8 - Deux hommes puissants... et moi
Le ton de l'officier ne contient aucune chaleur. Il ne semble pas apprécier beaucoup l'Aïrin, ce qui me paraît étonnant en soi : l'héritier-lié n'est-il pas la personne la plus agréable qui soit ? Mais après tout, je ne sais rien des relations entre l'Agathos et les troupes régulières d'Ether.
« Colonel, répond l'Aïrin avec toute la courtoisie du monde, je suis ravi de vous accueillir de nouveau sur l'Agathos. Je suggère de nous asseoir avant de discuter. Puis-je vous offrir quelque chose ?
— Sans façon.
— Bien. Faïn, Tiri, pouvez-vous nous laisser ? »
L'intendant acquiesce avant de se diriger vers la porte, suivi de la jeune femme qui porte une moue visible. Le petit groupe s'installe, Dan'Talar au centre, Dan'Barasne à sa gauche, le colonel Alkion à sa droite. Je me glisse à deux places de mon supérieur, essayant de me faire oublier. Ce qui est tout de même le comble quand on sait que je suis la cause de sa présence sur le croiseur !
Je ne l'ai vu qu'une fois jusqu'à présent et encore, de très loin, le jour de mon intégration. Il me paraît particulièrement imposant, surtout pour un radiant. Je ne devrais pas être surprise qu'il connaisse visiblement l'Aïrin, surtout si l'Agathos s'occupe à sa manière de la sécurité d'Ether, en refermant les brèches... J'aimerais bien savoir, d'ailleurs, comme procèdent les membres du conseil de l'Agathos, mais ce n'est clairement pas le moment de le demander.
« Vous connaissez déjà la teneur de ma requête », reprend Dan'Talar.
Il se penche légèrement pour m'adresser un sourire ; je rougis sous son attention. L'héritier-lié de l'Agathos est décidément un jeune homme particulièrement charmant. Je fronce les sourcils, en songeant que je ne devrais pas me laisser aller à ce genre de considérations : je ne représente pas grand-chose vis-à-vis de Dan'Talar, une personnalité pour ainsi dire légendaire. Je suis juste une radiante parmi tant d'autres, sans rien d'exceptionnel malgré ce que semble penser ce mufle d'Eïdo... je veux dire, Dan'Anagké.
Le colonel n'est sans doute pas convaincu, même si sa moustache cache une bonne partie de son expression.
« Je reconnais que je ne suis pas forcément bien placé pour m'exprimer sur les talents de la cadette – patrouilleuse Kirrista, mais elle fait partie de mon effectif. Quelles que soient les relations que vous entretenez avec le gouvernement d'Ether, vous devez comprendre que cette réquisition s'assimile à de l'ingérence. »
Je frémis, rentrant mon cou dans mes épaules.
« Et j'espère que vous ne vous basez pas sur l'éventuelle réponse de la cadette-patrouilleuse ; sa parole ne possède aucune valeur et elle ne se trouve pas en droit de l'engager. »
J'ai la sensation de me liquéfier sur place. J'essaie frénétiquement de me rappeler ce que j'ai bien pu dire à l'Eïrin quand il a mentionné mon éventuelle intégration. Mon esprit doit avoir été totalement nettoyé avec le plus fort détergent connu...
« La cadette-patrouilleuse Kirrista n'a pris aucune décision officielle. Je me suis juste enquis de sa position personnelle sur la question, qui n'engage qu'elle. »
Le colonel se renfrogne, cherchant une faille au raisonnement de l'Aïrin. Il n'en trouve sans doute aucune, car il se contente de me lancer un regard noir avant de se tourner de nouveau vers Dan'Talar :
« En cas de doute sur la possibilité de ce transfert et son règlement administratif, poursuit toujours aussi calmement le jeune homme blond, je vous conseille de prendre contact avec Marihel Arvo. Elle nous supervise au niveau gouvernemental. »
Le colonel Alkion ne s'adoucit pas pour autant, tout au contraire :
« Je ne doute pas une seconde que vous aurez gain de cause, en dépit de tous les facteurs qui parlent contre vous : votre jeunesse, votre expérience probablement insuffisante, votre propension à garder à votre bord des individus qui représentent un danger manifeste pour Ether et dont la présence ne devrait en aucun cas être autorisée dans le périmètre d'aucune ville de la nation...
