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– Glacies ? Ma chérie, tu vas être en retard !

– J'arrive !

Si la jeune femme avait espéré se reposer d'avantage, ce ne fut pas le cas. Ses paupières étaient grandes ouvertes depuis un bon quart d'heure. Son regard était focalisé sur le plafond, vide d'émotion. Comment une personne aussi insignifiante à ses yeux pouvait-elle hanter ses pensées ainsi ? Ce garçon. Joshua. Il l'intriguait, elle sentait qu'il était différent des autres, il y avait quelque chose qui clochait avec lui. Son regard sur elle, ses réactions, ses gestes, tous les petits détails de son visage. Glacies les avait tous mémorisés, pouvant même placer parfaitement le petit grain de beauté qu'il avait au coin extérieur de son œil gauche. Elle se surprenait elle-même. D'habitude, les autres lycéens la laissaient de marbre, ils étaient tous pareil à ses yeux : sans importance. Mais lui. Ce garçon avait attisé sa curiosité et contre toute attente, elle était effrayée par ce sentiment.

Comment devait-elle se comporter à présent ? Du plus profond de son être, Glacies savait qu'elle s'était enfermée sur elle-même, le harcèlement subit la poussait à ne pas se mêler aux autres, elle en avait oublié la façon de se lier d'amitié avec des inconnus. Perdue dans sa réflexion, Lava la tira finalement de ses pensées.

"Glacies...?"

– On va être en retard.

Refusant d'évoquer le sujet auquel elle pensait, l'adolescente se leva et réajusta ses vêtements avant d'attraper le sac devant la porte. Une fois sur son dos, Glacies jeta un œil à sa chambre puis poussa finalement un long soupir tout en franchissant la porte, son amie sur les talons.

"Tu devrais en parler à maman."

Glacies demeura silencieuse. Lava avait raison. Alexya serait la mieux placée pour répondre à ses tourments mais elle ne voulait pas se confier, du moins pas maintenant.

– Prête ma grande ?

– Ouais !

– Au fait ! L'école des petits m'a appelé, il y a un problème de chauffage, ils ne peuvent pas les garder ni cet après-midi, ni demain.

– Ah ? Tu vas les récupérer quand ?

– Pour une heure et demi, quand ils sortent de la cantine.

– D'accord. Tu leur feras un gros bisous à tous de ma part !

C'est sur un dernier bisou sur la joue que les deux femmes se saluèrent. Glacies quitta la bâtisse pour se diriger cette fois vers l'arrêt de bus le plus proche.

– Oui, je pourrais lui en parler mais je ne suis pas à l'aise avec ça maintenant, ça me stresse un peu... beaucoup.

"Tu pourrais l'inviter à être ton partenaire pour la course."

– Oui mais sûrement pas.

"Mais-"

– Le sujet est clos.

Un long soupir de mécontentement résonna dans son oreille droite. Parfois, Glacies avait l'impression que Lava oubliait leur situation, pourtant les coups qu'elle subissait apparaissait aussi sur le corps de Lava mais celle-ci semblait y être totalement indifférente.

Glacies l'admirait pour ça, être persécuté tous les jours à l'école n'arrangeait en rien ses relations sociales, ni sa capacité à en avoir rien a faire. Son corps était tellement abîmé qu'elle aurait honte de le montrer à qui que ce soit, pourtant elle mourait d'envie de connaître un peu plus ce garçon, de découvrir ce qu'il cachait et pourquoi il le cachait. Son envie grandissait de plus en plus, surpassant sa raison. Mais elle ne devait pas craquer. Comment pouvait-elle demander à quelqu'un de s'ouvrir à elle alors qu'elle-même en était incapable.

Trop de fois, Glacies avait essayé d'aller vers les autres, essayer de se faire des amies pour au final être ostracisé à chaque essai. Elle avait trop essayer pour se laisser une nouvelle fois rejeter. Sa dernière amitié en date avait si mal fini que l'ami en question était l'un de ses harceleurs attitré.

Le car fit sont apparition et s'arrêta devant la jeune femme. Les deux s'y engouffrèrent tranquillement et, après avoir payé, s'installèrent sur deux sièges libres. Au second arrêt, une jeune fille monta à son tour et prit place à côté de la lycéenne.

