23
Lorsqu'elle se leva ce matin-là, Jeanne avait légèrement mal aux jambes et aux bras. C'était toujours le cas après la reprise du ski. C'était d'autant plus vrai qu'elle et le sport n'étaient pas très compatibles le reste de l'année. Elle grimaça alors qu'elle descendait avec un peu de difficulté les marches de l'escalier. C'était le temps nécessaire pour que tout son corps se remette en marche.
Elle se laissa tomber assez lourdement sur une chaise à côté de Lisandro. En face, les enfants d'Erik piaillaient déjà, se disputant pour un couteau. Elle avait toujours rêvé d'avoir de la famille mais parfois, elle comprenait qu'être seule était également intéressant. Elle n'avait ainsi jamais personne pour l'embêter. Lorsqu'elle regarda son téléphone, elle s'aperçut rapidement que Noël approchait rapidement. Et si elle n'y avait plus pensé pendant quelques temps, l'idée de le passer sans une partie de sa famille lui serra de nouveau le cœur. Elle comprenait Erik, mais cela ne l'empêchait pas d'être plus qu'attristée de la situation.
Son regard se posa alors sur celui qui déjeunait en silence. Lui non plus n'allait pas avoir droit à sa famille le jour de Noël. Et elle était triste pour lui. Après tout, même si la cohabitation se passait relativement bien, bien plus qu'elle n'aurait pensé après leurs premières rencontres, il n'en était pas moins seul.
— Une partie de la famille va faire de l'alpin aujourd'hui. Lisandro, je préférerais que tu te contentes du nordique ou des raquettes. Tu comprends...
Jeanne tourna ses yeux en direction de l'argentin et elle put voir son visage se décomposer suite aux paroles de celui qui était son entraineur. Mais elle savait pourquoi il prenait une telle décision. Si les chutes arrivaient dans les deux autres disciplines, elles restaient souvent bien moins graves que sur les pistes d'alpin. Et puis, on était mieux en étant débutant sur des skis de fond. Et il ne pourrait de toute façon pas les suivre s'il n'en avait jamais fait.
— Oui... Je... D'accord.
La brune comprit rapidement que par une partie de la famille son beau-père englobait en fait la quasi-totalité. Elle prit alors le plus âgé en pitié.
— Si tu veux je peux aller en faire avec toi.
Un petit soulagement apparut sur le visage de l'entraineur qui ne semblait pas avoir envie d'imposer quoi que ce soit au reste de la famille.
— Merci Jeanne. On rentrera pas tard de toute façon, je propose qu'on aille tous faire de la luge cet après-midi.
Les journées n'étaient pas longues en cette fin d'année, alors ils n'auraient pas forcément le temps de faire énormément de luge.
Ils partirent à deux. Après réflexion, sa mère s'était décidée pour une balade en raquettes toute seule. La française n'avait pas été étonnée. Elle n'avait jamais été fan de ski alpin. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle-même préférait le ski de fond. Et elle préférait alterner depuis qu'elle s'était blessée au genou un an plus tôt.
Les deux jeunes se retrouvèrent rapidement sur la piste. La lycéenne s'élança, alternant les pas et grimpant la première butte rapidement. Elle avait sélectionné une piste relativement courte et qui alternait montées et descentes, évitant par là de commencer par des kilomètres de montée ce qui n'était pas du tout amusant et surtout particulièrement épuisant.
Le début se passa dans le silence. Elle s'arrêtait régulièrement pour attendre son compère d'aventures qui allait tout de même bien plus vite que la veille de son point de vue. Arrivée environ à mi-chemin, elle s'arrêta, s'asseyant dans la neige. Devant eux, un magnifique panorama s'étalait. Les montagnes se détachaient sur le ciel bleuté et ensoleillé.
— Tu vois la grande montagne en face ?
Un léger hochement de tête lui répondit.
— La plus haute, tout blanche, c'est le Mont-Blanc. Et à côté, le pic qui fait très rocher, c'est le Pic du Midi.
Elle lui montra quelques montagnes, alors qu'il l'écoutait. Elle avait appris par cœur les différentes montagnes au fil du temps. En effet, après les avoir vues depuis plusieurs directions et plusieurs points, elle savait très bien les reconnaître. Son endroit préféré, outre le Mont-Blanc qui semblait presque accueillant, restait les Grandes Jorasses, si dangereuses mais si belles vues de loin.
— Trop beau.
Elle profita du moment pour sortir une barre de céréales et la manger, tendant la seconde à Lisandro qui s'en saisit.
— Tu viens souvent à la montagne ?
Elle hocha doucement la tête, croquant dans sa barre durcie par le froid.
— Je venais tous les hivers à Noël et puis aussi en février et l'été. Mes grands-parents ont un chalet dans les Alpes.
Mais ce n'était pas cette fois-ci qu'elle pourrait profiter de leur chalet. A défaut, elle pouvait au moins profiter du grand air et des beaux paysages montagnards qu'elle aimait tant.
— Cool.
Le silence s'abattit quelques instants alors qu'ils mangeaient tous les deux tranquillement leur en-cas du matin.
— T'es pas triste de pas fêter Noël avec ton papa comme les enfants d'Erik ?
Elle se crispa fortement. Elle détestait parler de son père. Elle ne savait pas trop comment elle vivait sa disparition encore aujourd'hui. Elle n'avait aucun souvenir de lui, seuls les regrets étaient présents. Ceux de ne pas l'avoir connu. Ceux de porter son nom et d'être comparée à lui lorsqu'elle était dans le Sud parfois. Rarement, elle était heureuse d'être aux Pays-Bas pour ça, parce qu'il n'y avait personne pour faire le rapprochement entre lui et son nom.
