Chapitre 8
Lana Del Rey - Say yes to Heaven
Margot avait mal, elle était alors sure qu'Alexandre était heureux dans son groupe, dans sa gloire, et aux cotés de Mélanie Laurent. Elle pensait que les avoir détruit lui avait au moins permis de trouver le bonheur qu'ils avaient ailleurs.
Alexandre était désespéré et emprisonné, et il pensait que Margot était passée à autre chose.
Ses nuits n'avaient jamais été aussi épouvantables.
Margot avait eu plusieurs hommes après Alexandre, ils avaient été gentils, mais elle avait finalement pris conscience qu'elle les utilisait comme des pansements. Elle avait d'abord du faire un travail sur elle-même pour se concentrer simplement sur ce qu'elle voulait et sur ce qu'elle ressentait. Elle pensait qu'elle y était parvenue après la deuxième année, elle avait eu deux autres copains, avant de finir par se trouver bien en tant que célibataire mais ça n'avait a priori rien eu à voir avec Alexandre.
Durant la troisième année elle n'avait presque pas pensé à lui, sauf le jour de son anniversaire dont la date était inscrite au fer blanc dans sa mémoire.
Eurydice résonnait dans tête de Margot, comme une maladie, et rien n'y faisait. Elle hantait même ses nuits. Cette chanson était le ras-de-marée qui avait renversé par dessus bord la tranquillité intérieure que c'était construite Margot. Elle n'osa même pas en parler à Jules, lui qui l'avait tant aidée à se relever après cette dure épreuve de la vie. Elle ne voulait pas lui dire que tout ces efforts avaient été en vain.
Trois jours en plus s'étaient écoulés, et Margot se donnait à fond dans la lecture d'articles. Chaque jour sur son bureau, une grosse dizaine de revues people et de rapport de journalistes l'attendaient. Son travail consistait à décortiquer les revues, et à lire les rapports, et à noter les informations qui pouvaient manquer. Elle les classait ensuite en fonction du sujet traité, et elle finissait à rédiger des rapports plus complets une fois qu'un sujet comptait suffisamment d'informations. Autant dire que des textes sur les Maelström, Margot en voyait passer au moins cinq par jour. Le sort se décharnait contre elle, et elle ne savait même pas pourquoi.
Au bureau, on pouvait dire que Margot se battait comme une lionne contre elle-même et contre le sort qui lui était, il faut dire, peu favorable. Tous les matins elle décidait de s'attaquer le plus tôt possible la pile de manière a en avoir fini le plus vite possible. Chaque jour elle la terminait plus tôt que les précédents, Georges ne faisait que de la féliciter et ses collègues ne faisaient que de complimenter son efficacité.
Plusieurs d'entre eux en venaient même à se demander si la petite stagiaire française n'était pas en faite une nouvelle fan du groupe de rock'n roll dont tout le monde parlait au vu de la vitesse dont elle dévorait ces revues et rendait des rapports d'une qualité sans nom en des temps records.
Margot n'en était pas au courant, mais ce dont elle était sure et se réjouissait, était que son efficacité forcée lui permettait de suivre Georges et même d'autres journalistes sur le terrain. Elle leur était aussi d'une certaine aide car sa présence permettait d'avoir des rapports plus complets. Ils bénéficiaient ensemble de deux paires d'yeux, d'oreilles et de mains pour rapporter chaque infime détail.
Depuis le 30 James Street, Margot avait compris comment se tenir aux cotés de ses mentors. Elle avait le dernier accident encore coincé en travers de la gorge. Elle savait que c'était un monde de requins, mais enfin il n'y avait donc pas de fierté à avoir dans ce métier pour s'attaquer aux stagiaires étrangers qui plus est ?
Margot aimait ce train de vie, bien qu'elle dormait très mal, et qu'elle aurait clairement préféré se passer de la pile infernale qui l'attendait impatiemment chaque matin. Elle aurait pu, certes avoir des taches qui lui paraissaient bien moins embêtantes, mais elle aurait aussi pu tomber sur des taches bien plus chronophages. Elle jouissait d'une certaine liberté et elle avait l'avantage de pouvoir aller sur le terrain quasiment tous les après-midi. Alexandre emplissait ses pensées mais elle se démenait, de la même manière dont elle l'avait toujours fait pour vivre son rêve de journaliste à fond.