— Colonel, ce sont ces individus, comme vous le dites si bien, qui nous permettent de venir à bout de dangers qu'aucune neutre ou radiant ne pourrait affronter.
— Certes. Mais autant que la cadette-patrouilleuse sache dans quoi elle met les pieds. »
Mes mains se crispent sur mes genoux ; le tissu de ma combinaison se froisse sous mes doigts. J'avoue que la mention de ces « individus dangereux » fait monter en moi un doute qui n'existait pas auparavant. L'Aïrin doit sentir mon trouble, car il me lance un regard rassurant, assorti d'un léger sourire. Il possède un réel charisme, qui ne peut laisser personne indifférent – sauf peut-être quelqu'un de buté comme le colonel. Le visage brûlant, je contemple le bout de mes bottes.
« Qu'en pensez-vous, Len'Kirrista ? »
Sa question me prend au dépourvu ; je relève brusquement la tête et j'ouvre deux ou trois fois la bouche, incapable de donner une réponse. Finalement, je prononce avec un filet de voix :
« Est-ce que... c'est vrai ?
— « Dangereux » est un bien grand mot. J'avoue que certains des membres de mon conseil emploient des talents qui sont habituellement liés aux Profondeurs. Mais leur tâche est de réparer les dégâts effectués par leurs confrères. »
Est-ce qu'il veut dire qu'il y à bord de l'Agathos... des abscurus ? Ces mages noirs sont considérés comme des êtres maléfiques, mais s'ils emploient leurs talents pour refermer les failles... Je repense à Atina Darken et au sentiment de malaise que je ressens près d'elle alors même qu'elle se montre sincèrement amicale. Et à Dan'Anagké, en train de chevaucher en plein ciel cette créature de cauchemar.
Comme tous les autres habitants d'Ether, j'ai vécu dans la terreur et la haine de ceux qui symbolisent les pires instants de notre histoire : la chute d'Almaia, les attaques lancées sans relâche contre nous... Ils ont commis de terribles erreurs, mais ils ont aussi été traqués et éliminés sans pitié dans les années qui ont précédé l'établissement d'Ether. Être abscurus est une malédiction que l'on porte dans son sang, qui vous marque dès la naissance comme un être à la limite entre l'ombre et la lumière – voire un peu plus proche de l'ombre.
Si plus personne ne se découvre abscurus à Ether, c'est probablement parce que tous ceux qui possédaient ce don ont été exécutés ou exilés sur Almaia, où ils ne pouvaient exister sans l'aide des Profondeurs. Quand ils n'ont pas été tués. Des actes de sauvagerie et de rancœur qui semblaient sans doute compréhensibles dans le feu du moment... Il fallait survivre, à n'importe quel prix.
Mais cela ne signifie pas forcément que c'était bien.
L'Aïrin persiste à me fixer, de ses calmes yeux gris.
« Ce n'est pas parce qu'on ne comprend pas un phénomène qu'il est forcément dangereux. Mais traité comme tel, il peut le devenir. »
J'acquiesce presque imperceptiblement. Je vais peut-être le regretter, mais peu importe :
« Dan'Talar, si le colonel donne son accord, je suis prête à vous faire confiance. »
_____________________________________
Les choses vont vite pour notre petite Prismè, mais je ne peux hélas perdre trop de temps sur les détails. Vous aurez des informations sur le contexte au fil du temps, qui répondront je l'espère à vos questions. Pour le prochain chapitre, nous retournerons – ou plutôt, nous irons – sur Strata !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top