50 - L'Antre des Abscura
Au bout d'un long moment, durant lequel je n'entends que le léger vrombissement des moteurs du véhicule, nous nous rangeons enfin dans ce qui semble être un garage. Après être descendus, nous quittons la voie de circulation pour nous retrouver de nouveau dans l'espace principal de la ville. Je constate d'emblée que nous ne sommes plus dans la même partie de l'Anthracité.
Nous émergeons devant les soubassements d'un immense bâtiment, sans doute taillé comme les autres dans les profondeurs du massif rocheux. La façade présente une courbure convexe, comme si l'intérieur formait un vaste anneau. Le niveau où nous nous trouvons se situe en contrebas de la rue ; au-dessus de notre tête, des passerelles donnent accès à l'entrée officielle. Même si, d'où nous sommes, je ne vois pas grand-chose, je contemple l'ensemble avec stupeur... C'est gigantesque. Presque aussi grand qu'une petite ville d'Ether ! Au regard de Teheros, il doit s'amuser de mon étonnement.
« Voici notre centre limbian. Il va falloir que vous suiviez certaines consignes si vous ne voulez pas être affectée. Ici, nos scientifiques manipulent des énergies limbianes d'une puissance inouïe. En tant que radiant, vous pourriez être affectée. »
Un frisson parcourt mon dos... Et si c'était ce qu'il projetait de faire... annihiler mon énergie ?
Non, je suis trop imaginative ! S'il nourrissait de sombres desseins envers moi, pourquoi me traiterait-il comme une invitée de marque ?
« N'ayez crainte ! Nous allons emprunter le circuit protégé. Vous ne risquerez rien et vous aurez une vue parfaite sur nos différentes activités. »
Teheros nous mène vers un ascenseur qui nous emporte en quelques secondes au niveau du hall d'entrée, où se trouve l'accueil des visiteurs extérieurs.
« Vous êtes la toute première Etherienne à qui nous faisons l'honneur de cette invitation ! » remarque-t-il avec un petit sourire que je sais comment interpréter.
Il se tourne vers Lirka :
« Bien entendu, il y a Alankilia et son frère... mais étaient-ils réellement Etheriens ? Ces deux enfants n'étaient que des outils pour votre peuple ! »
Je serre les poings, prêt à lui rappeler qu'il n'a pas traité Eïdo d'une meilleure façon, mais une fois encore, je m'oblige à garder le silence. Dès notre entrée dans le hall, il se dirige vers une armoire qu'il ouvre pour en tirer trois paires de lunettes aux verres grisés.
« Certains phénomènes lumineux risquent de blesser les yeux si on les regarde sans protection. Mieux vaut se prémunir contre leurs effets. »
Je chausse la paire qu'il me tend. Quand je les place sur mon nez, je ne distingue plus qu'un monde assombri parcouru d'étranges ombres mouvantes. Je préfère les retirer et les glisser dans ma poche pour le moment. Après tout, je ne vis pas sous terre, mais dans un ciel très lumineux, auquel les Etheriens sont habitués depuis des générations.
La porte vers laquelle il m'entraîne donne sur une galerie vitrée, comme si nous marchions dans un tube de verre, au-dessus des différents laboratoires du site. Sans doute ne m'en montrera-t-il qu'une petite partie – ce qu'il voudra bien me laisser voir. Quand nous nous avançons, je découvre la première salle d'expérimentation en contrebas. Des gens en combinaisons blanches s'affairent autour de cinq arches de métal au centre desquelles se dressent de vastes miroirs. Ou c'est du moins ce que je crois, avant de regarder plus attentivement : à mon grand étonnement, je m'aperçois qu'il s'agit de déchirures vers les limbes... La paroi intérieure des arches se hérisse de mécanismes divers qui doivent les créer et les stabiliser. Elles s'étendent sur à peu près deux mètres de large, semblables à des taches gris pâle bordées de remous incandescents, qui ondoient comme la surface d'un lac sous le vent.
Quand je comprends ce qui se trouve devant moi, je reste figée de stupeur. C'est impossible... Personne ne peut commander à point aux limbes ! Je me retourne vers Teheros :
« Mais comment... »
Mes lèvres demeurent engourdies par l'étonnement ; je peux à peine aligner deux mots. Le maître de l'Anthracité se place à côté de moi, les deux mains sur la paroi :
« J'ignore ce que racontent vos livres d'histoire, mais l'énergie des limbes a longtemps été considérée comme une bénédiction pour l'humanité. Avant qu'elle soit découverte, nous usions des énergies fossiles qui polluaient notre monde... puis nous avons compris qu'en produisant certains types de vibrations, nous étions capables d'ouvrir la voie vers d'autres dimensions. Des dimensions où les lois physiques étaient totalement différentes des nôtres... et que la mise en contact de nos deux mondes produisait de l'énergie... »
Il se tourna vers moi, avec un visage serein :
« Bien entendu, tout le monde a trouvé cette solution miraculeuse. Quelques spécialistes ont bien évoqué des risques importants, mais les dirigeants autant que les particuliers ont refusé de les prendre en compte, en les estimant peu probables... Notre vision a posteriori leur donne raison, mais en leur temps, ces craintes semblaient absurdes ! Quand la catastrophe est arrivée, par contre, personne n'a voulu en assumer la responsabilité. »
Il me serait facile de me laisser bercer par ses propos, qui ne manquent pas de pertinence. Malgré tout, je demeure sceptique.
« Il y a sans doute une part de vrai dans ce que vous racontez ! Je veux bien le croire... Mais cela signifie que vous vous montrez imprudent en jouant de nouveau avec le feu.
— N'ayez aucune inquiétude à ce sujet. Nous respectons toutes les précautions requises, en appliquant des procédés plus stables, qui nous permettent d'envisager l'utilisation de l'énergie limbiane, en toute sécurité cette fois ! Elle nous permettra de recréer la civilisation à la surface d'Alamïa. »
Je dois reconnaître que cet homme est brillant... Je commence à comprendre pourquoi il m'a gardé en vie, et surtout, pourquoi il me traîne à travers ces somptueux laboratoires. Je me surprends à observer avec fascination les taches de limbes qui palpitent dans leur encadrement et les personnes en combinaison intégrale qui gravitent autour. Tout à l'air si sérieux... si contrôlé... Même si je ne sais toujours pas quel est le rôle de Teheros dans cette affaire, je dois avouer que je suis tout près de lui accorder une certaine confiance.
Malgré tout, une part de moi – la plus sceptique, sans doute – m'en empêche :
« Je veux bien vous croire... Mais il y a des questions qui continuent de me perturber. Comment se fait-il que les villes d'Ether subissent des attaques de démons et que des failles s'ouvrent régulièrement dans les cieux ? Qui a envoyé des semences sur le camp des Draken ? »
Et encore, à cause de la présence de Lirka, j'évite de parler de ce qu'il fait subir à Eïdo ; après tout, sa vie aussi est entre ses mains, et il est bien trop fragile à l'heure qu'il est pour se défendre. Je fais face à Teheros, plongeant mon regard droit dans le sien :
« Vous ne cessez d'agresser mon monde et ses alliés. Vous comprendrez que je peine à vous croire ! »
Teheros me regarde un moment en silence... puis un petit sourire apparaît au coin de ses lèvres, étrangement appréciateur :
« Bien sûr... je peux tout à fait comprendre votre réaction. Venez, nous allons poursuivre cette visite... J'ai d'autres choses à vous montrer ; nous pourrons parler en route. »
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