Chapitre 28
Les battements de mon cœur s'accélèrent et mes mains se mettent à trembler. Je n'écoute plus ce que Parker me dit, me contentant de fixer les mots affichés sur mon portable.
-Juliette ?
Il passe une main devant mes yeux, qu'il agite pour attirer mon attention.
-Eh, ça va ?
Il fronce les sourcils, et me prend le portable des mains. Ses yeux s'écarquillent en lisant le message, il a l'air vraiment contrarié.
-C'est quoi, cette connerie encore ? Putain.
Je le vois trafiquer un peu avec mon téléphone et le porter à son oreille. Il attend, sûrement que le numéro inconnu décroche mais ça m'étonnerait que ça soit aussi simple. J'essaie de me reprendre, pendant qu'il rappelle encore et encore.
-Attend Parker, mets en haut parleur.
- Tais-toi, et laisse-moi faire ! Je ne veux pas que cette putain de connerie te détruise encore une fois. Okay ?
Son ton brutal me fait tressaillir et ma gorge se serre en voyant son regard noir. Mais je ne peux plus me laisser faire.
-Tu baisses d'un ton, Parker. Je ne suis pas un chien, ni un objet qu'il faut protéger, okay ? Passe-moi mon putain de téléphone.
-Non.
Non ? Je le fusille du regard avant de me décider à le gifler. Il passe doucement sa main sur sa joue, et il a beau évité mon regard, j'ai bien vu qu'il est redevenu normal. Alors il disait la vérité, il peut vraiment être horrible parfois.
Je reprends mon portable d'un mouvement sec, pour rappeler le numéro encore une fois, tout en le mettant en haut parleur.
Une sonnerie.
Deux sonneries.
Trois sonneries.
-Ouais, allo ?
-Aaron ?
-Arrêtez les gars, vraiment rendez-moi ce téléphone, c'est tout sauf drôle !
-C'est quoi ton petit nom, ma jolie ?
- Juliette, passe-moi Aaron.
-T'entends ça, Aaron ? Ta petite protégée veut te parler. Je suis enchanté, Juliette, vraiment, mais ça ne va pas être possible, tu n'auras le droit qu'à moi.
-S'il te plaît, passe le moi !
Ma voix s'étrangle, et je ne sais pas si je vais réussir à lui tenir tête longtemps. Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ! Jamais Aaron ne se laisserait faire comme ça, et c'est sa voix. J'en suis absolument certaine, je ne peux pas me tromper, pas sur ça. Parker se contente d'écouter, sans tenter de réagir, et dans tous les cas, je ne suis pas sûre que ça serve à grand-chose.
-Nan. Je vais te laisser, ma belle. Je suis désolée de te l'apprendre mais je vais devoir te bloquer, bloquer ton numéro, et détruire le téléphone de ton Aaron chéri. Tu peux lui dire au revoir si tu veux ? Non ?
Je ne réponds rien, vaincue, à court d'argument. Ce type a l'air timbré, et sa voix n'est pas très nette, alors je me vois mal essayer de le résonner. Alors j'adresse mes derniers mots à celui qui était autrefois celui qui comptait le plus pour moi.
-Franchement Aaron, je te déteste. Et je sais bien que ce sont des conneries, tout ça. Alors, va te faire foutre, vraiment.
-Mais, Beers...
Le bruit de la tonalité annonce la fin de l'appel, et étant donné les paroles du mec, je ne me donne même pas la peine de le rappeler. Il faut juste que je me persuade que ce n'était rien, qu'il ne m'a pas appelé, que je ne l'aie pas entendu. Que je n'aie pas entendu sa voix prononcer le stupide surnom qu'il m'a attribué quand on s'est rencontrés.
Je n'arrive encore pas encore à comprendre le comment de notre amitié. C'était pourtant tellement compliqué de s'accrocher à lui, je n'aurais pas dû. C'était au début du collège, en 6ème et je n'avais pas du tout le caractère que j'ai aujourd'hui. Lui l'avait. Ce n'était pas ce qu'on pouvait appeler une bonne fréquentation. A notre âge, à 11 ans, on ne pouvait se permettre que d'être souriant, naïf et insouciant. Mais pas Aaron.
Je ne sais pas ce qu'il avait, mais la première fois que je l'avais croisé, et qu'il m'avait regardé droit dans les yeux, avec son regard glacial, j'avais compris qu'il n'allait pas bien. Je ne sais pas comment j'avais pu le sentir aussi rapidement, mais on ne pouvait pas être comme ça, en étant un gosse, clairement.
