20
Nova était seule, debout face au jeu de dame. De colère, elle expulsa, d'un revers de main, le jeu en bois du guéridon. S'installant assise au centre de la pièce, sur son énorme lit, elle attrapa un des oreillers et le colla à son visage, hurlant sa rage dedans. Reposant son coussin, elle laissa son esprit vagabonder dans ses pensées. Nova ne pouvait s'empêcher de ruminer sur la scène qui s'était déroulée quelques instants plus tôt. Elle avait sous estimé sa sœur. À aucun moment elle n'avait imaginé que celle-ci puisse non seulement posséder le cristal Cyclone, mais en plus être en capacité de l'invoquer aussi vite et aussi facilement.
La rage lui monta à la tête, comment une empoté pareil était capable de supporter le Bline ainsi alors que elle, elle avait été laissée pour morte suite à l'absorption du même cristal. Dans un élan de colère, elle congela instantanément un bouquet de roses laissé en décoration sur son bureau. Elle se sentait faible, elle avait fui comme une lâche tout comme elle l'avait fait par le passé. Mais elle n'était pas sa mère, elle ne l'avait jamais été. La reine prit une grande inspiration et expira lentement, mettant en pratique les exercices de respiration que son père adoptif : Edgaros, lui avait enseigné. Doucement, la colère qui l'habitait se dissipa progressivement. Rouvrant les yeux, Nova se jura que c'était la dernière fois qu'elle fuyait lâchement ainsi.
Rapidement, l'atmosphère pesante se retrouva contaminée par une présence animale. La chambre se réchauffa aussitôt. Le bouquet de rose qui était jusqu'à présent gelé fondit pour laisser place à de magnifiques fleurs et une flaque d'eau autour du vase.
– Les fleurs ne t'avaient rien fait.
– Seule, Adjectif. Qui n'est pas en compagnie de quelqu'un d'autre, qui se tient à l'écart des autres. Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans la définition ?
– Le mot définition.
Nova tourna son visage fermé vers l'arrivante. Deux grandes oreilles visées sur le crâne et une queue touffue remuant légèrement dans le bas du dos, il n'y avait aucun doute.
– Qu'est-ce que tu veux ?
– Pourquoi cette tournure d'événement ?
– Je ne comprends pas où tu veux en venir ?
– Tu avais la possibilité de l'enlever dans la contrée nuageuse. Tu avais la possibilité de l'avoir seule alors pourquoi cette mascarade à la taverne ?
– Tharissa tu-
– Tu m'as forcé la main. Tu m'as obligé à tuer mon meilleur ami pour une mise en scène.
– C'est faux et tu le sais ! Moi je t'avais dis de l'assommer suffisamment longtemps pour faire illusion de sa mort. C'est comme avec le soldat devant la grande porte, tu l'as tué ! J'ai paniqué et j'ai dit que c'était un traître. J'aimerais bien à l'avenir que tu me préviennes quand tu fais des coups comme ça !
– Un contrat stipulait de le tuer, j'ai fait mon devoir.
– Il n'y avait pas de contrat pour Héri. Tu étais parfaitement consciente de ce que sa mort allait entraîner mais tu l'as fait quand même ! Le positif dans l'histoire, c'est que tu aurais très bien pu le torturer avant de le tuer mais tu as fait l'inverse...
– J'ai assassiné sa famille et j'ai dû lui cacher la vérité pendant des siècles. Je lui ai menti ouvertement, je lui ai donné espoir sur quelque chose qui n'existait plus, il devait mourir.
– Tu regrettes de l'avoir tué ?
– Évidemment que oui. Même s'il n'a ressenti aucune souffrance, je déteste torturer mes cibles, encore moins celles qui ont fait partie intégrante de ma vie. Je t'aime Nova et je ferais toujours tout pour toi mais torturer les êtres qui me sont chers, c'est hors de question.
– Je t'ai promis de ne pas toucher à ta famille, Tharissa.
Si elle essayait de la comprendre, la lapine réagissait parfois avec contradiction ; comme à cet instant précis, elle affirmait ne pas vouloir faire de mal au personne qui lui était chère mais n'avait eu aucune hésitation à arracher les griffes de son soi-disant ami. Si elle aurait voulu en connaître davantage sur les pensées de la lapine, Nova ne voulait pas engendrer une nouvelle dispute. Doucement, elle demande :
– Dis moi... est-ce que... tu serais capable de tuer Glacies si je n'en ai pas le courage ?
