Chapitre 3: Étrange demeure

Le lendemain, je me mis en arrêt maladie afin de pouvoir enquêter sur le terrain. Rien n'avait changé depuis ma dernière visite. La porte d'entrée n'était pas verrouillée, mais puisqu'il n'y avait rien à voler, cela ne semblait pas aberrant. L'intérieur était très sombre, les fenêtres étant recouvertes de crasse. Pourtant, malgré la pénombre, je remarquai un escalier qui grimpait vers le premier étage. N'étant plus de première fraîcheur, je le gravis avec précaution. Une fois en haut, j'eus la désagréable impression d'être observée. Je chassai vite cette idée de ma tête pour m'intéresser aux portraits qui se trouvaient sur le mur. Visiblement, mon client n'avait encore rien débarrassé et la maison était remplie des affaires de l'ancien propriétaire. L'un d'eux attira mon attention et je l'observai attentivement. Il représentait une très belle jeune fille qui ne devait pas avoir plus de quinze ans. Elle était habillée d'une magnifique robe bleue et portait sur ses cheveux longs un petit chapeau avec des rubans. Sa peau était assez pâle et ses yeux, d'un bleu extrême, semblaient me fixer. Elle avait l'air paisible et calme. Une voix familière attira alors mon attention. C'était la même qu'à la bibliothèque, mais elle avait quelque chose de différent. Elle semblait moins triste. Elle me dit qu'elle était contente de me voir, et qu'elle espérait que je les libère tous. Mais avant d'avoir pu dire quoi que ce soit, une voix d'homme se fit entendre, me demandant de partir avant qu'il ne soit trop tard. Une violente rafale de vent venu de je ne sais où me fit perdre l'équilibre et je faillis passer au-dessus de la rambarde. Je sortis de la maison en vitesse.

Cette mésaventure, bien loin de me faire fuir, me conforta dans l'idée qu'il y avait vraiment quelque chose de malfaisant dans cet endroit. Et une fois à l'extérieur, je décidai d'aller voir du côté du cimetière. Les tombes étaient recouvertes de mousse et de mauvaises herbes, mais l'on pouvait encore voir les dates qui y figuraient. Et les plus anciennes remontaient à 1911. Sûrement celles des deux premières victimes. Des sculptures représentant des visages d'enfants étaient gravées sur la partie supérieure de la tombe, là où l'on met généralement les épitaphes. D'ailleurs, il y en avait sur certaines tombes, et cela allait du plus classique au plus dérangeant :

« Repose ici en paix », « paix à son âme perdue à jamais » ou encore « n'aura jamais le repos éternel ».

Toutes ces inscriptions étaient plus sinistres les unes que les autres. Il y avait plus d'une vingtaine de tombes, et toutes concernaient des enfants fauchés dans leur prime jeunesse et à la même période. Plus loin, vers le fond du cimetière, se trouvait une pierre fendue, dissimulée derrière un buisson comme si quelqu'un l'avait cachée. Il n'y avait aucune inscription, mais comme pour les autres, elle était décorée. Les dessins représentaient un homme qui apparemment avait beaucoup d'influence et qui devait être très puissant, car il avait l'air de terroriser les enfants qui étaient à genoux devant lui. Soudain, une rafale de vent dégagea une inscription que je n'avais pas remarquée au premier abord, car des feuilles la recouvraient. Il était inscrit "celui qui a répandu le mal n'aura pas le repos éternel. Son âme est bannie, perdue à jamais". J'en conclus alors que ce devait être celle du propriétaire de la maison, le tueur présumé, car son implication dans les meurtres n'avait jamais été prouvée. Je décidai donc de retourner là-bas, avec la ferme intention d'affronter « la chose » qui l'habitait et qui, apparemment, empêchait les âmes de trouver la paix.