Je m'étais vite fait d'autres amis et j'avais essayé de l'oublier, ce qui n'était pas si difficile, puisqu'il venait une fois sur deux en cours, et quand il était présent en classe, c'était comme s'il n'existait pas. Un vrai mur. Il ne parlait pas. Sans rire, je ne l'avais jamais vu parler à personne, à aucun élève, aucun prof. Il ne mangeait pas à la cantine, on ne savait pas ce qu'il faisait. C'était sûrement le plus grand mystère du collège.
Ce n'est qu'en troisième que je m'étais décidée à lui parler. Le destin m'y avait poussé, je l'avoue, et à cette époque, il y a plus d'un an maintenant, je ne supportais pas quand on m'ignorait. Les professeurs avaient sûrement dû parler de lui en réunion, sur le fait qu'il fallait le reprendre en main, pour qu'il ait un bel avenir. Aaron ne leur facilitait pas la tâche. C'était un petit con, vraiment, et ses pauvres voisins de classe comptaient les jours avant un nouveau changement de place.
Un jour, c'était tombé sur moi. Je ne m'en étais jamais plainte, et ce n'était pas son regard noir qui allait me faire peur ; aussi lui ai-je demandé comment il s'appelait en le regardant droit dans les yeux, comme il avait pu le faire auparavant. Ma question l'avait pris au dépourvu, je l'avais bien vu ; et il avait serré la mâchoire et serré les poings en m'ignorant. Soit il était d'une nature agressive, soit il avait vraiment un caractère de merde. Mais j'avais insisté. Et comme il ne me répondait toujours pas, j'avais fini par arrêter en le fixant. Les personnes comme lui détestent l'attention des gens sur eux, ça se voit.
Il avait fini par murmurer, sûrement contre lui-même, je ne sais quoi. Mais il avait tenu. Et moi aussi. Sauf qu'il avait lâché avant moi. Ce n'était pas une blague pourtant, je ne savais vraiment pas comment il s'appelait, et je voulais le savoir. Le lendemain, après avoir vu que je n'abandonnerais pas aussi facilement, il m'avait lâché son prénom, d'une voix grave. Mes yeux se sont sûrement écarquillés, et j'avais pu voir que ça l'avait amusé, puisque j'avais vu son regard s'adoucir quelques secondes.
Je l'avais laissé tranquille, quelques temps après ça. C'était une victoire, je n'allai pas m'en tenir à ça, mais c'était déjà une belle victoire. Je ne savais pas à quel magnétisme c'était dû, mais j'étais attirée par ce garçon, c'était plus fort que moi. Il fallait que je sache ce qui n'allait pas chez lui.
Et puis, un jour, on avait réussi à avoir une conversation presque complète. Le prof n'était pas là, alors on avait été rapatrié en permanence, mais j'étais toujours à côté de lui. Je l'avais vu hésiter. Il avait plusieurs fois ouvert la bouche comme pour me dire quelque chose, mais se ravisait à chaque fois. J'avais attendu. J'avais vraiment bien fait.
-C'est quoi ton nom à toi ?
-Juliette.
-Juliette, oui, mais Juliette comment ?
-Beers.
Ma voix hésitante l'avait clairement fait sourire, et ça me faisait plaisir de réussir à le faire sourire.
-Bon, et bien, Beers, qu'est-ce qui te donne tant envie de me parler ?
J'avais froncé les sourcils, en entendant mon nom de famille. Je ne sais pas ce que mon prénom a, puisque apparemment toutes les personnes que je côtoie se sentent obligées de me surnommer.
-Je m'appelle Juliette.
-Je sais, tu me l'as dis. Je ne suis pas complètement sourd, Beers. Mais réponds à ma question.
Bon dieu, ce garçon était absolument insupportable. Pourquoi ? Et bien, parce que.
-Je ne sais pas. Comme ça. Et ça a marché. J'ai gagné.
Il avait éclaté de rire, et toute la classe s'était retournée vers nous, en me dévisageant dûrement. Quoi ? Ce n'était pas un psychopathe franchement. Aaron s'était arrêté tout de suite, avait arrêté de sourire et il s'était replié sur lui-même. Il ne me parla plus. J'avais eu le droit aux remontrances de Camille, qui avait assisté à la scène et qui disait d'arrêter de lui parler, que ce mec était bizarre, lunatique et bien trop mystérieux pour être intéressant.
Et j'aurais peut-être dû l'écouter, après ça. Parce que je me retiens de pleurer, je ne veux pas inquiéter Parker. Mais sa voix, sa putain de voix. Elle m'a replongée en enfer.
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