Epilogue

Et soudain, mon esprit n'accepte plus le sommeil. Il le rejette, le repousse et j'ai beau forcer mes yeux à rester fermés, le besoin de les ouvrir se fait plus insistant, plus pressant. Je dois me réveiller, il faut que je me réveille. Malheureusement, comme à chaque fois, le retour à la réalité rime avec la douleur qui renaît tout au fond de mon cœur.

Mes yeux s'ouvrent en grand. Je suis empêtrée dans ma couverture, en travers de mon lit et mon oreiller est tombé par terre. Je ne sais pas quelle heure il est, ni à quel moment je me suis endormie mais tout cela ne me paraît pas si important.

Tout est réel, tout est réel. Ce n'était qu'un rêve.

Un grand, beau et merveilleux rêve qui m'a fait penser que j'avais imaginé tout ça. Et c'est tellement douloureux à présent. Les médicaments que m'a prescrits mon psychiatre n'ont plus l'air de faire effet, il est tant d'en reprendre. Et si Louis m'aperçoit, même si on est au beau milieu de la nuit et qu'il doit sûrement dormir, à l'étage et bien je lui dirais que c'est la dernière fois que j'en prends et je le lui promettrai comme toujours. Mon petit frère.

Une photo sur ma table de chevet attire mon attention et je peine à retenir mes larmes. Les antidépresseurs m'ont fait halluciner. Camille, magnifique dans son joli costume, pose auprès d'une dizaine de danseuses. C'était il y a quelques années, à l'époque où elle pratiquait de temps à autre la danse. Je l'avais pris en photo, même si elle m'avait râlé dessus pour marquer son mécontentement.

Je vérifie que tout est calme dans la maison et j'arrive même à entendre mon cœur battre. Un battement. Deux battements. Trois battements. Tout est si paisible, rien n'a l'air d'avoir changé, si ce n'est que la douleur me bouffe et que je n'ai plus l'impression d'être en vie.

Le parquet froid du couloir me fait frissonner et je tente d'être la plus silencieuse possible. Louis descend peu après moi, entoure ma taille de ses petits bras et pose sa tête contre mon dos.

- Pourquoi tu dors pas ?

Je souris. Parce que je n'arrive pas à dormir tranquillement alors que tout est de ma faute, Louis. Je n'arrive pas à me dire de continuer ma vie alors que j'ai gâché la sienne. Maman t'expliquera, elle te dira que tout n'était qu'un accident mais je sais au fond de moi que ça ne serait jamais arrivé sans moi. Va dormir, petit frère, et ne t'occupe pas de ta sœur, tu mérites mieux que ça, je te le jure.

-Il faut que tu ailles dormir, petite canaille. Tu sais que maman n'aime pas quand tu te lèves pendant la nuit, elle n'est pas tranquille.

Je lui ébouriffe les cheveux pour tenter d'éloigner cette impression de déchirement dans la poitrine mais les souvenirs affluent, surtout les avertissements et les consignes de nos parents quand on sortait, lui et moi.

« Veille sur ta sœur, Aaron. Et fait attention sur la route !

-Il n'a que deux ans de plus que moi, je sais me gérer !

-Je serai toujours l'aînée, Beers.

-Arrête avec ce stupide surnom, je ne suis plus une gamine.

-Alloooons, arrête un peu de râler et fais moi un câlin. »

Je l'adorais, il m'adorait. On a toujours été plus proches que les autres frères et sœurs, c'est indéniable. Même Louis, qui est arrivé plus tard, se sentait à l'écart. Ce n'était pas de notre faute, on l'intégrait comme on le pouvait mais ça a toujours été le cas avec tout le monde. Il était parfois insupportable, à jouer au grand frère protecteur à longueur de journée mais il était mon monde. Il m'a toujours tout appris, m'a présenté à toutes ses connaissances.

C'est grâce à lui que j'ai construit ma vie.

Alors, la nuit où il avait conduit un peu trop vite et que je l'avais encouragé, en criant comme une folle d'accélérer. C'était notre jeu, on aimait jouer, on adorait la vitesse, surtout en voiture avec sa décapotable. Il avait pincé ma joue dans un de ces gestes affectueux et avait à peine eu le temps de tourner la tête que c'était fini.

