Chapitre 2

Je finis par vite m'ennuyer, toute seule dans cette grande maison vide. Alors je m'installe confortablement dans le canapé, ne me lassant pas de regarder ce qu'il se passe à travers la baie vitrée. Il fait plutôt beau aujourd'hui, ce qui m'étonne étant donné que la fin de l'été approche à grand pas. Je reste absorbée par le ciel tout bleu un long moment avant de me rendre compte que quelqu'un s'acharne avec la porte de ma maison. Je me lève rapidement, sachant très bien que ma meilleure amie devait passer aujourd'hui. Elle claque la porte derrière elle et ne se donne même pas la peine de me dire bonjour, juste pour montrer son mécontentement. Je lève les yeux au ciel, elle ne changera jamais.

Mais elle me permet d'avoir quelques moments qui me paraissent presque agréables et pour ça, je lui suis vraiment reconnaissante. Je pense que sans elle, je n'arriverais même pas à survivre. Elle se met à parler à toute vitesse, comblant le blanc qui s'est crée entre nous, par l'histoire d'un ballet qu'elle a vu dernièrement. Elle ne néglige aucun détail et, malgré le fait que je sois concentrée sur ce qu'elle me dit, je perds vite pied, ne m'intéressant que peu à la danse classique. Camille est comme ça. Souvent, elle trouve un sujet qui la passionne pendant un mois ou deux puis elle en trouve un autre et ainsi de suite. Mais je trouve que là, c'est plus que ça. La voir décrire les danseuses, les décors, la musique avec une étincelle dans le regard m'informe qu'elle aimerait en être.

Elle m'a toujours dit que si elle pouvait changer quelque chose à son passé, elle aurait fait en sorte de pratiquer la danse en étant toute petite. Aujourd'hui, elle trouve que c'est trop tard pour s'y mettre, ses muscles trop développés pour devenir souples. Et elle pense que son physique ne correspond pas à un physique de danseuse classique. J'ai bien envie de lui dire qu'elle pourrait entreprendre tout ce qu'elle veut, qu'elle y arriverait parce qu'elle est forte et que ça ne changera jamais. Mais comment rassurer sa meilleure amie quand on est incapable de faire face à son propre avenir ?

Je n'en reviens pas de l'état dans lequel je suis. Et je me demande sans cesse la même chose. Je sais que je ne devrais pas me torturer l'esprit ainsi, que je devrais me concentrer sur les moments heureux de ma vie mais cette question revient sans cesse dans ma tête. Est-ce qu'il va me revenir un jour ? J'essaie de me raisonner, de me dire de m'habituer à son absence, à ce vide irremplaçable en moi mais mon cœur ne m'écoute plus depuis un moment. Pendant ce temps là, Camille continue de parler et en arrive à la fin de son histoire. Elle porte son plus beau sourire et a le regard brillant. Je l'envie beaucoup, j'aimerais penser à sa manière, pour pouvoir être heureuse.

-J'ai pris ma décision, Juliette. J'ai demandé à ma mère de m'inscrire en cours de danse classique, au mois de janvier. C'est génial, non ?

Elle aura finalement tranché, en décidant que tenter ne lui coûte rien. Je suis fière d'elle. Bien évidemment, je n'arrive pas à en ressentir de la joie, même si je lui dois bien ça. Alors, je force un sourire, pendant qu'elle se demande si j'ai bien entendu ce qu'elle venait de dire.

-Juliette, tu m'écoutes au moins ?

-Oui, tout a fait. Je suis contente pour toi.

Le manque d'enthousiasme se fait ressentir et elle m'adresse un petit sourire crispé. Un silence se pose entre nous, pendant plusieurs minutes. Plusieurs émotions se sont succédé sur le visage de Camille et je sais qu'elle va tenter de me parler. Et que je vais la repousser comme toujours. S'inquiéter pour moi lui causera du tord, elle me traitera comme une petite chose fragile et je ne le supporterai pas. En aucun cas, il ne faut que je lui fasse part des mes sombres pensées.

Elle me prend doucement la main, comme pour amener les paroles qu'elle s'apprête à prononcer. J'ai envie de l'arrêter tout de suite, de la couper pour la lancer sur un autre sujet de conversation mais je préfère me taire. Et j'attends.

-Tu sais, si ça ne va pas, tu peux me le dire, Juliette. Je suis prête à tout entendre.

Je suis quand même assez surprise qu'elle ait osé aller au bout de ses réflexions mais je conserve un visage neutre pour protéger mes émotions.

