Après

Juliette était juste mal tombée. Elle n'avait pas eu de chance et pourtant la vie lui avait tout donné. Elle était une adolescente parmi un million d'autres et c'était tombé sur elle. Elle était heureuse, trop heureuse, peut-être et s'était retrouvée comme prisonnière d'un mal être qu'elle ne pourra plus jamais contrôler. Le poids de la responsabilité de l'accident restera à jamais sur ses épaules, bien que tous ses proches puissent l'assurer, encore et encore, du contraire.

Elle restera en vie. Par culpabilité. Parce qu'ayant déjà causé de la peine, trop de peine, à sa famille, le suicide restera inimaginable. Elle ne vivra plus jamais. Parce qu'Aaron était son monde, et qu'on ne se remet pas d'une perte aussi énorme. Parce qu'elle a vu la lueur dans ses yeux s'éteindre à tout jamais. Parce qu'elle est certaine que son grand frère lui en veut, de là où il est, et que c'est pour cela qu'elle fait tous ces cauchemars atroces. Parce qu'elle entend sa mère pleurer les soirs où elle ne parvient pas à trouver le sommeil. Parce que Louis l'aime, et qu'elle l'aime aussi, mais qu'elle a l'impression de voir un Aaron plus jeune et que ça lui brise le cœur. Parce qu'à chaque fois qu'elle daigne se regarder dans un miroir, c'est pour se punir, parce que quand elle regarde ses yeux, elle voit les siens. Parce que tout, chaque endroit qu'elle peut connaître, chaque personne qu'elle peut côtoyer, chaque odeur, chaque plat, chaque chose lui fait penser à lui et à tous leurs souvenirs ensemble. Parce qu'elle donnerait tout pour prendre sa place. Parce qu'elle ne veut pas que la douleur s'en aille, parce que si elle s'en allait, c'est comme si elle l'oubliait et qu'elle ne peut pas se le permettre. Parce qu'elle était la princesse d'Aaron et qu'elle n'avait jamais pensé devoir regretter ses moments, tous ses moments de sa vie. Parce qu'il était son frère, son meilleur ami et la personne la plus importante à ses yeux et que plus jamais, elle ne ressentirait ça. Et que même si ça peut paraitre inconcevable d'être aussi proche de son grand frère, lui l'a toujours compris et c'est pour ça que c'en est encore plus douloureux.

Mais ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'Aaron ressent tout ce qu'elle peut ressentir. Qu'il n'a pas su trouver la paix en la voyant dans cet état là. Et qu'il s'est promit de rester à ses côtés, pour se punir de ne plus être là pour la guider. Et quand il la voit en pleurs dans son lit, à l'appeler comme une folle, il se sent inutile, alors qu'il a toujours su la calmer dans ses moments là. Elle ne sait pas qu'il ne lui en veut pas, mais qu'il s'en veut terriblement d'avoir perdu le contrôle de la voiture. Elle ne sait pas qu'il veut qu'elle continue sa vie, qu'elle s'épanouisse, même après l'avoir perdu. Il sait que ça paraît impossible, parce que lui n'aurait pas su vivre sans elle. Elle ne sait pas que c'est lui qui lui a envoyé le rêve. Qui lui a fait s'imaginer la sensation d'apaisement que ça lui procurerait si elle se laissait aider. Il aimerait tellement la serrer dans ses bras, lui laisser une lettre, lui murmurer quelques putains de mots pour la guider. Une dernière fois. Il a entendu son discours à son enterrement et il est en colère contre l'injustice de la situation, la mort aurait pu attendre, pas sa Juliette qui luttait à chaque phrase, à chaque mot, contre les larmes.

« Dans les films, on croit toujours que c'est facile de rédiger un discours pour résumer la vie de quelqu'un. Je ne comprends pas comment ils font. C'est comme si on me donnait un coup dans la poitrine à chaque instant et qu'on m'emprisonnait la gorge de sorte que je ne puisse plus parler. Et ce sont les derniers mots que je vais réussir à exprimer clairement. Aaron n'avait jamais parlé de ses dernières volontés. Bon sang, à dix-sept ans, comment aurait-il pu en parler ? Je ne vais pas savoir résumer sa vie en phrases, parce qu'il me faudrait un livre complet, et peut-être même deux. Pourquoi lui, et pas moi ? Le destin. La vie. La mort. Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que je ne me permettrais jamais d'être heureuse à nouveau, parce je ne peux pas. Parce que... Bon sang, je vais pleurer. Excusez-moi. Parce qu'il était tout. Il était mon meilleur ami. Il était parfait. Il savait quoi dire, tout le temps. Il savait me faire passer des moments inoubliables. On ne choisit pas ses frères et sœurs, mais j'avais l'impression de l'avoir choisi. C'était lui qui me rendait heureuse, il était mon rayon de soleil. On ne vit pas sans soleil, c'est tout ce que j'ai à dire. »

Il s'était désespéré encore plus à la mine atterrée de leurs parents. Quand on l'avait enterré, elle avait déposé une rose et avait attendu, encore et encore devant sa tombe, depuis longtemps rebouchée. Ses parents voulaient la forcer à rentrer, mais elle n'avait pas bougé. Elle n'avait pas parlé depuis le discours et ne voulait pas entendre parler d'après enterrement, où tout le monde s'empiffrerait des confitures de réconfort donné par tous les proches. Camille avait pleuré en voyant sa meilleure amie au bord du gouffre et sentait que plus jamais elle ne la verrait rire ou même sourire sincèrement. Louis essayait de lui parler, du haut de ses sept ans et demi, en lui prenant la main et en lui disant qu'il l'aimait. Mais Juliette restait fixée sur l'inscription de la tombe, comme si quelque chose clochait, comme si elle attendait quelque chose. Elle avait tout perdu. Elle savait que ses parents souffraient autant qu'elle, mais elle n'arrivait pas à relever la tête, tout ce qui se passait dans sa tête n'était que désespoir. Elle y pensait tout le temps. Chaque journée, chaque heure, chaque minute, chaque seconde. A chaque instant, la douleur devenait un peu plus intense, comme si un détail revenait à son esprit et lui faisait sentir à quel point, ce trou béant dans sa poitrine ne pourrait jamais se reboucher.

Il aimerait lui dire qu'il l'aime, qu'il l'attend et qu'une autre vie les attend, une fois qu'elle aura vécu la sienne. Et qu'il se sacrifierait au moins mille fois de plus pour elle. Parce qu'elle vaut tellement plus.

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