Cet après midi par exemple Margot était aux anges. Rowan James Opsomer était l'une de ses idoles absolues, il était réalisateur depuis pas plus de douze ans et après le succès de son remake de Hamlet avec Morfydd Clark et Riz Ahmed, il annonça vouloir s'attaquer à quelque chose de tout aussi grand : La Nuit des rois, aussi écrite par Shakespeare. A cette annonce Margot avait été à deux doigts de sauter de joie, elle adorait Shakespeare grâce à son père qui lui lisait ses ouvrages quand elle était petite.
(La Nuit des rois est une comédie romantique met en scène Viola, une jeune femme qui se déguise en homme pour servir son bien-aimé le duc Orsino, pour se retrouver empêtrée dans un triangle amoureux avec Olivia, une autre femme qui tombe amoureuse de son personnage déguisé.)
Elle considérait Rowan Opsomer comme un génie, il avait écrit plusieurs livres à succès lorsqu'il était adolescent et il avait fini par les publier sous un autre pseudonyme ce qui lui avait ouvert les portes du cinéma à seulement vingt-trois ans. Il en avait maintenant trente-cinq et il comptait déjà dans sa bibliographie un film récompensé par le British Independent Film Awards. Margot se réjouissait d'avoir le privilège de participer à la conférence de presse qu'il donnait à l'occasion de La Nuit des rois. Si elle avait pu crier de joie, elle l'aurait fait.
Elle et Georges se trouvaient à l'Institute of Contemporary Arts à Londres, ensorcelés par le spectacle de Rowan Opsomer expliquant toute la complexité du rôle de Viola. Elle aurait facilement pu s'endormir rien qu'en écoutant Opsomer parler, il expliquait chaque action d'un point de vue qu'elle n'aurait jamais eu, elle trouvait cela tellement intéressant qu'elle en oubliait presque de noter ce qu'il disait. Elle ne réussissait presque pas à détourner le regard de lui. Les questions défilaient sans cesse et au bout d'un peu moins de deux heures, la conférence se termina. Margot ne savait pas si elle pouvait aller lui demander un autographe, elle pensa avec son exemplaire d'Hamlet à la main. De l'extérieur son livre n'était pas en mauvais état mais ça se sentait qu'il avait été manipulé, et de l'intérieur, Margot n'avait pas pu s'empêcher de l'annoter au crayon à papier et d'y semer pleins de post-it. Elle ne savait pas si elle en serait capable.
- Vas-y, il prit une pause, vas lui demander ton autographe, dit Georges en lui donnant un coup de coude dans la direction, je dois ranger mes affaires de toute façon.
Il avait vu les étoiles dans ses yeux apparaître lorsqu'il avait mentionné le nom du metteur en scène. Il savait que Margot le comptait parmi ses préférés même si elle avait tenté de contenir son excitation avant et pendant la conférence. Il avait même remarqué qu'elle n'avait pas beaucoup noté à cette interview car elle était trop concentrée sur Opsomer.
Margot le remercia du regard et se sentit d'un seul coup incroyablement petite, elle allait parler avec un géant de l'industrie du cinéma. Margot s'enfonça dans la masse de journalistes parmi lesquels avaient réussi à se faufiler des civils eux aussi fan d'Opsomer, elle le chercha du regard mais il avait disparu de la scène. Il s'était enfui lorsqu'il avait vu le nombre de personne qui avaient déboulé dans le lieu de la conférence.
Durant le trajet du retour, Margot ne parla pas. Elle s'en voulait et s'en mordait bien les doigts, peut-être que si elle avait été plus rapide elle aurait pu avoir son fameux autographe.
- Tu regrettes ton autographe, pas vrai ? Demanda Georges alors que Margot ne pouvait pas s'empêcher de trifouiller l'exemplaire de Hamlet qu'elle avait justement apporté à cette effigie.
- Je suis une idiote, j'ai eu la trouille, elle avoua d'un ton qui trahissait sa profonde déception, tandis que Georges ne put s'empêcher de pouffer.
- T'inquiète pas, tu vas en avoir une autre occasion, affirma Georges d'un ton qui trahissait l'assurance qu'il portait à ses paroles.
- J'espère, elle répondit, déçue d'elle-même.
