44 - Les enfants des Ulradiants


Lirka reste un moment silencieuse, absorbée par le contenu de son plateau. Elle semble tendue, un peu gênée, mais aussi terriblement triste. Au bout d'un moment, elle reprend la parole :

« Prismè, il ne s'agit pas d'une histoire très agréable. Ni très gaie. Vous allez sans doute apprendre des choses... assez désagréable sur le monde d'où vous venez. Je ne prétends pas que le mien est meilleur ou plus juste ! Mais au moins, nous ne prétendons pas qu'il l'est ! »

Elle pousse un soupir, avant de commencer son histoire :

« Je suis née à Ether, tout comme mon frère jumeau, Lerno. Nous n'étions pas des enfants ordinaires. Notre naissance a été planifiée pour servir Nimbula, la plus grande ville d'Ether. »

Ma respiration se coupe : ma mère y a travaillé dans sa jeunesse !

« Notre mère s'appelait Lunia. C'était une Ulradiante. Nous ne l'avons connue que sur des holo-clichés, parce qu'elle est décédée en nous mettant au monde. »

Même si son ton demeure neutre, mon cœur se serre à cette nouvelle :

« Je suis vraiment désolée...

— Je n'en éprouve qu'une légère tristesse. Je ne l'ai pas connue. Elle possédait des cheveux d'un bleu très vif, comme ses yeux, et d'immenses alates de la même couleur. »

Tout comme l'une des mèches qui encadrent le visage d'Eïdo...

« Malgré tout, elle ne pouvait pas voler... parce qu'elle demeurait prisonnière depuis son enfance de la salle des machines de Nimbula. C'était son énergie qui alimentait les générateurs d'iridescence de la ville ! »

A cette nouvelle, j'éprouve un long frisson d'horreur et d'incrédulité.

« Les générateurs permettent d'amplifier cette énergie, mais elle est tirée du corps même des Ulradiants. Pour Ether, nous ne sommes que des outils, Prismè. »

Mon sang ne fait qu'un tour :

« Ce n'est pas possible, tout cela est faux, l'Anthracité vous a menti ! »

Malgré mes protestation, je ne peux m'empêcher de songer aux allusions d'Eïdo et d'autres membres du conseil de l'Agathos. Je ne sais plus que penser...

« Ce n'est pas grave, Prismè. C'est normal que vous refusiez d'accepter mes paroles... Cela doit être très compliqué pour vous ! Dans un premier temps, je vous demande juste d'écouter la suite de l'histoire. Vous verrez par vous-même ce que vous choisissez de croire ! »

Je baisse les yeux vers mon plateau et plonge ma cuillère dans l'entremets rose. Pour me donner une contenance, je le déguste, mais j'ai l'appétit coupé. Je ne saurais même pas décrire le goût de cette substance sucrée !

« Continuez, Lirka. Je vous écoute. »

Ma voix n'est qu'un souffle, mais mon interlocutrice semble suspendue à mes réactions.

« Bien. En raison de la mort de notre mère, c'est notre père qui a été renvoyé à Nimbula pour alimenter le générateur d'iridescence. Nous ne l'avons jamais croisé. Nous avons été élevés dans une sorte de laboratoire... Nous ne manquions de rien, mais nous restions très isolés, sans amis, sans compagnons de notre âge. On nous éduquait, mais juste pour nous occuper. Cela ne nous servait à rien puisque nous étions destinés à servir de sources d'énergie ! Nous ne pouvions même pas voir la lumière du jour. Nous aurions pu aussi bien être des animaux retenus dans une ménagerie. Je n'avais que Lerno, et Lerno n'avait que moi... »

Sa voix tremble légèrement, et je peux imaginer à quel point son enfance a dû être triste et solitaire... Mon cœur se serre à cette idée.

« Quand nous avons quatre ans, une jeune femme pas beaucoup plus âgée que vous est arrivée à Nimbula pour veiller sur notre santé. Elle s'appelait Adera Kirdarin. A cette époque, notre apparence ne ressemblait pas à cette que nous montrons à présent. Nous avons gardé la couleur de nos yeux, mais nos cheveux étaient pour moitié moitié bleus, et pour moitié rouges. Comme les deux mèches d'Eïdo. J'aimais les garder court, tandis que Lerno les préférait plus longs. »

Un petit sourire joua sur ses lèvres :

« Nous différions aussi par le caractère : mon frère a toujours été plus réservé que moi... timide même ! Je possédais plus d'énergie et d'audace. La première fois qu'Adera nous a rencontrés, elle a pris Lerno pour moi, et inversement ! »

Elle baissa les yeux, sans doute pour dissimuler son émotion.

