Chapitre 1 : Un soir, un cœur endormi...

Quelques mois plus tard...



Se frayant un passage parmi la foule, Aeryn avançait d'un pas pressant, le regard rivé devant lui afin de faire abstraction de tout.

Son travail, aussi précaire soit-il, était sa seule source de revenu : aussi, prêtait-il une attention toute particulière enfin d'arriver chaque fin de journée à la même heure, revêtu de sa plus belle chemise, la seule qu'il possédait.

Concentré, son fidèle sac-poubelle serré au creux de son poing, ce fut à peine s'il entendit les ricanements moqueurs et sifflement du trottoir d'en face.

- Regarde un peu, Eddie ! Un animal c'est échapper du zoo, on dirait !

Levant les yeux au ciel devant cette bassesse enfantine, Aeryn se contenta de les ignorer, gardant l'attention fixé sur son lieu de rendez-vous situé à l'autre bout de la ville.

- Tu es quoi, le travelo ? Un homme ou une femme ? Vous êtes un peu comme les escargots non ? Les deux à la fois ! -reprit une seconde voix, hilare, le faisant se figer en plein milieu d'un passage piéton, sidéré.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

La tête tournée à droite, Aeryn vit deux hommes aux larges sourires encerclés une jeune femme qui tentait tant bien que mal de les contourner.

- Oh, je t'en pris : si tu es sorti, c'est bien pour qu'on puisse te voir non ?

- Allez.. ! Déballe juste le haut et on te laisse tranquille !

Les épaules raidit par la tension, la passante fit coulisser son sac à main à l'avant dans une vaine tentative de barrière, le ventre noué d'angoisse et s'écriant d'une voix forte mais tremblotante :

- Non ! Fichez moi la paix maintenant !

- Certainement pas ! Dépêche-toi, le pédé ! On a pas toute la journée devant nous ! -grogna le dit « Eddie » avant de la saisir par le bras et de la ramener contre son buste d'un geste sec.

Les larmes aux yeux, la jeune femme lui assena autant de coups qu'elle le put en se débattant vivement, en gardant une main collée au torse, ses yeux écarquillés par l'effroi cherchant du renfort autour d'elle.

Gênée, la cohue se dispersa rapidement, les piétons préférant l'ignorer ou lui offrir une expression contrite, laissant les deux agresseurs écarter les pants de sa veste et relever son t-shirt afin tâter son torse dans un silence quasi religieux, entrecouper par des sanglots résignés.

Sans le réaliser et à travers le battement sourd qui pulsait dans ses oreilles, Aeryn se retrouva près d'eux et, comme au ralenti, percevant ses mouvements avec un détachement colérique, se vit percuter la joue l'homme le plus proche de son crochet gauche et d'agripper le second par le col, le projetant face contre terre.

- Putain ! Mais tu es malade ou quoi ? Sale taré ! -s'exclama le plus téméraire des deux en gémissant de douleur, la mâchoire déboîtée et le nez en sang.

- Je ne vois que deux malades ici, et ils me donnent la gerbe. -rugit Aeryn, révulsé par l'inutilité de la foule éphémère.

Les gens sont ce qu'ils sont : des pourritures et des lâches...

Crachant par terre, Eddie se releva en titubant, légèrement sonné et s'arma d'un pavé mal inséré dans le sol, son visage défiguré par la haine tourné vers lui.

Sérieusement ?

- Tu sais ce qu'il va t'arriver, hein ? Je vais t'éclater comme un insecte et tu rentreras chez toi avec un nouveau physique, - lança-t-il en fulminant sous les encouragements de son compère,

Loin de se sentir intimidé et, son ardeur renforcée, Aeryn ne put que constater une fois de plus l'arrogance de ceux qui se croyaient tout permis ; ignorant que de son côté, le sans-abri avait fait de l'art de se défendre son objectif principal dès sa première déchéance dans la rue.

Espérant ne pas tacher sa chemise, le jeune homme se tendit sous l'anticipation, son regard noir débordant de ressentiment face aux deux agresseurs.

-Laissez-le tranquille ! -s'écria soudainement une voix crispée. Vous êtes filmé et le poste de police n'est pas loin !

Figés par la stupeur, les trois hommes se tournèrent vers la silhouette pétrifiée dont le téléphone tourné face camera et brandit par un bras tremblant, était braquer sur eux.

Désespérée à l'idée de finir brutalisée dans l'indifférence la plus totale, la jeune femme avait mis de longues secondes avant que son esprit intègre l'arrêt subite des attouchements de ses assaillants.

Un précieux temps s'écoula à son tour lorsque l'ébahissement spectaculaire laissait lentement place à la compréhension visuelle : son sauveur, prit à parti à son tour, menacé d'une brique.

Que l'on prenne sa défense était un fait si rarissime qu'elle n'avait pas hésité un instant à lui venir en aide à son tour malgré la persistance de sa peur, ses anciens reflexes se jouant autour d'elle d'une manière presque mécanique.

