Dorémi
"Whenever we kill, we kill a part of ourselves."
Eragon, Brisingr, Christopher Paolini
La chatte tigrée avance lentement dans l'herbe mouillée de rosée.
On dit toujours que les chats ont des pattes de velours. Mais pour Dorémi, l'expression qui convient le mieux serait sans doute "une main de fer dans un gant de velours". Sans "main".
Quand elle marche ainsi, un pas après l'autre, dans cet espèce de ballet silencieux, chaque brin d'herbe danse avec elle. Mortelle.
Le vent devient un doux chant. Funèbre.
Le temps s'arrête. Pour certains, il est trop tard.
Dorémi est normande et ne craint pas la pluie. Elle a un tatouage bleu dans l'oreille droite. Elle a dix ans. Elle est grande. Elle est belle. Elle est insouciante.
Elle a repéré une proie. Elle marche sous le vent. Son poil mouillé se colle à sa peau. C'est désagréable, mais le jeu en vaut la chandelle.
Mais ce n'est pas un jeu. En tout cas pas pour tout le monde.
Dorémi a été adopté toute petite. Elle n'a pas de famille, sinon Eux, les Grands. Elle a peu d'amis. C'est une solitaire. Mais une solitaire aimée.
La souris a senti quelque chose. Elle se fige. Elle ne tente même pas de fuir. Elle sait déjà que c'est la fin.
Dorémi aime le vent qui joue avec les feuilles. Elle aime dormir en boule sur le coussin rouge. Elle aime fixer le monde de ses yeux verts énigmatiques. Elle aime courir après sa queue en une ronde folle qui fait rire les petits des Grands.
Elle bondit.
Dorémi aime le bruit de l'eau qui court au fond du jardin. Elle aime gober l'araignée qui tente de fuir sous la petite table du salon. Elle aime la brioche, les gaufres, le pain d'épices et les pâtes à la sauce tomate.
Ses crocs se plantent dans la chair palpitante.
Dorémi aime la vie.
Il y a quelque chose d'étrange dans cette proie.
Elle ne s'est pas débattue.
Elle n'a pas fui.
Elle avait déjà comme un voile devant les yeux.
Le voile de la mort.
Dorémi aimait la vie. C'était une chatte joyeuse, aventureuse, câline.
Ce qu'elle ne savait pas, et qui lui coûtera bien plus qu'on ne l'aurait pensé, c'est que la cave avait été traitée à la mort-aux-rats.
La mort-aux-rats est un poison comme un autre. Et comme tout autre poison, elle tue.
La souris avait trouvé la farine.
La souris avait visité la cave.
Dorémi a mangé la souris.
Le poison se propage dans ses veines. Lentement, insidieusement, comme tous les poisons. À la manière d'un serpent vicieux qui se faufile pour entrer dans une maison. Pour aller planter ses crocs dans le cœur de sa victime.
Dorémi aimait la vie.
Mais la vie, elle, aimait-elle Dorémi ?
Il est sans doute trop tard pour le savoir.
Dans l'herbe que sèche tendrement le soleil du petit matin, une triste silhouette gît. C'est une chatte qui aimait la vie. C'est une chatte qui aurait aimé vivre. C'est une chatte qui ne vivra plus.
C'est une chatte qui était aimée. Sa famille adoptive l'a pleurée.
Mais, même indirectement, ce sont Eux qui l'ont tuée.
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