« Tout le monde nous traitait comme des objets, certes précieux, mais sans se soucier de ce que nous pouvions ressentir. Adera a été la première à nous traiter comme des enfants. En tant qu'Ulradiants, nous avons très tôt réussi à créer des alates, très larges, avec plus d'une dizaine de lames de chaque côté ! Une bleue et une rouge, comme pour notre chevelure. Adera nous a a encouragé à les faire apparaître et à les utiliser. Elle a même réussi à nous faire sortir et nous entraîner à voler avec elle. Nous ne partions jamais très longtemps, mais nous vivions avec elle les moments les plus heureux de notre existence. Adera adorait voler, et elle nous avait transmis cette passion. Les deux années qu'elle a passées à nos côtés nous ont paru bien plus belles que tout le reste de notre vie ! »

Ses yeux brillaient à ces souvenirs, mais je crois y repérer une moiteur suspecte.

« Et puis... un drame est arrivé. Alors que nous étions en vol, quelque chose a surgi... Une énorme créature volante. Une conjuration. Nous ignorions alors de quoi il s'agissait... mais elle ressemblait à une femme au longs cheveux qui possédait de grandes ailes et des mains gigantesque. Elle s'est emparé de Lerno et de moi-même... et Adera n'a rien pu faire pour l'en empêcher ! »

Ce récit me choque profondément. Si cette histoire est vraie, je comprends mieux pourquoi ma mère ne vole plus. L'expérience a dû la traumatiser !

« Un homme chevauchait cette créature : celui qui l'avait appelée... Le tout premier conjureur que nous avons rencontré... et le dernier de son espèce. Il se nommait Jalavian. Il nous a ramenés ici, dans l'Anthracité. C'est là que nous avons fait la connaissance d'Hederu, à qui nous avons été confiés. Nous n'avions j'avais vu une personne comme elle, avec une peau aussi sombre. On nous avait toujours dit que les gens qui résidaient dans les profondeurs ne montraient plus rien d'humain, mais elle nous a traité avec beaucoup de douceur. Nous avions été effrayés d'être arrachés à Adera et emporté dans un lieu inconnu, mais vivre enfermé ici ne changeait pas grand-chose par rapport à notre vie précédente, et nous avions Hederu. Jalavian venait souvent nous voir... C'était déjà un vieil homme, mais encore vigoureux et très digne. Un jour, il nous a annoncé qu'il nous avait choisis comme héritiers, et que nous devions le considérer comme notre père. »

Elle sourit gentiment :

« Pour moi, c'était une magnifique nouvelle. J'avais toujours voulu une famille. Là, ce n'était pas seulement quelqu'un qui se montrait gentils avec nous... mais qui voulait vraiment de nous... comme ses enfants. »

Je peux comprendre son émotion. L'enfance des jumeaux a été horrible ! Lirka semble avoir trouvé un certain bonheur au sein de l'Anthracité, alors pourquoi Eïdo - Lerno à cette époque – s'en est-il enfui ?

« Il venait nous voir tous les jours pour nous apprendre tout ce qu'il y avait à savoir pour devenir conjureur. Quand nous avons fêté nos dix ans, il a décidé que nous étions devenus assez fort pour recevoir des sceaux ; en l'absence de conjureurs nés, seules les Ulradiants le pouvaient, car ils possédaient l'énergie suffisante pour alimenter les sceaux.

— Les sceaux... Ce sont les symboles qui figurent sur votre dos ? »

La jeune femme acquiesce :

« Oui, c'est une opération longue et délicate. Chaque sceau représente un type de conjuration. Ce sont des êtres qui appartiennent à une autre dimension, différente des limbes. Quand nous envoyons notre énergie dans le sceau qui correspond à l'un de ces êtres, il se matérialiste partiellement dans notre monde, ce qui explique son aspect brumeux. Les sceaux doivent être apposés un par un, et par un processus très long et assez pénible, et difficile à décrire. Malgré tout, j'étais ravie de pouvoir enfin marcher dans les traces de mon mentor ! »

Elle n'a visiblement pas envie d'entrer dans les détails à ce sujet, et je respecte sa volonté.

« Et ce n'était pas le cas d'Eïdo ? »

Le visage de la jeune femme se ferme ; je me prépare à écouter la suite de l'histoire.

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