- Laissez-le ! Je ne bluff pas. -répéta-t-elle en agitant son téléphone, sourcils froncés, sa bouche serrée en une ligne mince. Ca ne prend qu'une seconde avant d'être publié et on devine tout de suite vos visages...

Blêmissant un peu plus à chaque mot, Eddie lâcha brusquement son arme de fortune, la brique retombant lourdement sur le sol dans un mouvement fracassant.

- Efface ça ! Efface cette putain de vidéo ! –hurla d'un ton paniqué le second en passant une main tremblotante dans ses cheveux blonds.

Camper sur ses positions, la jeune femme ne flanchait pas, son angle gardé en ligne de mire.

- Hors de question.

Comprenant rapidement que la situation ne tournait pas leurs avantages et que leur victime ne se démontait pas, l'harceleur eut un mouvement de recul, prêt à détaler et s'adressa une dernière fois à elle :

- On se reverra, l'homme-femme ! Et crois moi que ce ne sera pas une foutu vidéo qui m'arrêtera la prochaine fois !

Evitant soigneusement Aeryn qui l'assassinait du regard, l'homme le pointa du doigt :

- Quand à toi, fils de pute : tu ne perds rien pour attendre ! Regarde bien où tu marches, on ne sait jamais ce qu'il peut se passer si je te croise au détour d'une ruelle...

- Fait donc ça : vient à ma rencontre, je saurais t'accueillir comme il se doit... -lui souffla le sans-abri d'un ton doucereux, un sourire mauvais aux lèvres. Je ne risquerai pas de t'oublier, Eddie.

Voir le crétin méprisant tourner maladroitement les talons avant de partir sans demander son reste, son acolyte derrière lui, lui fit presque regretter de ne pas les avoirs achevés sur le champ lorsqu'ils étaient distraits.

Ils mériteraient de finir comme moi : dépouillés de tout. Ils ne risqueraient plus de sourires quand des porcs de leurs types les harcèleraient à leurs tours, démunies de leurs arrogances.

- Vous allez-bien ? Votre main... -s'enquit timidement une voix perçant le silence devenu opaque.

- C'est rien. -répondit pressement Aeryn en bougeant ses articulations meurtries, occultant jusque-là l'élancement qui se réveillait doucement. Tu l'as bien ?

- Quoi donc ?

- Ta vidéo. Pour la police.  -rajouta-t-il en la voyant le regarder d'un air déconcerté. C'est bien ce que tu comptais faire, non ? Leur montrer.

Secouant lentement la tête, déconfite, la jeune femme replaçait décemment ses vêtements d'un geste maladroit, ne connaissant que trop bien cette situation.

-Ce n'est pas la peine : ce genre d'affaire sera classé sans suite.

Ce n'est pas la première fois que ça lui arrives... - déduisit-il en l'observant tandis que la lumière se déclinait paresseusement au fil des minutes pour laisser place à ces vieux amis de toujours : les ténèbres.

Si le timbre chantant et légèrement grave de celle qui lui faisait maintenant face avait tout de suite attirée son attention, le jeune homme prenait désormais le temps de la contempler, devinant sous son épaisse chevelure noir, une peau pâle, un visage aux traits délicats et de jolies yeux en amande rehausser par un fard métallique.

- Merci d'être venu à mon secours... -murmura-t-elle finalement en lui souriant d'un air contrit. Ça aurait du être la première chose à dire, je crois...

- Y a pas de quoi. Les gens sont des cons de toute façon.

C'est le moment d'y aller. Je risque d'être en retard. De toute façon je ne sais pas faire la conversation et je la mettrai mal à l'aise en l'ouvrant...

- Bref, ne les écoutes pas et... Ouais. Bonne continuation pour la suite. –conclua-t-il en retournant chercher son sac, malencontreusement tombé dans sa précipitation au moment de traverser.

- Attendez !

Pensant un court instant l'ignorée pour continuer sa route, Aeryn ne pouvait cependant s'y résoudre en entendant la note incertaine et pleine d'espoir qui vibrait sa voix.

- Ouais ?

- Est-ce que vous... Enfin... Accepteriez-vous de boire quelque chose ? Pour vous remercier.

La perspective d'une boisson chaude dans un espace propre et confortable le fit réfléchir.

Ne joue pas les cons... Qui sait quand cette opportunité se représentera ? Personne ne te reconnaitra dans ce café, et même si c'est le cas... Tu les emmerdes.

- Euh... Ouais. -marmonna-t-il en revenant rapidement sur ses pas.

Soulagée, la jeune femme lui tendit sa main droite, un léger sourire aux lèvres.

- Je m'appelle Litah... Et vous ?

A quand remontait sa dernière interaction autre que celles de ses joutes verbales avec les promeneurs qui le titillait dans sa ruelle ?

Quelle main s'était tendu innocentement à lui sans l'injurier ou le rouer de coups ?

Même s'il ne s'agissait que d'une banalité sans réelle incidence, ce geste-là lui faisait peur. Un sens à ses yeux qui n'avait pas de prix. Une interaction qui lui reconférait son statut d'être humain.

