Chapitre 7

Il ne faut pas que je pleure. Je ne veux pas me ridiculiser devant un lycée tout entier. Il faut que je me calme. Et pourtant, l'idée de décevoir mes parents m'est difficile et le fait que je n'aie absolument aucun pouvoir contre cette prof est insupportable. Je sais qu'elle ne m'aime pas, et c'est réciproque mais pourquoi ne me supporte-t-elle pas ? Je ne lui ai rien fait. J'essuie d'un geste rapide les quelques larmes qui ont osées s'aventurer sur mes joues pour avoir les idées plus claires.

-Tu veux un mouchoir ?

L'auteur de cette voix me fait sursauter mais je me retourne quand même pour lui faire face. J'ai la gorge tellement serrée que je suis incapable d'émettre le moindre son, alors je décline sa proposition d'un geste de la tête. Je voix bien qu'il a envie de savoir ce qui me met dans cet état là et qu'il se retient. Mais il ne saura rien, pas plus que les autres personnes présentes dans notre classe. Après une grande inspiration, je sens que la parole me revient.

-Qu'est-ce que tu veux, Parker ?

-Juste te parler, pour l'instant.

Le sous-entendu dans sa phrase ne me plaît pas mais je ne lui fais pas le plaisir de répliquer. Il s'est assis à distance raisonnable de moi mais je le surveille du coin de l'œil. Voyant que notre conversation s'arrête là, je me dépêche de lui demander de partir. Il soupire bruyamment, me faisant comprendre qu'il a bien l'intention de rester.

- Laisse-moi, Parker. Je ne suis pas d'humeur à parler. Et même si c'était le cas, tu serais le dernier à qui je le ferai. Tu as sûrement des tas de choses à faire alors je t'en pris, vas-y !

Bizarrement, il ne répond pas tout de suite, se contentant de me sourire. Cet enfant est insupportable.

-Je peux savoir ce qui te fait autant sourire ?

-J'étais en train de me dire que c'était sûrement la première fois que tu me parlais autant sans me crier dessus.

Pardon, je me suis trompée. Cet enfant est insupportable et désespérant. Et puis, je rêve où il est en train de me demander de l'engueuler ? C'est à mon tour de soupirer.

-Belle constatation, bravo. Tu ne veux pas me laisser tranquille ?

-Pas vraiment. Je n'ai pas grand-chose à faire, alors si je peux venir en aide à une demoiselle en détresse...

Je me lève d'un bond, ne supportant plus ses paroles insolentes. Ses mots m'ont touchés, ont réussi à s'infiltrer à l'intérieur de la carapace que je me suis créée et ils me font mal. Ils ne me plaisent pas. Je ne veux pas être en détresse et encore moins pleurer devant lui.

-Je n'ai pas besoin d'aide. Dégage, hors de ma vue !

Ses yeux s'écarquillent à mesure qu'il digère mes paroles. Il a compris que ça me faisait mal, je le sais. Mais je m'en fiche, je veux juste qu'il me fiche la paix, pour l'instant. Je veux qu'il s'en aille. Il ne faut pas que les barrières que j'aie mis si longtemps à construire s'échappent. Finalement, je me retourne, attendant d'entendre ses pas qui s'éloignent. Mais ça ne vient pas. Je le devine en train de réfléchir à ce qu'il pourrait dire pour me faire parler. Ça ne sert pourtant à rien. Je le sens finalement s'approcher près de moi, si près que je peux sentir son souffle chaud sur ma nuque. Je m'empêche de réagir parce qu'il comprendrait qu'il me fait plus d'effet qu'il ne pourrait le croire. Et je le refuse.

- Excuse-moi, mon cœur. Je ne voulais pas te vexer. En fait, j'étais venu te dire que, pour ton plus grand bonheur, je suis également en colle, ce soir. La prof de français n'est vraiment pas tendre. Mais ne l'écoute pas, la vie a du bon, tu sais. La preuve, tu seras avec moi tout à l'heure !