J'avais juste eu le temps de crier son prénom, puis tout était devenu noir. Et j'aurais préféré que ça le reste, à tout jamais. J'aurais préféré y passer, plutôt que de devoir vivre avec ça sur la conscience, le restant de mes jours, sans lui.

Aaron était mon rayon de soleil alors quand il s'est éteint, ma vie aussi. Son enterrement a été un supplice, je luttais pour ne pas fondre en larmes et j'avais l'impression que toutes les personnes avaient les yeux fixés sur moi, comme s'ils savaient que c'était de ma faute. J'avais fait un discours et toutes les personnes qui étaient venues me faire un câlin avec leur « je suis vraiment désolée. », j'avais envie de hurler. J'avais envie de leur hurler dessus, de leur dire qu'elles ne savaient rien, qu'elles ne le connaissaient pas aussi bien que moi, que personne ne pouvait le connaître aussi bien que moi. J'avais envie de leur dire qu'il était génial, adorable et mignon, mais à quoi bon ? Il était parti et je n'aurais vu que plus de pitié dans leurs yeux. Je n'avais pas besoin de ça.

J'aurais tout donné pour qu'il revienne, ma vie y compris.

-Oh Louis... Je viens de me réveiller, c'est parce que je me suis endormie très tôt hier soir.

-C'est à cause d'Aaron ? Tu vas reprendre un de tes cachets ? Tu n'es plus jamais la même, Juliette. Pourquoi tu veux pas qu'on t'aide ?

-On m'aide déjà, petit frère. Je fais juste comme je peux pour rester avec vous, okay ?

-D'accord, tu me le promets, ça sera le dernier ?

-Je te le promets, Louis.

-Je t'aime.

Je m'agenouille pour me mettre à sa hauteur et le prend dans mes bras. Il me sert de toute la force dont ses bras le peuvent et je ravale mes larmes en forçant un petit rire, pour dénouer ma gorge. Mon petit frère est un ange.

-Je t'aime aussi. Personne ne t'aime autant que moi. Tu es ma dose d'espoir.

Il me sourit d'une bouille ensommeillée et remonte les escaliers d'un pas lent. J'entre dans la cuisine en veillant à ne pas faire grincer la porte. Mes antidépresseurs m'apparaissent posés sur le plan de la cuisine. Je m'en vais les chercher et pendant que je fais couler un verre d'eau, j'en profite pour lire la notice de l'emballage.

« Ce médicament doit être prescrit par un médecin ou psychiatre. Dès l'apparition d'un effet secondaire, veuillez le contacter et arrêter le traitement. Prenez un ou deux comprimés PARKER matin et soir. N'en abusez pas. Le PARKER peut causer des nausées, des maux de tête... »

Oui, mon esprit a une folle imagination bien sûr. Les PARKER sont ma drogue à présent. C'est tellement évident. Ils me soulagent autant qu'il m'enfoncent. Dès que je repense à Aaron, je dois en reprendre, comme je devais voir Parker pour me soulager de mes cauchemars. La douleur afflue. Pourquoi ce rêve ? Pour me faire du mal, encore. Mon corps cherche l'autodestruction parce qu'il ne comprend pas ce qui lui arrive. Je retiens un cri de détresse qui ne servirait de toute façon à rien. Je n'ai plus personne. Plus jamais quelqu'un ne pourra faire en sorte que je me sente bien.

Alors, j'inspire, j'inspire, glisse deux comprimés dans ma main, penche la tête en arrière et les laisse se dissoudre dans ma gorge. Le goût est affreux mais je ne mérite pas de prendre d'eau, je ne mérite pas d'oublier la douleur aussi intense soit-elle. Cette sensation me fait croire que je suis encore un peu en vie.

Aaron est en vie. En moi. C'est ce que mes parents m'ont dit. Mais il faisait tellement partie de moi que je ne suis plus entière à présent. Il me manquera à tout jamais. Et je ne pourrais jamais me résoudre à me suicider, en laissant le reste de ma famille derrière moi.

Alors, je prends mes cachets et je survis. Oh, je t'aime tellement Aaron.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top