– C'est à toi de le faire mais si jamais tu n'y parviens pas, alors je le ferais sans une once d'hésitation. Mais c'est comme avec toutes les cibles. Un contrat pour assassiner la victime sinon je ne répondrais pas. Fais moi signer un contrat stipulant que je dois l'abattre si tu n'y parviens pas et ça sera l'une de mes missions que je mènerais à bien.
Nova considéra la jeune Thérianthrope, pensive. Elle l'avait rencontré peu après ses 18 ans. Elle était prisonnière de l'ancienne reine, réalisant les fantasmes sexuelles de celle-ci chaque jour encore et encore. Tharissa, malgré ses quelques années de plus, était déjà mercenaire, travaillant déjà pour la reine. Elles s'étaient croisées par hasard dans les cachots, Tharissa avait déposé une de ses victimes dans une geôle et Nova essayait de fuir pour sa vie. La lapine lui avait indiqué le chemin mais avant de pouvoir faire quoi que ce soit, des gardes les avaient interceptées et avait renvoyé Nova dans les quartiers privés des gouverneurs. Chaque semaine après ce jour, Nova essayait tant bien que mal de fuir cet enfer, tombant à chaque fois sur la mercenaire avec qui elle fit connaissance. Finalement, l'objectif de l'ange avait changé. Il n'était plus question de fuir chaque semaine mais de croiser cette créature mi-femme, mi-lapin et continue à l'admirer et l'apprécier. Pourtant, un jour, tout à changer, la situation à été renversée et ce fut Nova qui prit le contrôle du monde, c'était elle la reine et plus personne ne pouvait ni lui faire du mal, ni la séparer des gens qu'elle aimait.
Souriant finalement, elle se releva du lit et se plaça face à Tharissa. Retirant délicatement sa robe, seul ses sous-vêtements cachaient son corps.
– Tu n'as pas une tournée de message à déposer ? C'est bien ça non ? Tu es messagère...
– Messagère, Mercenaire, dans les deux mots, il y a trois syllabes.
– Sais-tu ce qu'on fait au messager qui n'apporte pas les messages à temps ?
– La mort. La torture. La tête coupée. Tu n'aimerais pas être satisfaite par une messagère ?
– Non. Je préfère ton côté mercenaire.
– Mais c'est le job d'une mercenaire. Mentir pour ne jamais se faire attraper.
Lâchant un rire amusé, la lapine ferma la porte de la chambre à clé et retira à son tour ses vêtements. Ne supportant pas la lingerie, la Thérianthrope se retrouva aussitôt nue face à l'ange déchue qui prit soin de l'étudier avec minutie et envie.
– Et que veux-tu que je fasse ? Que je te coupe la peau ? Que je te plaque contre le lit ? Que je t'attache ? Demanda Tharissa en s'approchant de la reine.
L'hybride retira rapidement les derniers bout de tissu de sa partenaire, laissant ses doigts glissés lentement sur la peau blanche de la jeune femme qui frémit à son passage.
– Est-ce que ça t'excite d'être considéré comme une proie ?
Plaquant ses lèvres sur celle de la semi-divinité, celle-ci murmura un simple "si tu savais". Basculant sur le lit, les deux jeunes femmes comblèrent le désir ardent qui réchauffait leur ventre.
Plus loin dans la forteresse, Edgaros était assis à son bureau. Regardant par la fenêtre la mer déchaînée, il s'interrogeait. Est-ce que le garçon qu'il avait engagé à la dernière minute pour délivrer les jeunes humains avait accompli sa tâche ? Est-ce qu'il s'était fait prendre ? Le vieil homme balaya cette pensée d'un revers de main. C'était un expert, ce n'était pas un pickpocket pour rien, la discrétion faisait partie intégrante de lui. Et puis, il devait avoir réussi, Edgaros se sentirait bien mal si ce jeune avorton avait failli à sa mission et l'avait en plus de ça voler. Finalement, il lâcha un petit rire. Ce garçon était bien fidèle à lui-même.