-Tout va bien, Camille, ne t'inquiète pas pour moi.

Elle relâche ma main, en secouant la tête, résignée. Elle se doutait sûrement que ça ne serait pas aussi simple de me faire parler mais elle comptait sur moi pour me confier. Je me sens nulle de lui cacher mes états d'âme alors qu'elle est une des seules personnes à avoir la capacité de m'aider. Son regard est triste et blessé et elle ne me regarde plus dans les yeux. Je sais que ça n'est pas juste mais je me dois de la protéger, ce serait tellement plus simple si elle comprenait ça. On s'était un jour promis de toujours tout se dire, peu importe les circonstances ou ce que ça concernait. J'étais sûre et certaine de pouvoir tenir ma promesse mais je ne me serais jamais doutée que j'en arriverais là. Et pourtant, ce n'est pas mon genre de revenir sur ma parole. Une promesse est une promesse, ce n'est pas une chose que l'on fait à la légère. Mais je ne peux vraiment pas.

Je voudrais lui dire que j'essaie. J'essaie de me sortir de là, de retrouver le sourire, d'être comme avant. Malgré tout ça, je n'y arrive pas et j'ai juste envie de rester assise pour pouvoir pleurer toutes les larmes de mon corps. Je sais que c'est égoïste, pour le nombre de fois où je me le suis répété mais je ne peux m'en empêcher. Je sais que tout ce qu'elle veut, c'est m'aider, m'aider à redevenir la personne que j'étais pour qu'elle retrouve sa meilleure amie telle qu'elle était avant. Mais il ne faut pas tenter de m'aider, je suis une cause désespérée, personne ne peux m'aider. Elle sait à quel point il était important pour moi, et il a emporté mon cœur et mon esprit avec lui. J'ai parfois du mal à respirer tellement la douleur peut être intense. Tout a été détruit, il ne me reste plus rien.

-Tu sais que tu vas bien finir par devoir me le dire, quand même.

Je sursaute, je n'aime pas le ton cassant qu'elle emploie.

-Tu devrais tout bonnement en parler. Je sais ce que tu es en train de te faire et il faut que tu arrêtes, Juliette. Tu ne vas pas bien. Il faut que tu acceptes ça, sinon ça n'ira plus jamais. Il faut que tu te sortes de là, sinon plus personne ne pourra te sauver !

Pendant un moment, je suis tentée de tout lui dire, de lui avouer ce qui me pèse sur le cœur. Je sais que ça me soulagerait, pour au moins un moment, mais que va-t-elle faire ensuite ? Je me tais toujours, en attendant qu'elle finisse le discours qu'elle a si soigneusement préparé dans sa tête.

-Je te comprends parfaitement. Et je suis là pour t'aider. Je supporte même l'idée qu'il te manque. Je sais que son départ t'a anéanti et que tu ne seras plus jamais la même après ça mais relève toi, bon sang !

L'allusion à mon ex meilleur ami me brûle brusquement la poitrine et je respire profondément pour que ça s'en aille.

-Aller, parle moi, Juliette. Je t'en prie.

-Non.

J'ai chuchoté ce petit mot, assez fort cependant pour qu'elle l'entende. Je sais qu'elle a les larmes aux yeux, qu'elle est en train d'essayer de capter mon regard mais je ne peux pas l'affronter. Je ne veux pas me mettre en colère contre elle. Il faut juste que je garde mon calme et que je lui explique calmement les choses. Je relève doucement la tête, m'attendant à ce qu'elle me fusille du regard mais ce n'est pas le cas. Son regard est désespéré et c'est précisément pour ça qu'elle doit rester en dehors de toute cette merde.

-Non, Camille. Tu dois rester en dehors de tout ça. Et tu devrais t'en aller.

Le fait de lui proposer ça me coûte mais si c'était ça la solution pour la protéger ? Son regard triste m'horrifie mais je m'interdis de réagir tant qu'elle est encore dans la maison. Alors, doucement, elle se lève, et se décide à partir loin de moi, ses longs cheveux blonds tourbillonnant derrière elle. Plusieurs minutes s'écoulent et je reste figée sur place en écoutant seulement le galop effréné de mon cœur, en attendant qu'il se calme. Mais ça ne s'arrête pas, alors je me mets à faire de grands pas en tournant en rond dans mon salon, jusqu'à ce que je me laisse glisser contre un mur.

Toutes les émotions que je tente désespérément de contenir remontent peu à peu. Et c'est insupportable, tellement insupportable que je me mets à hurler.

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