-être l'aurais-je embrassé sous le guy, perdu dans la pluie de confettis qui nous tomberait dessus.

Mais en attendant, j'avais encore cours dans deux jours, et je n'avais embrassé le blond au caractère explosif qu'une fois. Et ce n'était pas vraiment romantique. C'était plutôt comme si on avait tellement accumulé de frustration qu'on s'était sentis obligés de le faire. Et même si j'avais adoré, ma seule peur était qu'il regrette, qu'il ait fait cela par jeu comme tout les autres, ou bien par impulsion sur un coup de tête.

Je craignais de le revoir pour lire dans ses yeux qu'il préférait oublier.

Mon téléphone vibra au loin, enfin, loin c'était sur ma table de chevet. Je le pris en soupirant, qui donc pouvait m'embêter le samedi matin en hiver ?

Katsuki
10h14

*
Je suis en bas de
chez toi Viens on sort
avec Bertrand ?
*

Je souris devant le message. Je me faisais peut-être des idées. Peut-être que le cendré n'étais pas aussi farouche et inaccessible que je le croyais. Peut-être que le moment volé sur ce carrefour signifiait vraiment quelque chose pour lui.

*
tu commences à bien
l'aimer Bertrand !

Rêve pas j'ai juste
besoin de ses services

Mais oui mais oui

Je te jure

Mais je te crois

Nan tu me crois pas

Si si

Nan nan

Quelle tête de mule

Ban grouille j'ai froid

J'arrive
*

Je passai rapidement sous la douche puis volai un paquet de chouquettes dans la cuisine histoire d'avoir un petit-déjeuner. Il m'attendait devant la porte, je ne savais pas pourquoi il n'avait pas toqué. Toujours était il qu'il se tenait là, sur le pallier, fixant ses chaussures et grelotant malgré son gros manteau dont il tentait vainement de remonter le col. Il me vit très clairement arriver mais il ne me regarda pas dans les yeux, il y avait quelque chose de distant dans son attitude. Quelque chose qui me fit un peu mal.

- Que me vaut l'honneur d'être réveillé un samedi en plein hiver ?

- On en encore qu'en novembre.

- C'est pareil. Pourquoi t'es là ?

Ma question était bien plus agressive que je ne le voulais. Il eut un petit mouvement de recul qu'il cacha vite derrière un sourire.

- J'ai plus le droit de venir te faire chier ?

- Si, bien sûr. Tu as une idée d'où tu veux aller ?

- J'ai une vague envie d'eau salée...

J'éclatai de rire devant son regard pétillant. Il devait parler de la mer mais le dire comme ça était vraiment ridicule. Il aurait pu vouloir marcher sur la plage, mais non, il voulait de l'eau.

- Je te l'apporte dans un verre ou dans une casserole ?

- Ha. Ha. Hilarant, Tête d'ortie...

- Allez viens on y va. On va pas rester là à se les geler.

Nous partîmes ainsi vers la petite bagnole. Je pris le temps de sortir des couvertures du coffre parce que, évidemment, Bertrand II n'avait pas la clim et que je ne voulais pas que Katsuki fasse une hypothermie. Lorsqu'il me vit arriver avec les plaids il comprit mais se contenta de soupirer en levant les yeux au ciel. Nous nous installâmes puis attendîmes une dizaine de minutes que le moteur chauffe. Le blond se pencha à mon oreille.

- Je sais qu'il faut pas le vexer mais quand même il a pas grand chose pour lui le pauvre...

Je ris pour garder une contenance et oublier le frisson que m'avait procuré son souffle brûlant dans cette voiture trop froide.

- Je t'adore Katsuki !

Il me sourit et je me rendis compte de ma bourde. Je sentis mes joues devenir aussi rouges que mes cheveux, aussi je tournai vite la tête vers la route.

- Moi aussi je m'aime bien.

- Tu es impossible...

- AH BAH FAUDRAIT SAVOIR !

Et ce fût ainsi sur la cinquantaine de kilomètres qui nous séparait de la côte. Bertrand se posta dans un parking vide. Lorsque je claquai la portière, le vent glacé me fouetta le visage, les cheveux que j'avais pris la peine de remonter à grand renfort de gel volaient partout et venaient s'ajouter à la morsure des bourrasques. La chevelure de Katsuki s'avéra quand à elle d'une efficacité redoutable et ne bougea pas d'un iota. Le cendré prit grand soin de se foutre de ma tête ridicule. Il s'approcha de moi et ébouriffa encore un peu plus les mèches rouges.

- Bah alors le hérisson ? Où sont passés tes pics ?

- C'est toi le hérisson.

- Nan. C'est faux

- Si.

- Nan.

- Si.

- T'es con.

- C'est pas nouveau.

Nous échangeâmes un regard complice et descendîmes par un petit sentier sablonneux. Nous avions la plage pour nous tout seuls et, malgré la bise marine et l'hiver arrivant, une douce chaleur nous enveloppa. Une de ces bouffées agréables qui rappelaient l'enfance. Ainsi nous courûmes comme des cons jusqu'aux vagues. Nos semelles laissaient des marques fines sur le sable mouillés. Rieurs et heureux, nous évitions les vagues pour ne pas qu'elles s'immiscent dans nos chaussures peu adaptées.