- Vous n'êtes pas obligé de me le dire... -lui dit-elle dans un souffle en baissant sa main, son sourire se fanant légèrement.

Merde !

- Aeryn. Mon nom est Aeryn. -répondit-il en s'empressant de la lui serrer, se fustigeant intérieurement de paraitre aussi gauche.

- Enchantée Aeryn.







Assit sur une chaise en bas non loin de l'entrée à la devanture de crêperie, le Café Ampère se vidait désormais de bon nombre de ses clients.

Nerveux, Aeryn essuyait ses paumes contre son jean troué, avant de lisser la nappe rouge et blanche qui lui faisait face en faisant mine de ne pas sentir le regard de Litah sur lui.

Les bruits de rue ne pénétraient plus l'endroit à l'ambiance familiale et chaleureuse : au loin, à trois tables de la sienne, un bambin louchait sur sa part de gâteau, trépignant d'impatience tendant que le serveur la lui déposait.

- Merci pour la boisson. -lâcha-t-il soudainement en tentant de dissiper son malaise.

Sirotant son café, la jeune femme le gratifia d'une moue resplendissante qui lui fit louper un battement. 

- Cette boisson n'a aucune valeur... Du moins, pas autant que de ce qui serait advenu de moi après ça... Merci encore.

Ayant remarqué les gestes triturer involontaires autour de son bracelet de tissage bleu, Aeryn se pencha légèrement vers elle, la questionnant d'une voix douce :

- T'es sur de ne pas vouloir porter plainte ? Si ça t'effraye tant que ça...je peux t'accompagner, si tu veux.

Surprise, Litah cessa momentanément son geste, le dévisageant les yeux ronds par-delà ces longs cils noirs.

- C'est vraiment gentil de le proposer, mais... Oui, j'en suis sûr. Certaine même.

- Combien de fois as-tu porté plaindre contre ce genre de connards ?

- Trois fois : j'ai laissé couler à partir de ce moment-là... L'effort déployé était trop important... Pour que rien ne soit fait au final.

Si l'hésitation de la jeune femme avant chaque plainte était légitime, le questionnement incohérent et discriminatoire du poste qui les recueillait avait rendu l'expérience si humiliante et douloureuse qu'y franchir à nouveau les portes ne lui avaient jamais traverser l'esprit. Les insinuations sous-jacentes et cyniques du policier qui tournait en dérision sa souffrance étaient une gifle lui rappelant le chemin qu'elle devait encore parcourir.

Être soi coutait si cher...

Le regard d'Aeryn différait toutefois de ceux qu'elle avait connus auparavant : aucune trace de dégout n'y subsistait.

Si les bras tatoués, le crâne nu et les traits sérieux du jeune homme intimidait, Litah était la première à savoir regarder au-delà des apparences et, ce qu'elle découvrait au fil de son interaction avec lui, la confirmait dans sa certitude : une gentillesse fortuite se cachait derrière une rudesse de façade.

Un champ fleurit préservé par des fortifications de pierres.





Ce n'est pas si mal... parler de temps en temps avec des personnes. -pensa Aeryn en finissant presque à regret son Latte Macchiato, offrant un regard contrit au verre bientôt vide.

- Personne ne vous attend ? Non pas que votre compagnie me dérange, au contraire, mais je ne souhaite pas vous retenir en vous mettant dans l'embarras.

- Non, y'a pas de soucis à se faire là-dessus.

Cette demi-vérité lui nouait l'estomac : personne ne l'attendait nul part, excepté ses clients le soir.

Un travail qui le dégoutait chaque jour un peut plus, mais qui lui offrait la possibilité de survivre : le sans-abri n'avait aucune expérience, aucun diplôme et rare était ceux qui embauchait les « sans espoirs » tels que lui.

Chaque fin d'après-midi, après avoir fait son brin de toilette sommaire au lavabo de la Gare, il arpentait les rues de sa chemise froissée et comptait les heures qui le séparaient de l'obscurité.

Son amie empoisonnée n'était toujours qu'à une portée de billets et aucun soir ne faisait exception : elle lui était devenue aussi vital que l'air qu'il respirait, un ver dans la pomme qui le bouffait autant que ses remords.

Une perte si envoutante qu'il s'y jetait volontiers, les bras grands ouverts.

























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Quelle rencontre hasardeuse, n'est-ce pas ?

Vous avez donc une petite idée du thème abordé ici : un sujet plutôt délicat qui demande beaucoup de justesse d'informations, ce que je tente de faire le plus minutieusement possible (ce qui me prend un peu de temps).

J'ai beaucoup hésitée avant de poster ce chapitre pour la raison suivante : ma trame de base faisait de ce chapitre-ci un morceau, le reste étant en écriture. Cependant, étant donner la délicatesse des actions qui se passeront, le processus d'écriture aurait prit des jours/semaines en plus et aurait fini trop compacte.

Bonne chance pour le prochain ;) !

(En espérant que Litah fasse chavirer vos coeur ^^)

Shanonhope

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