Ma main s'élance pour arriver jusqu'à son visage mais elle n'atteint pas sa cible puisqu'il l'a rattrapée dans la sienne. Son surnom m'a dérangée, on se connaît à peine, il n'a pas à m'appeler comme ça. Mais quand je croise ses beaux yeux, ma colère fond comme glace au soleil. Il a l'air tellement sincère. Ma main et toujours dans la sienne et je n'arrive pas à réagir.

- Toi et moi, on n'a pas la même conception de la vie, j'en suis désolée. Et ne m'appelle plus comme ça, je ne t'apprécie pas.

Je n'attends plus sa réponse et me dépêche de tourner les talons pour rejoindre ma meilleure amie, ou peu importe qui d'ailleurs. Juste quelqu'un d'autre que lui.

-Tu en es certaine, Juliette ?

Un dernier regard en arrière m'apprend qu'il me regarde toujours et je m'empresse de détourner les yeux. Camille, rejoins-moi s'il te plaît. Ce garçon me fait peur, il arrive trop bien à me percer à jour. Je repère ma meilleure amie, non loin de notre prochaine salle de cours et je m'empresse de la rejoindre. Elle a l'air inquiète.

-J'ai l'impression que tu ne vas pas bien, qu'est-ce qu'il se passe ?

J'hésite à lui parler de Parker mais elle me conseillerait simplement de l'éviter, et j'ai beau essayer, lui ne le veut pas.

-L'heure de retenue m'inquiète, que vont me dire mes parents ? C'est tellement injuste.

Oui, ce n'est pas juste. Mais qu'est-ce qui est réellement juste dans la vie ? Au moment où je croyais que ma vie était parfaite, tout a basculé et je me suis retrouvée en enfer. Peut être que ce n'est pas le cas de beaucoup de personne. Peut être que j'étais trop heureuse, finalement. Et que ce n'était pas juste pour les autres. Je me demanderai toujours pourquoi Aaron est parti, ça ne changera jamais. Mais je n'aurai jamais les réponses.

-Oui, je sais. Mais tu as demandé à la prof ? Peut être que si...

-Laisse tomber, j'ai déjà essayé de lui parler. Elle m'a envoyé balader.

-En même temps, Juliette... Pourquoi n'as-tu pas lu ton texte ? Tu sais que je suis de ton côté et que je pense que c'est ton droit mais, pourquoi ? Ça aurait sûrement été plus simple, non ?

-Je ne pouvais pas le lire, Camille.

Ma voix s'étrangle et je dois lutter pour pouvoir reprendre calmement ma respiration. Elle pose sa main sur mon bras pour me réconforter mais ça me donne encore plus envie d'éclater en sanglots.

-Ça parlait de lui, non ?

-Camille, je ne veux pas en parler. Et je t'ai déjà dis que j'aimerais que tu restes en dehors de tout ça. Tu n'as pas à te mêler d'une chose qui nous dépasse toutes les deux.

-Il faut pourtant que tu en parles à quelqu'un.

-Il n'y a rien à dire. Tu sais l'histoire et tu sais comment je dois le prendre. Mais je n'entrerai pas dans les détails. Je ne peux et ne veux pas. C'est comme ça.

-Je comprends...

La conversation s'arrête là, et j'en suis bien contente. Nous sortons du lycée, puisque nos cours de la matinée sont annulés et on se lance dans un autre sujet.

- Dis-moi, Camille, quel est ton plus grand rêve ?

Je veux lui changer les idées, je veux qu'elle sache que tout ce que je veux, c'est la protéger et qu'il ne faut pas qu'elle m'en veuille. Et je vois que son bon sens a reprit le dessus puisqu'elle me sourit sincèrement et se lance dans une courte réflexion.