Finalement, il se calma et repensa cette fois à sa fille. Il s'inquiétait, jusqu'à quel degré de folie était-elle capable d'aller ? Avait-il raté son éducation ? Lui qui avait toujours tout fait pour qu'elle ne devienne pas le monstre qu'elle était aujourd'hui, où avait-il raté ? Mais aurait-elle pu finir autrement ? Les années de traumatismes qu'elle avait accumulé à cause de sa solitude et de la torture que la reine d'antan lui avait fait subir n'avait fait qu'augmenter sa haine et sa colère pour les autres. Sa mère l'avait abandonnée, laissée pour morte pour sauver son deuxième enfant envers qui elle avait confié sa croyance. Cet autre enfant était devenu en quelques minutes le nouvel espoir, la seule fille existante aux yeux de la déesse jusqu'à en oublier Nova sans hésitation pour au final mourir quand même. Mais est-ce que se venger sur une enfant changerait les choses ? Glacies n'était qu'un bébé à ce moment-là, elle n'avait rien fait, rien demander. Transférer la colère qu'elle avait pour sa mère envers sa sœur innocente ne fera pas revenir leur mère ni effacer les millénaire de traumatisme que Nova avait. Mais c'était en partie sa faute et il le savait. Jamais, il n'aurait dû lui dire qu'une flèche empoisonnée ne pouvait venir à bout de la déesse.
À présent, il devait la convaincre de tout arrêter, de tout stopper avant qu'il ne soit trop tard mais la seule personne capable d'arrêter ce carnage n'était autre que Glacies elle-même. Il devait la voir, il devait la rencontrer, lui expliquer, il devait la mettre en garde mais aussi la convaincre que sa petite Nova n'était pas le monstre que tout le monde voyait.
Observant le cadre photo sur son bureau, il soupira. Il ne comprenait pas comment une petite fille aussi souriante et heureuse avait pu sombrer aussi bas alors qu'il avait toujours été là pour l'aider et la soutenir. Finalement, il se remit à sa paperasse, réfléchissant en même temps à un moyen de tout arranger. Face à lui étaient étalées plusieurs feuilles, plusieurs couleurs les décoraient. Un plan pour arrêter son enfant. Il avait plusieurs idées mais une seule était la plus efficace : prendre la vie de Nova. C'était la pire mais en même temps la meilleure idée. Ça arrêterait tout à coup sûr évidemment, mais qui pourrait le faire ? Lui n'aurait pas le courage et si Glacies venait à l'assassiner, une guerre exploserait entre les adeptes de l'anticit et ceux avec l'angus.
Caressant délicatement le dos de son amante, Tharissa finit par demander.
– Dit ? C'est quoi cette tâche en forme de puzzle sur ton poignet ?
– Sur terre, on appelle ça un tatouage. C'est un dessin permanent fait directement sur la peau avec de l'encre spéciale.
– Et ça sert à quoi ?
– Sur terre ? Il y a plusieurs raisons pour en faire un. Dans mon cas, c'est un fragment de carte.
– Un fragment de carte ?
Riant face à la mine médusée de sa partenaire, Nova reprit :
– Avant de me laisser pour morte, ma chère mère à graver sur mon poignet et celui de Glacies la carte du Royaume de Palzya où elle a décidé d'aller se planquer. En clair, je n'ai en ma possession, qu'une partie de la carte, il me manque certaine île, dont celle où cette traînée se cache. Un hologramme apparaît si les deux tatouages se touchent.
– Comment tu sais tout ça ?
– Edgaros m'a tout raconté avant que je tue cette bouffonne de reine.
– D'accord.
– Je suis trop dégoûté, j'ai parlé comme les méchants dans les séries, j'ai perdu du temps bêtement parce que cette connasse à commencé à parler souffrance, ça me saoule !
– Pourquoi est-ce que tu veux absolument cette carte ? Tué la reine d'antan ne te suffit pas ?
– Bien sûr que non ! L'assassinat de la reine d'avant était la première étape dans mon plan.
– Quelles sont les autres ?
– La seconde est de trouver Glacies vivante, indemne ou non, pour avoir accès à la carte du royaume voisin. Et la troisième est d'aller là-bas pour confronter ma mère. Je sais que tu m'avais dis que les quatre joyaux conférait un voeu à son porteur et qu'ainsi je pourrais parler à la déesse comme ça mais je préfère avoir un autre moyen de la contacter au cas où, si ça ne fonctionnait pas.
– Et tu vas la tuer ?
– Non.
– Pourquoi alors ?
– Pour comprendre. Pour avoir des réponses.
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