Nous sautions en fuyant le roulis incessant de la mère qui, joueuse, s'amusait à revenir sans cesse.

Peut-être que je pris le temps de l'observer tandis qu'il pourchassait notre nouvelle partenaire. Peut-être qu'il s'était reculé finalement pour souffler sur ses mains froides. Sûrement était-il alors le plus beau garçon qu'il m'ait été donné de voir. Sûrement étais-je un peu amoureux car quand il me sourit, je sentis mes lèvres s'étirer sans que je ne puisse rien contrôler.

Puis il partit, il me tourna le dos en me faisant signe de le suivre.

- Viens ! On part à l'aventure !

Et il sauta sur un rocher, puis un autre. Je l'imaginai explorateur d'une jungle perdue, où un tombeau caché recélant mille richesses l'attendait. Mais peut-être était-il ce pirate venu enterrer entre les roches brunes un coffre immense, le butin de toute une vie. Il me tendît son bras alors qu'il enjambait deux cailloux un peu espacés. J'empoignai sa main.

Finalement, c'était un conquérant fier et plein de rêves, venu trouver refuge dans un autre monde, on monde d'imagination et de souhaits que sa condition ne lui aurait pas permit. Il y vivrait milles aventures ainsi sur les côtes. Dans son grand manteau dont le col ne se rabattait pas bien. Et je voulais être là pour le voir. Je voulais partager un petit morceau de sa vie. Je voulais qu'il m'aime au moins un temps, qu'il me laisse voir son monde.

Une autre bande de sable nous fit face. Nous avions passé tous les rochers et le calme revenait enfin sous nos pieds. Il courut un peu et je le suivis. J'avais ce sentiment que ce que je vivais à cet instant précis était trop rare. Le garçon épanoui qui se penchait pour ramasser un coquillage, ou je ne savais quoi, était trop souvent caché par l'autre bougon et sur ses gardes. Et je fus heureux de voir qu'il me laissait approcher ce jeune homme enfantin, presque fragile, sans peur.

- Regarde.

Il s'était relevé et était revenu vers moi, un petit objet en verre reposait dans sa paume.

- C'est quoi ?

- Un verre de mer.

Je le regardai sans comprendre.

- Deku et moi quand on allait à la plage, je pêchais des crevettes et lui il ramassait des verres de mer. Je lui disais toujours que ça ne servait à rien et tu sais ce qu'il répondait le nerd ?

- Il disait quoi ?

- Qu'il aimait voir comment le temps avait choisi de les transformer. Il disait que certains étaient rugueux et épais, laids et froids. Mais que d'autres brillaient intensément ou même étaient doux au toucher.

Il referma la paume puis la rouvrit, il fit passer le petit bout fragile dans ses doigts, comme pour un chercher un reflet, mais il était très opaque. Je ne pus qu'entrapercevoir un éclat très blanc un bref instant.

- Il a raison.

Il me fit un grand sourire avant de renfermer le petit objet dans son poing.

- On ne sait pas de quoi la vie sera faite. On nait tous, puis on se fait polir, triturer par on ne sait quels coups du hasard. Et on essaie de faire avec, on ne sait pas comment on finira. Mais d'autres plus tard observeront.

Je sentais bien qu'il divaguait mais je l'écoutai dans un silence religieux. Sa voix sublimée par le son des vagues un peu plus loin avaient l'effet d'un baume pour moi. Et rien n'étais plus beau que ses lèvres se mouvant doucement, comme perdues et cherchant une cohérence dans leur danse étrange. Dieu comme j'aimais ses lèvres.

- C'est bizarre pas vrai ?

- Nan, c'est surtout très poétique. Je suis pas sûr de tout comprendre.

- C'est normal tu es un simple d'esprit !

- Oula ! Tout de suite les grands mots.

Il rit et abandonna le morceau verdâtre un instant puis se tourna encore vers moi. Un tout petit sourire ne quittait pas ses lèvres.

- J'ai peur de devenir une mauvaise personne.

- Pourquoi ça ?

- Si tu savais tout le mal que je lui ai fait... je suis rarement pris de remords. C'est pas mon genre mais... mais je lui ai fait mal et peut-être, peut-être que j'ai été un de ces périples atroces que nous impose la vie pour lui.

- T'as reçu ton lot d'épreuves toi aussi. On s'en débarrasse comme on peut, t'as rien à te reprocher.

- Merci, mais...

Il sembla vouloir ajouter quelque chose pour me contredire mais se ravisa en détournant le regard. Et ce fichu sourire triste restait fixé ainsi sur son visage. Je ne voulais pas de ça. Pourquoi ne pouvait-il pas être heureux et fier comme quand il sautait de roc en roc pour atteindre un but imaginaire ? Pourquoi de tous les beaux trésors de la plage avait-il fallut qu'il ramasse ce fichu bout de verre ? Pourquoi je n'arrivais pas à le réconforter maintenant ? Je ne compris pas la culpabilité qui le rongeait tout à coup.

