27 - Dans l'enclave

Je suis déjà en train de descendre de la passerelle, quand je pense à me retourner pour voir si Eïdo me suit. Toute à mon admiration du paysage, j'ai presque oublié mon voisin durant le vol. Il n'a rien fait non plus pour se rappeler à mon attention. Je l'observe en silence, essayant de déterminer si cette visite sur la surface semble l'affecter plus que de raison... Mais il est fidèle à lui-même.

Insondable.

Je soupire avant de rejoindre Atina, évitant ostensiblement Izel. Je n'ai pas l'intention de lui pardonner - pas tout de suite, du moins – le sale coup qu'il m'a infligé. La femme brune se tourne vers moi :

« C'est la première fois que tu viens à la surface, n'est-ce pas, Prismè ? »

J'acquiesce gravement :

« Pour les gens d'Ether, la surface d'Almaïa a la réputation d'être un véritable enfer. Je ne savais même pas que des gens y vivaient... On ne nous parle que de ceux des Profondeurs... »

Elle soupire un peu tristement :

« Je ne peux pas dire que c'est totalement faux... Malgré tout, nous parvenons à y mener une vie qui n'est sans doute pas normale selon vos critères, mais nous y trouvons une certaine beauté. »

Elle observe un temps de silence, avant de poursuivre :

« De toute façon, tu ne verras pas grand-chose ici... Nous bénéficions d'une relative sécurité. »

En nous approchant de la palissade, nous nous retrouvons en face d'une énorme porte barricadée, taillée dans des troncs épais, à l'écorce d'un étrange gris-noir. Je sais que leurs dimensions n'ont rien d'anormal, même si sur les villes flottantes d'Ether, aucun arbre ne pousse aussi haut, bien entendu ! C'est leur couleur qui m'étonne et m'inquiète vaguement. Tout comme leur texture : ils sont hérissés de petites pointes. Il ne doit pas être évident de travailler ce bois.

« On le surnomme "acier végétal" », explique Atina, tandis que l'énorme porte s'ébranle.

Le clan ne doit courir aucun danger derrière des murs si redoutables. À moins, bien sûr, que la menace n'arrive du ciel.

Un point m'étonne, malgré tout :

« Pourquoi ne pas avoir trouvé refuge dans la ville, plutôt que rebâtir un camp complet ?

La mage esquisse un léger sourire :

« En bâtissant complètement notre camp fortifié, nous sommes maîtres de notre terrain. Nous ne restons pas tributaires de bâtiments en ruines dont nous ignorons les failles et qui seraient bien plus durs à restaurer qu'à reconstruire. »

Je hoche la tête en signe de compréhension – même si je ne suis pas sûre d'avoir tout saisi. Entre temps, la porte s'est suffisamment écartée pour nous livrer passage. Mon cœur bat un petit peu trop fort à mon gré... Pas vraiment par peur, plus par excitation !

Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais ce que je trouve m'étonne au plus haut point. Il n'y a aucune maison, pas même les tentes que je pensais voir : devant moi s'étend un paysage vallonné, entrecoupé par endroits par des abris de bois... mais aucune demeure identifiable. Chaque portion de terrain est couverte de cultures soigneusement entretenues.

Ce n'est qu'au bout d'un moment que je réalise que les collines sont en fait des toits, celles d'habitations creusées dans le sol... Ce qui est logique, si certaines formes de vie dangereuses peuvent survenir du ciel.

Je me tourne pour regarder avec curiosités les gens qui nous ont ouvert. Ils sont couverts de sortes de cuirasses d'une matière difficile à identifier : de la carapace, de l'écorce ? Le tout a été découpé en lamelle et attaché sur des supports plus souples. Le casque dissimule leurs traits, mais le type physique de certains d'entre eux ne semble pas fondamentalement différent de celui des habitants d'Ether – les radiants mis à part. Au peu que je vois, l'un a la peau sombre et les yeux noirs, l'autre paraît plutôt clair de teint avec des iris d'un bleu-gris transparent. Du passage qui conduit sous la plus grande des structures émerge déjà un comité de bienvenue. L'homme qui les mène doit être apparenté à Atina ; en milieu de quarantaine, il semble trop jeune pour être son père, et sa tenue – une combinaison renforcée et rapiécée – n'indique pas grand-chose de sa position. À la ceinture, il porte ce qui ressemble à un foudre, mais d'un modèle pour le moins... rustique. Sans doute son frère aîné, ou peut-être un cousin. À côté de lui se dresse une vieille femme dont les cheveux blancs sont relevés en une coiffure compliquée, agrémentée de plume, de cristaux, de morceaux d'élytres et autres babioles décoratives, tout comme sa grande robe formée d'un patchwork de divers tissus. La dernière personne, à peu près de l'âge de Cipher, arbore une crinière d'un roux éclatant qui me fait regretter ma pâleur évanescente. Je ne peux m'empêcher de songer à Kara ; une vague de nostalgie m'envahit. Mais la nouvelle venue ne possède pas le caractère avenant de mon amie. Ses yeux dardent sur nous un regard vert particulièrement intense. Elle porte le même type de cuirasse que les deux gardes, le casque en moins. Un bandeau de pièce de métal retient sa chevelure indisciplinée.

Je me sens soudain très intimidée, plus que jamais consciente de la vie facile et protégée que j'ai connue. Ces gens ont l'air... durs, préparés à tout. Mais ceux de l'Agathos sont-ils si différents, finalement ?

Tandis que la vaste porte se referme lentement sur nous, je regarde notre navette disparaître avec inquiétude. Atina pose la main sur le bras d'Elwen, qu'elle a rattrapé en quelques pas, et l'entraîne avec elle vers le petit groupe. Cipher et Izel les suivent, la première sans gêne apparente, le second avec son habituelle décontraction. Je me retourne vers Eïdo, curieuse de voir comment il réagit. Il ignore le regard que je tourne vers lui – fort heureusement. Il semble perdu dans ses pensées et son visage porte une expression étrangement sombre. Est-il lui aussi issu de la surface ? Doit-il faire face à des souvenirs désagréables ?

Ulradiant...

C'est ainsi que l'a qualifié Elwen. Et cette appellation garde tout son mystère.

Je le laisse passer devant moi avant d'emboîter le pas à la petite troupe. Je ne veux pas commettre d'impair et le mieux est d'observer ce que vont faire mes camarades, pour éviter de me couvrir de ridicule. 

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