— Mon papa est mort.
— Désolé, je pensais pas... Et... Je...
— T'inquiète pas. J'étais toute petite, je me souviens pas de lui. C'est juste que parfois, j'aimerais bien qu'il soit là ou juste avoir des souvenirs, tu vois ?
Et elle n'en avait pas. Elle n'avait que des photos et les rares choses que voulait bien lui raconter sa famille. Elle évitait pourtant toujours de faire parler sa mère. Parce qu'elle voyait dans son regard qu'elle souffrait encore de son absence. Même si elle avait retrouvé quelqu'un avec Erik, elle ne pouvait s'empêcher d'être triste et cela se voyait.
Quant à elle, c'était lors de moments comme celui-ci qu'elle souffrait le plus. Lorsque tout le monde se retrouvait en famille et qu'elle n'avait qu'une mère sur laquelle compter. La fête des pères était toujours le pire moment de l'année, mais elle mettait Noël en second. Parce qu'alors que tout le monde avait des photos en famille, il semblait qu'il manquait toujours quelqu'un. Et elle pouvait aussi voir la tristesse dans le regard de ses proches parfois, quand son absence se faisait ressentir à table.
— Je comprends. On est pas obligés d'en parler si tu veux pas.
Elle le remercia d'un sourire, heureuse d'avoir la possibilité d'éviter le sujet. Et c'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Pourtant le silence ne fut pas si pesant. Ils se perdaient tous les deux dans leur observation du paysage, se reposant avant de bientôt reprendre pour la suite de la balade.
─ Si tu veux demain je pourrai t'apprendre un petit peu le skating sur du plat. Tu verras, c'est quand même plus rigolo. Et puis, vu que tu sais patiner, c'est presque pareil.
Elle lâcha un léger rire et un sourire malicieux. Elle s'amusa des joues rougissant légèrement chez l'argentin.
— Merci. Pour lui avoir rien dit.
— Je savais même pas que c'était interdit si tu me l'avais pas dit alors !
Et elle s'engouffra dans le chalet où elle alla se glisser dans le salon retrouvant les autres qui étaient déjà de retour et faisaient un jeu de société. Elle s'étonna de la situation mais ne fit aucun commentaire. Peut-être que leur soudain amour pour les jeux était lié à l'esprit de Noël.
L'après-midi à faire de la luge était passé rapidement. La suite de la journée également. Elle s'était enfermée dans sa chambre et avait joué pendant une bonne demi-heure de la musique. Ses doigts glissaient aisément sur les touches de son saxophone qui la suivait partout. D'ordinaire, elle aurait également joué une musique de Noël. Elle se demandait si ça plairait à Erik et aux autres présents. Et puis elle revint dans le salon.
Ses doigts griffonnaient sur une feuille de papier. Ils traçaient les lignes de la pièce. Après avoir fait le portrait de sa mère, elle s'attarda sur son beau-père qu'elle crayonna rapidement. Elle insista tout particulièrement sur son regard qu'elle reprit à plusieurs reprises, mécontente du résultat. Il n'était jamais assez sympathique et doux à son goût.
Une fois le repas du soir à base de fromage locaux terminé, elle s'isola pour lire un peu tandis que les autres regardaient un film. Un bruit la fit sortir de son livre. Elle posa ses yeux verts étonnés sur le brésilien qui venait d'entrer dans la pièce. Elle pensait qu'il était avec les autres.
— Tu regardes pas le film ?
— Je l'ai déjà vu plusieurs fois et je comptais appeler ma famille, je savais pas que t'étais là. Je vais aller ailleurs.
Elle se reconcentra sur ses pages après lui avoir fait un léger sourire et avoir hoché la tête en réponse. Et puis elle essaya de plonger dans son livre, cherchant à oublier le regard qui ne la quittait pas alors que le plus âgé n'avait pas bougé.
— T'aimes pas Noël ?
Elle le regarda d'un air intrigué.
— T'as l'air triste alors que normalement c'est censé être joyeux.
Elle l'observa quelques instants. Et lui l'était, heureux. Cela se voyait sur son visage. Pourtant à sa place, elle aurait certainement été triste d'être loin de sa famille. Elle l'était déjà tant.
— C'est juste que vu qu'on fête Noël dans la famille d'Erik, je vais pas pouvoir voir mes grands-parents, mes cousins, cousines, mes oncles et tantes. Et c'est pas vraiment Noël sans eux tu vois.
Elle se sentait idiote. C'était juste une question d'habitudes chamboulées. Il était là, à lui parler alors qu'il aurait dû être en Argentine et elle se plaignait alors qu'elle avait quand même sa mère avec elle et qu'Erik faisait tout pour que tout se passe pour le mieux.
— Mais bon, c'est pire pour toi donc...
— Je suis content d'être venu à la montagne. J'inviterai ma famille en février, en plus comme ça ils pourront visiter Amsterdam, ils sont pas encore venus et mon père n'attend que ça de voir la ville.
Et elle ne comprenait pas trop comment il pouvait être aussi positif. Elle ne vit pas immédiatement qu'un silence s'était installé alors qu'elle était partie dans ses pensées. Celles où elle ruminait un peu trop la situation approchant. Mais il ne semblait pas s'en offusquer. Il se déplaça bientôt tout en lui souriant.
— Bon, je vais appeler mes parents, faut que je leur raconte mes aventures au ski ! A demain Jeanne, bonne lecture !
Elle lâcha un léger rire.
— Bonne nuit Lisandro. Leur dis peut-être pas ton nombre de chutes, ils s'inquiéteraient !
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