- Margot t'as pas compris, sourit Georges, on a une interview, groupé avec trois autres journaux avec les Maelström, ce sera facile de demander un autographe de la part d'Opsomer.
Mélanie jouait très bien et c'était sans grand étonnement qu'elle avait obtenu le rôle de Viola dans La Nuit des rois, qui était réalisé par Opsomer. Elle le côtoyait donc tout les jours. Or depuis son apparition dans Eurydice qui avait été suivie par une vague d'engouement autour de cette jeune actrice, elle avait réussi à signer contrat avec Claire Cowel, qui était aussi dans le management des Maelström. Claire et Georges s'entendaient plutôt bien, car ils avaient fait leur début ensemble au Together avant que Claire ne changea complètement de voie professionnelle. C'était pourquoi Georges était si sur que Margot allait pouvoir obtenir ces autographes facilement.
- Sérieux, c'est super, se força à sourire Margot, encore une fois la réalité ne faisait que de la rattraper, tiens alors, tu pourras lui demander de ma part et de celle d'Elliott - attends je vais te l'écrir - elle dit en essayant de garder bonne figure alors que cette nouvelle l'avait un peu secouée.
Elliott Rousseau était le père de Margot et il était celui qui lui avait transmis son amour pour Shakespeare et en Hamlet plus particulièrement. Elle savait de plus pertinemment qu'il adorait lui aussi le travail d'Opsomer, à l'époque ils avaient regardé ensemble Hamlet. En demandant ces autographes à Georges, elle se fit remarquer qu'il était peu probable qu'Opsomer sache comment s'écrivait son prénom et celui de son père. Elliott avec deux L et deux T, ce n'était pas commun du tout.
- Tu vas pouvoir toi-même lui demander, rigola Georges gentiment, la coupant dans son élan, alors que Margot était en train de sortir un papier et un stylo de son sac.
Georges était à l'image du Lord anglais que les français se représentaient, il manifesta un peu de difficulté pour s'extirper de la petite voiture de ville qui leur servait de taxi. Ces quelques secondes suffirent à Margot pour se reprendre, elle ne voulait pas lui dévoiler son trouble. Elle se força à reprendre un faciès neutre, car il lui était impossible de simuler une fausse excitation, elle était bien trop sous le choc pour. Elle sortit d'entre ses pensées lorsqu'elle sentit Hamlet, son livre de poche tomber à coté de ses pieds.
- Il y aura même une chaise exprès pour toi, il ajouta en lui affichant une énorme sourire, avant de faire claquer la porte de leur carrosse.
Margot avait si bien travaillé, que le directeur de Tinseltown avait accepté qu'elle puisse accompagner Georges à cette interview. Elle allait enfin faire réellement équipe avec lui, au premier plan du journalisme même. Georges était heureux de le lui permettre, en plus il était persuadé qu'elle était fan de ce groupe, à cause des bruits de couloir qu'il avait entendu et qu'elle cachait son jeu derrière un professionnalisme infaillible.
Il voulait lui faire un cadeau, et il lui fit en réalité un cadeau empoisonné.
Margot réussit à faire bonne figure devant Georges le temps qu'ils se saluèrent, qu'elle le remercia à gros contre cœur. Elle tacha de ne rien laisser paraître, mais c'était un torrent d'émotions qui la submergeait et qu'elle ne serait expliquer. Elle savait que la déception qu'elle avait ressentie à cause de l'autographe manqué, s'était en une seule phrase transformé en un stress incommensurable. Elle se maudissait.
C'est une fois remontée dans le taxi, qu'elle réalisa : elle allait se retrouver face à lui. Elle laissa tomber le masque qu'elle s'efforçait de porter. Ses larmes menaçaient de couler sur ses joues. C'est la main tremblante qu'elle ramassa son livre avant de le plaquer contre son cœur. Elle remercia silencieusement le chauffeur pour son mutisme.
Margot s'autorisa, pour la première fois depuis trois ans à s'imagine son regard chaleureux, son sourire, sa voix tranchante, et son cœur se serra à l'idée qu'il ne ressentait plus la même chose pour elle qu'auparavant. La peur de l'indifférence la consumait, ravivant les blessures de leur séparation.
Margot ne voulait pas y aller. Elle se sentait tiraillée entre deux mondes : celui de la future journaliste qu'elle aspirait être et celui de la femme emprisonné de ses sentiment, qu'elle était.
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