Glacies ne lui accorda aucun regard, aucun mot bien que cette situation lui déplaisait. Sur toutes les places libres, il fallait que cette pétasse s'installe pile à côté d'elle. C'était le genre de personne qu'elle détestait. Il y avait de la place partout mais non, il fallait qu'elle vienne la faire chier.

"Elle s'assoit sur moi cette bouffonne ? J'hallucine elle me piétine quoi ! Sans un pardon ou un mot !"

Glacies fit violence pour ne pas éclater de rire face aux injures de son amie à l'encontre de l'intrus.. Finalement, après plusieurs minutes, l'académie apparut au plus grand bonheur des deux filles qui s'empressèrent de descendre lorsque le moteur du véhicule s'arrêta.

Tous les élèves de la classe étaient réunis face à la grille ; les professeurs firent l'appel avant de les envoyer les uns après les autres dans le bus prévu à cet effet.

Dans une chance extrême, Glacies, qui n'aimait pas spécialement les longs trajets en bus, se retrouva seule sur une place à l'avant. Assise contre la fenêtre, sa tête reposait sur la vitre tandis que ses yeux fixaient l'horizon sous les plaintes de Lava.

Le trajet se passa calmement. Ça l'arrangeait. Elle avait éloigné sa tête de quelques centimètres de la vitre pour ne pas que celle-ci tape contre la glace. Afin de fuir encore un peu plus l'ambiance bruyante, elle inséra ses écouteurs pour la fin du parcours. Rapidement, ses pensées se mélangèrent tandis que ses yeux restaient rivés sur le paysage qui défilait à vive allure. Lentement, une boule se forma dans son estomac. Elle connaissait les professeurs à présent, elle savait pertinemment qu'ils ne la laisseraient jamais faire la course seule. Après tout, elle devait «s'intégrer et arrêter d'être compliquée avec ses camarades.» Une nouvelle fois, la colère monta à la surface en pensant à ses quelques mots. Pourquoi ça devait être forcément de sa faute ? Pourquoi c'était à elle de faire des efforts ? Ça serait trop simple si pour une fois c'était les autres le problème ?

Hésitante, la jeune femme se tourna un peu pour observer les autres élèves à l'arrière entre ses deux sièges. Les regardant un par un, un soupir s'échappa de ses lèvres. Entre les petits caïds qui faisaient les kékés au fond du bus, les intellos à tête de melon qui se prenaient pour des êtres supérieurs et les autres qui n'étaient pas mieux, elle savait que cela serait objectivement la pire séance de sport de toute sa vie. Son regard croisa les yeux verts de Joshua ; il la fixait déjà depuis plusieurs minutes à présent. Un duel de regards s'installa entre eux. Gênée, Glacies rompit le contact en se réinstallant rapidement.

"C'était quoi ça ?"

– Je sais pas... C'était un peu flippant non ? Chuchota doucement Glacies, serrant son sac contre sa poitrine, surprise de sa propre réaction. Son cœur battait violemment dans sa cage thoracique, résonnant dans ses oreilles et ses joues chauffaient de plus en plus.

"Il s'approche."

Comme annoncé, le jeune homme s'installa à côté d'elle dans le plus grand des calme. À l'entente des plaintes injurieuses de son amie, Glacies supposa qu'il s'était installé sur elle. Elle retira un écouteur d'une main légèrement tremblante.

– Tu as perdu le duel.

Sans répondre, Glacies remit son écouteur dans un petit grognement. L'arrêtant dans son geste, Joshua se tourna légèrement vers elle.

– Attends !

– Qu'est-ce que tu veux ?

– Que tu sois ma partenaire pour la course.

– Sans façon.

– Je suis là que depuis ce matin mais je pense ne pas me tromper en disant que personne ne voudrait être avec toi. Les profs ont l'air assez chiant pour faire chier leurs élèves, par conséquent ils te colleront avec un binôme qui ne souhaite pas de toi, donc ils te mépriseront et toi tu seras pas à l'aise, donc tu seras pas en bonne condition et tu louperas ton évaluation sur ce cours parce que ton groupe te fera passer un sale quart d'heure.

– Et donc ? Je dois automatiquement me mettre avec toi c'est ça ? Je ne peux pas trouver mon bonheur dans un groupe déjà formé sous prétexte que je serais méprisée c'est ça ?