Il lâcha alors le verre de mer qui retomba au sol sans un bruit. Je sentis ses mains désormais libres attraper ma taille. Et le haut sa tête se poser sans gêne contre mon cou, s'enfouir dans mon écharpe, y chercher un petit morceau de vie. Je l'entendis chuchoter à défaut de sentir ses lèvres se mouvoir contre ma clavicule.

- Avec toi j'ai l'impression que je ferai pas de conneries. Avec toi, je crois que je peux espérer devenir quelqu'un de bien.

Je répondis à son étreinte en souriant, moi aussi j'avais ce sentiment. Ses épaules que j'avais enlacées furent parcourues d'un petit rire.

- Quelqu'un de vraiment niais et immature mais quelqu'un de bien...

- T'es déjà pas très mature sans moi tu sais...

- Non ! C'est pas vrai !

Il fronça les sourcils, sûrement pour tenter de reprendre une mine sérieuse mais rien n'y fit. Il avait toujours l'air d'un enfant bougon.

- Maintenant que l'instant poésie sentimentale est passé, tu veux bien m'embrasser devant la mer comme dans un film cliché ?

- Si tu veux, l'affreux.

- Est-ce que tu viens d'essayer de faire une rime ?

- Rhoo mais tu vas fermer ta putain de gueule à la fin ?

Et il m'embrassa, il m'embrassa pour me faire taire mais il m'embrassa aussi parce qu'il m'aimait au moins assez pour ça. Il agrippa ma nuque et je me blottis dans ses bras encore un peu plus. C'était mille fois mieux que la première fois, parce que je savais que rien ne pouvait être faux. J'avais trouvé un véritable trésor sur cette plage et c'était sûrement le plus beau du monde. Il passa sa langue sur mes lèvres et je n'attendis pas vraiment pour les entrouvrir, chassant le peu de timidité qui pouvait encore demeurer dans ce baiser.

Puis je pris peur. Parce que ce que nous faisions était aussi cliché qu'impossible. Un alpha et un oméga, cela ne marchait que dans les films.

Dans la vraie vie, mes parents seraient horrifiées, elles n'en montreraient rien, elles se contenteraient de dire que cela n'était qu'une passade. Dans ce monde de merde, tout le lycée le prendrait pour ma pute attitrée, ou une horreur de ce genre. Izuku exploserait de rire et me demanderait si je l'avais baisé, s'il avait gémi doucement comme ce salaud l'espérait. Dans ce monde pourri, il finirait peut-être par se méfier de moi. On finirait peut-être par me dire que je méritais mieux.

Dans cette vie il y aurait le mépris. La peur. La condescendance. La honte. La stupidité. La rancoeur. La colère. L'ignorance. Et peut-être même un peu de haine puisque c'était un peu tout à la fois.

Quelques gouttes tombèrent sur nous et le charme fût rompu. Le cendré leva la tête puis la rabaissa en grimaçant, il avait dû se prendre une goutte dans l'œil.

- Est-ce qu'il pleut dans la plage de ton film cliché ?

- J'avoue que c'est plus souvent un crépuscule de printemps.

- J'me disais aussi...

Il prit le temps d'embrasser à nouveau ma bouche, mes pommettes, mon nez avec une douceur que je ne lui avais vue qu'une fois. Il écarta les mèches éparpillées sur mon visage à cause du vent. Et là je compris.

Que demain serait aussi fait de rires. D'espoirs. De bienveillance. De fierté. D'intelligence. De pardons. De joie. De compréhension. Et surtout d'amour puisque c'était un peu tout à la fois.

Alors je n'avais rien à craindre, tout se passerait bien. Tour irait bien. Il pleuvait des cordes et nous retrouvâmes Bertrand trempés jusqu'aux os et morts de rire parce que je m'étais étalé dans le sable et que Katsuki avait mis ses chaussures dans l'eau par accident.

Nous nous mîmes enfin à l'abri. En bouclant sa ceinture, mon petit copain pouffa.

- Quand je disais qu'avec toi je ne ferai pas de conneries je me trompais. Je vais choper la crève par ta faute.

- C'est pas ma faute si Môssieur voulait de l'eau salée en d'aussi grandes quantités.

- T'es con.

- Et toi tu te recycles.

Nous partîmes enfin en espérant pouvoir rentrer suffisamment vite pour ne pas attraper une pneumonie. D'autant plus que Bertrand II n'avait toujours pas de climatisation. Le silence se fit dans la petite bagnole qui cahotait tranquillement sur le chemin de la maison. Le cendré était bien silencieux, les couvertures remontées sur ses épaules.

- Hey Katsuki ?

- Ouais ?

- Je vois ton petit cerveau de génie tourner à cent à l'heure. Laisse couler, il n'y aura pas de problème.

Je lui souris en voyant qu'il allait affirmer très modestement qu'il était en effet génial.

- T'as écouté la fin de la phrase espèce de gosse prétentieux ? Tout ira bien.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top