-Je ne sais même pas pourquoi je réfléchis, en fait. Tu ne me prends peut être pas au sérieux avec cette histoire de danse classique. Après tout, j'ai toujours été comme ça. Je découvre un loisir qui devient ma passion, puis je m'en lasse rapidement. Et tu penses sûrement que ça sera pareil pour la danse. Mais je te jure que c'est différent, Juliette. Le ballet que j'aie été voir pour mon anniversaire a changé ma vision des choses. Il n'y a pas que la danse, il y a les costumes, la musique, l'ambiance, les spectateurs, l'odeur, les fleurs, ... Tout ça fait parti du monde auquel j'ai maintenant envie d'appartenir. Je ne vis que pour ça, maintenant. Alors, je peux te dire que mon plus grand rêve, c'est de me retrouver à la place de la superbe danseuse qui a reçue des tonnes de bouquets de roses, de lettres et de compliments à la fin du spectacle. Je voudrais inspirer le monde. Je voudrais être admirée.

Suite à son long discours, je me contente de sourire et d'essayer de résumer ma pensée la concernant.

-Si quelqu'un en est capable, c'est toi. Je suis sûre que tu réussiras, et si c'est le cas, je serais au premier rang, je te le promets.

Je vois des larmes se former au coin de ses yeux. Peut être parce que c'est la première fois depuis des semaines que je parle avec sincérité et que je ne me cache pas derrière une façade. Elle me prend dans ses bras, et j'ai beau ne pas beaucoup aimer les câlins, je l'étreins à mon tour, consciente que c'est sûrement la seule amie que je garderais pour toujours. Et ça, c'est sûrement la plus belle certitude dans ma vie depuis longtemps.

-Et toi alors ?

Je ne force pas le rire qui m'a échappé et me contente de réfléchir. Qu'est-ce que je souhaite le plus ? Après ce qu'elle vient de m'avouer, j'ai peur que ma réponse paraisse ridicule à côté. Je ferme les yeux et cherche la réponse dans mon cœur. Mais je ne vois pas pourquoi, après tout. Même Aaron doit le savoir.

-Ok, alors écoute. Je rêve d'un bal en mon honneur. On s'en fiche de savoir s'il existe ou pas, l'important, c'est de le visualiser. Je rêve qu'il se passe au beau milieu de notre ancien collège. Arrête de rire, ce n'est absolument pas drôle. Je voudrais qu'il y neige, ça ferait un décor parfait. Ensuite, j'aimerais que toutes les personnes à qui je tiens soient là. Toutes sans exception. Ne m'en veut pas, mais si le meilleur ami que je me suis inventée et qui se trouve actuellement à l'autre bout de la France n'est pas là, le rêve n'existe plus et ma vision n'est plus parfaite.

-Juliette...

Elle m'effleure le bras mais je secoue la tête, je ne veux pas être consolée. Je sais qu'elle mérite de savoir ce qui se trame dans ma tête mais je ne lui souhaite pas. Alors je me contente de lui donner des bribes de sensations que j'éprouve. Ce que je viens de lui dire est sincère. C'est un magnifique scénario de retrouvailles. Mais pas meilleur que les centaines d'autres que j'invente pour essayer de combler le vide qui s'est formé dans mon cœur.

-Ne t'inquiète pas, ça va. Mais voilà, en résumé, c'est certainement mon plus grand rêve, j'en suis certaine.

Elle semble réfléchir quelques instants, sûrement à une quelconque activité pour tenter de me remonter le moral. Son regard s'emble s'illuminer et je me demande bien ce qui lui est passé par la tête.

-Tu sais quoi, Juliette ? On va essayer de tout oublier pour une après-midi. Au diable, les cours, les professeurs injustes, les heures de colles inévitables et les meilleurs amis. On va se faire une après-midi, juste toi et moi, pour ne penser qu'à nous. On dévalise les magasins et on se fait une petite manucure, ça te dit ?

Pour une fois, mon sourire est sincère malgré le fait que je me demande si tout oublier est vraiment possible. Je me dis que je n'aie plus rien à perdre, et étant donné l'utilité des deux heures de cours qu'il nous reste, pourquoi pas. Je hoche la tête joyeusement et Camille me dirige vers le magasin le plus proche. Un peu avant de rentrer, elle me prend la main pour me parler doucement.

-N'oublie pas que je suis toujours là, Juliette. Je serai toujours près de toi.

Je sais qu'elle est sincère, qu'elle dit la vérité. Mais la véritable question n'est pas celle-là. Est-ce que moi, je serai toujours là ?

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