– D'accord je reformule... Glacies Salvador , voulez-vous bien être ma coéquipière pour cette fabuleuse course d'orientation qui nous casse les burnes à tous ?

– Non.

– Quoi ? Mais j'ai demandé gentiment ? Aller dis oui, dis oui, dis ouiiiiiiii. Je vais être super chiant si tu dis pas oui tu le sais ça ? S'il te plaiiiit, aller s'il te plait, s'il te plait, s'il te plaiiiii-

– Ok c'est bon ! Stop, tais-toi c'est bon j'ai dis oui !

– Yes ! Je le savais !

La jeune femme lâcha un long soupir d'exaspération en regardant à nouveau par la fenêtre, ennuyée.

" Plus pot de colle, tu meurs ! Enfin bon, les deux bonnes nouvelles c'est que tu es sûr de ne pas être avec Julien et que tu vas pouvoir en apprendre davantage sur ce beau jeune homme au corps d'Apollon."

Glacies haussa faiblement les épaules tout en lançant un léger coup d'œil vers le garçon à ses côtés. Elle observa à nouveau son visage, son nez, ses lèvres, son sourire idiot. Rapidement, les joues de la femme prirent une nouvelle teinte rosée, la poussant à regarder ailleurs. Qu'est-ce qui lui arrivait ? C'était bien trop étrange pour elle. Ce garçon, pourtant inconnu il y a quelques heures, se souvenait d'elle, de son prénom et de son nom de famille mais était gentil qui plus est. Pourtant elle s'en méfiait. C'était toujours les plus gentils qui la poignardaient violemment dans le dos. Perturbée, elle préféra se concentrer à nouveau sur l'extérieur, retirant tout de même ses écouteurs.

Finalement, les minutes s'écoulaient en deux temps trois mouvements. Le véhicule s'immobilisa et les professeurs se levèrent, invitant les élèves à faire de même. Ainsi, la classe descendit du car. Glacies fut la dernière à sortir. L'entièreté des élèves se plaçaient là où les instituteurs l'avaient indiqué. La jeune femme s'écarta un peu du groupe, fixant les professeurs.

– Nous venons d'apprendre que malheureusement il n'y aurait pas de bus avant demain soir, dix-sept heures. Par conséquent, vous avez quartier libre jusqu'à dix-huit heures aujourd'hui et la course d'orientation commencera demain matin, durera toute la journée jusqu'à seize heures trente.

Suite à cette information, l'un des adultes commença à faire l'appel, arrivant jusqu'à Glacies.

À son appellation, des moqueries se firent entendre tandis que les professeurs demandèrent simplement le calme. Discrètement, Glacies se mordilla la lèvre intérieure ; bien qu'elle y était habituée, entendre les railleries sur son nom de famille, sur le nom de famille d'Alexya lui fendait le cœur. Même si elle était habituée à ça, une soudaine envie de pleurer prit le dessus. Mais il était tout simplement hors de question de montrer un seul moment de faiblesse. Alors elle prit une silencieuse inspiration et attendit patiemment le moment où elle pourrait aller se coucher dans sa chambre d'hôtel. L'occasion arriva bien assez vite à son plus grand bonheur. Glacies récupéra hâtivement sa clé au comptoir de l'accueil. Le fait qu'ils soient un nombre impair lui laissait une grande occasion d'être seule dans une chambre ; elle se précipita pour poser la question et fut heureuse lorsque la requête fut acceptée.

"La 452. Au quatrième étage ?! Et bin, heureusement que je n'ai pas de réelles jambes pour marcher!"

Glacies pouffa de rire en se dirigeant vers l'ascenseur. Elle fut rejointe par d'autres élèves qui ne perdit pas une seconde pour la charrier méchamment, la pincer ou lui tirer innocemment les cheveux. Bien évidemment, aucune réponse ne franchissait ses lèvres, aucun coup n'était rendu. Elle semblait calme, comme si elle était insensible à la douleur mais intérieurement, elle fulminait. Si seulement elle pouvait, d'une manière ou une autre les faire taire, pour au moins quelques minutes, ça serait le pied.

Le monte-charge, immobilisé au quatrième étage, permis à la jeune femme de sortir de là. Elle chercha activement sa chambre et, une fois trouvée, s'y engouffra brutalement. Elle referma aussi vite la planche de bois derrière elle. Doucement, elle posa une main sur son épaule droite, grimaçant de douleur. Dans la précipitation, Glacies s'était cogné violemment l'épaule contre le mur à côté de la porte.

