Au fil des notes

Ce jour-là était apparement un jour comme tous les autres. La sonnerie retenti entre les murs du bâtiment en pierre grise, résonnant jusqu'aux oreilles d'Arthur, comme d'habitude. Avec ses cheveux blonds et son air rieur, le jeune homme semblait rempli d'énergie et d'espoirs, mais était en réalité perdu, complètement perdu. L'entrée en terminale et le choix fatidique, celui de ses futures études approchant, l'angoissait plus que tout. Son avenir lui semblait perdu dans la brume, il ne s'imaginait aucun chemin possible et ce doute l'effrayait. Il aurait aimé trouver un but, quelque chose qui motiverait son existence...

Mais ce jour-là, en sortant dans la cours, tandis que tout le monde s'engouffrait déjà entre les grilles du portail en fer, une curieuse mélodie atteignit ses oreilles. Indistinctement, d'abord, il senti les notes bourdonner à ses oreilles, se succéder, les accords s'entrecroiser, la mélodie entêtante se frayer un chemin jusqu'à lui. C'était vraisemblablement de la musique classique, douce et harmonieuse, céleste...

Arthur ne s'était jamais vraiment intéressé à ce type de musique. Et pourtant, ce morceau le frappait avec tant d'intensité! Son cœur battait à l'unisson et résonnait tel un écho à chaque note jouée. Il lui semblait comprendre la mélodie, qu'elle lui communiquait un mystérieux message. Curieux d'abord, puis comme hypnotisé, il suivi son ouïe, les notes devenaient de plus en plus distinctes, s'assemblaient mélodieusement à une vitesse ahurissante jusqu'à créer un air enivrant. L'espace d'un instant, il oublia tous ses problèmes.

Les notes s'enchaînant toujours  plus rapidement le menèrent plus loin, vers un recoin ombragé de la cour, une pièce vitrée dans laquelle il n'avait jamais pénétré mais qu'il reconnaissait cependant: la salle de musique.

Qui jouait donc de manière aussi virtuose pour avoir un tel effet sur son âme? Ne souhaitant pas interrompre le charme de la musique, il décida de s'asseoir à l'ombre du platane afin de profiter du morceau dans son intégralité.
La beauté de la mélodie l'envoûtait tout entier. Mais la musique cessa bientôt, et une impression de vide accompagna cette interruption. Il voulait prolonger l'expérience.

Après le néant du silence, d'autres notes retentirent à leur tour, des gammes, elles aussi enchaînées à une vitesse impressionnante. Sur la pointe des pied, il se dirigea vers la porte entrebâillée.

Un spectacle grandiose s'offrit à lui. La personne occupant le siège du piano était une jeune fille, concentrée sur son clavier, ses longs cheveux noir de jais retombant en cascade sur ses épaules, son dos, remuant par à-coups au fur et à mesure qu'elle jouait. Ses doigts, si fins, semblaient danser sur l'instrument, effleurant les touches avec grâce. Mais tandis qu'il l'observait, ébahi depuis la porte, les doigts s'arrêtèrent de jouer. La jeune fille avait tourné la tête vers lui. Ses yeux sombre en amande, ses pommettes hautes et son teint hâlé, tout dans sa physionomie semblait charmant. Son visage était cependant inquiet, elle demanda au jeune blond ce qu'il faisait là: est-ce qu'il y avait encore des cours à côté, elle dérangeait, c'est ça? Arthur profita de cette occasion pour lui dire combien il avait apprécié sa prestation, la manière dont il avait été transporté par ce morceau. La jeune fille se détendit, ravie de pouvoir parler de musique. Ce morceau, c'était l'hiver, de Vivaldi, extrait des quartes saisons. Il pourrai venir quand il le souhaitait, chaque minute de son temps libre, la jeune fille le passait ici. Elle s'appelait Adélaïde, et respirait, vivait pour le piano. Quand elle en parlait, ses yeux s'illuminaient. Elle avait pris des cours, au début, mais apprenait maintenant ses morceaux seules et s'entraînait sans relâche. Arthur l'admirait déjà tant qu'il décida de venir tous les jours.

Ce soir-là en rentrant chez lui, Arthur ne cessa de penser à cette rencontre, à songer à cette musique, à Adélaïde, à se rejouer cette scène des milliers de fois dans sa tête, comme un film. Il ne l'avait croisée que quelques minutes, et pourtant, le jeune homme sentait son cœur battre, de plus en plus fort, en repensant à ce visage, à ces doigts, à ces yeux sombres, à ce nom si mélodieux. Pourquoi?

À son grand étonnement, il montra une grande détermination pour se rendre au lycée le lendemain. Avec joie, il se laissa guider à nouveau par le charme des notes, pénétra à nouveau dans la salle de musique et la rencontra de nouveau, ainsi que tous les jours suivants. Très vite, la musique lui devint familière et il manifesta une grande envie d'apprendre. Des gammes et des arpèges tout d'abord: Adélaïde se fit professeure, et son élève se montrait exemplaire. Puis, Arthur voulut aller plus loin: est-ce qu'elle pourrait un jour lui apprendre un morceau? Bon, d'accord, mais pas trop compliqué pour commencer. Le thème de la lettre à Élise, ce serait parfait! Arthur mît beaucoup d'ardeur au travail, il apprenait vite, et
leur amitié commença ainsi, dans la salle de musique du lycée. C'est aussi à cet endroit qu'elle suivit son cours, puis se brisa un matin. Arthur aimait Adélaïde, de tout son cœur. Il trouva enfin le courage de le lui dire un matin, entre deux cours. Mais la jeune fille ne l'entendait pas ainsi, elle voulait « rester amis ». Le musicien en herbe sentit son cœur se briser, s'effondrer, il cessa de venir au lycée et personne ne sut ce qu'il était devenu.

Aujourd'hui, Arthur est pianiste. Il s'est entraîné toutes ces années, d'abord pour noyer sa déception amoureuse, et puis pour suivre sa nouvelle passion. Car sans même s'en rendre compte, cet art était devenu pour lui une nécessité, avait fait du garçon perdu qu'il était adolescent un adulte doué et sûr de lui. Ce soir, il donne un concert, et tentera de faire chavirer le cœur des milliers de personnes présentes dans la salle, comme le sien a chaviré des années auparavant, conquit par la musique. Il est accompagné: sa prestation est un deux pianos. En jetant un regard au dessus du clavier, ses yeux rencontrent le regard sombre et posé d'Adélaide. Avec un geste magistral, illuminés par les projecteurs, ils débutent leur arrangement des quatres saisons.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top