Prenant mon courage à deux mains, je retournai à l'intérieur de ce sinistre taudis. La porte d'entrée grinça lorsque je franchis de nouveau le seuil de la maison et un courant d'air venu du haut des escaliers me fouetta le visage. Je ne perdis pas ma fougue pour autant et rassemblant toute ma force, je remontai les escaliers quatre à quatre. Je me dirigeai vers le fond du couloir et regardai les portraits au passage. Ce que je vis me fit m'arrêter net. Le visage de la jeune fille avait changé et il n'avait plus rien à voir avec celui de tout à l'heure. De la peur se lisait dans ses yeux. Détournant mes yeux du tableau, je remarquai que la porte du fond était fermée. En revanche, celle d'à côté ne l'était pas et je m'y précipitai. La pièce regorgeait de cartons couverts de poussière. Personne ne semblait y avoir touché depuis longtemps. Je doutai même que mon client soit venu jusque-là. Sûrement l'entité l'avait fait fuir avant qu'il n'ait eu le temps de visiter toute la demeure. Après quelques minutes de furetage, force était de constater qu'il n'y avait là rien d'intéressant. Je continuai donc ma visite en me rendant de pièce en pièce, sans rien trouver. Le plus intrigant était qu'aucune entité ne m'avait empêché de me déplacer dans la maison, à la différence de tout à l'heure. Pourquoi ? Quel message cherchait-elle à me faire passer ? J'en étais là de mes réflexions lorsque la voix se fit de nouveau entendre. Elle m'invitait à aller derrière l'escalier, au rez-de-chaussée et j'obéis. Une porte était ouverte. C'était une petite chambre avec deux lits, un bureau et deux tables de chevet. Une fenêtre ronde en haut du mur laissait entrer une douce lumière. Au sol se trouvait un tapis usé et décoloré par le temps. Alors que je me baissai pour le regarder de plus près, il se souleva, comme saisi par une main invisible, laissant apparaître une trappe. J'attrapai le gros anneau qui se trouvait en son centre et tirai. Un journal y était caché. En m'asseyant sur le lit pour le lire, un nuage de poussière me provoqua une quinte de toux qui dura plusieurs minutes. Il appartenait à une certaine Elizabeth Durian dont je n'avais jamais entendu parler avant, mais dont le nom était sur la couverture. Sur la première page, on pouvait lire : « journal de Lizzie, 16 ans » et sur la seconde, la date du 1er juillet 1914 était inscrite. Le texte évoquait son emménagement avec ses parents et son petit frère.

« 4 juillet 1914. Cela fait à peine trois jours que nous sommes ici et je n'arrive déjà plus à dormir. La nuit, il me semble entendre des cris, des pleurs et bien d'autres bruits. Mon frère dit qu'il n'entend rien, mais je sais qu'il ment. En plus, je trouve ce cimetière lugubre.

20 juillet 1914. Je continue à les entendre plus fort chaque jour. Ils me demandent de les aider, mais je ne peux rien faire. Mes parents commencent à s'inquiéter et je ne peux me confier à personne à part ce journal. La nuit, il me semble même voir de la lumière dans le cimetière.

29 juillet 1914. Cette nuit, il m'est arrivé quelque chose d'invraisemblable. Un jeune garçon est apparu dans ma chambre et m'a dit de partir loin d'ici avec mon frère avant qu'il ne soit trop tard.

30 juillet 1914. Aujourd'hui monsieur Parker, qui nous loue la maison, est arrivé. Il va séjourner parmi nous pendant quelque temps. Il me fait froid dans le dos. Je n'aime pas la façon dont il me regarde.

31 juillet 1914. C'est étrange, je n'ai rien entendu cette nuit. Je commence à penser que cet homme a quelque chose à voir avec tout ça, mais c'est quand même agréable de pouvoir redormir sur ses deux oreilles. Cela dit, il me fiche vraiment la trouille et je préférais presque les murmures.

2 août 1914. Cela fait maintenant trois nuits que je n'entends plus rien. Mes soupçons sur monsieur Parker se confirment. Je l'ai vu aller dans le cimetière avec un gros livre plusieurs nuits d'affilée. Il nous regarde mon frère et moi d'une étrange façon. Demain, je le suivrai, car je compte bien découvrir ce qu'il trafique. »

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