– Enfin posé.

Son corps tomba sur le lit comme un poids mort. Glacies ferma les yeux un instant, exténuée.

«Glacies, aide moi, je t'en conjure ! Le monde... Il fait si froid... Par pitié, ne laisse pas ton monde dans cet état, je t'en supplie...»

Ses paupières, à peine fermées, se rouvrirent aussitôt à l'entente de la voix familière. Ses yeux étaient écarquillés. Se redressant en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le regard de Glacies scruta l'ensemble de la pièce, mal à l'aise.

"Qu'est-ce qu'il t'arrive !?"

– Je...sais pas trop... je l'ai encore entendue, cette voix féminine qui me supplie de l'aider...

"Oh... Tu devrais aller prendre une douche, ça te permettrait de te remettre les idées en place. En plus, tu as quartier libre jusqu'à dix-huit heures trente c'est ça ?"

– Dix-huit heures, la course commence demain matin et dure toute la journée... C'est une idée bien débile de nous faire venir ici sans prévoir un moyen de transport pour nous ramener.

Lava acquiesça simplement. Glacies souleva difficilement son corps et se dirigea jusqu'à la salle de bain incluse dans sa chambre. À la vue de la baignoire et des boules de bain présentes dans un petit chariot non loin de la cuve, son regard s'illumina aussitôt. À l'orphelinat, les bains étaient réservés au plus petit alors elle comptait bien en profiter maintenant ! C'est sur ses pensées qu'elle boucha la baignoire et alluma l'eau chaude. En parallèle, elle plaça l'ensemble des boules de bain sauf une et les échantillons en évidence sur le lavabo pour les emprunter, plus tard, à durée indéterminée. Glacies saisit ensuite son téléphone pour prévenir Alexya du programme prévu. Lorsque c'est fait, elle alla fermer la porte de sa chambre sans prendre la peine de fermer à clé. L'étiquette "ne pas déranger" devrait dissuader quiconque de pénétrer dans la pièce.

Rentrant à nouveau dans la salle d'eau, Glacies ferma la porte derrière elle et ôta lentement les morceaux de tissus recouvrant son corps. Les hématomes et cicatrices qu'elle avait sur son corps la laissaient de marbre. Peu à peu, elle laissa ses doigts glisser dessus, parcourant chaque petites plaies refermées par le temps. Si au tout début les mots hideuse et honte lui venaient immédiatement en tête, aujourd'hui c'était le mot fierté qui prenait place dans son crâne. Toutes ses marques, ses bleus, ses blessures, tout cela représentait son combat. C'était la preuve qu'elle était une survivante. Les sentiments qu'elle avait envers les personnes qu'elle aimait la poussait à survivre encore et encore, à ne pas lâcher. Sans eux, elle serait sûrement à deux doigts de sauter dans le vide même si ses bourreaux lui avaient coupé les ailes. Ils étaient sa raison de vivre, sa force, ils lui donnaient tous le courage de continuer, de se battre et de prouver à ses harceleurs qu'il en faudrait bien plus pour la démolir.

Un léger sourire apparut sur ses lèvres pâles. Elle sortit de ses rêveries et se tourna vers la baignoire. Elle coupa l'eau avant que celle-ci ne déborde. Sa main agrippa la boule de bain qu'elle déposa délicatement dans le liquide transparent. En quelques secondes, la bombe se désintégra dans un amalgame de nuances. Glacies fixait les couleurs diluées, fascinées. Elle enjamba la paroi et se laissa lentement glisser, s'installant assise dedans.

L'eau chaude avait comme l'effet d'un antalgique sur son corps. Les douleurs qu'elle ressentait s'évaporaient dans un nuage de fumée. Ses muscles se détendaient et ses yeux se fermaient lentement. C'était si agréable, si soporifique.

**********

Une femme encapuchonnée plaça délicatement un jeu de dame sur un guéridon. Déposant nonchalamment les jetons, elle prit place sur une chaise devant la table ronde. Ses doigts glissaient délicatement sur le jeu en bois, entre les pions.

Bientôt. Le moment que j'attends avec impatience ne devrait plus tarder. Le jour de notre rencontre se rapproche à grand pas, ma chère sœur.

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