21 - Après la bataille
Quand je regagne l'Agathos, ni Atina ni Eïdo ne sont en vue ; j'ai l'impression que mes bras vont se détacher de mes épaules. Je suis tellement épuisée que je fonctionne quasiment en pilotage automatique. Je range mon casque, ma combinaison et mes lourdes bottes, avant de vérifier mon foudre et de le brancher pour le recharger – d'après Cipher, le matériel doit toujours passer avant nous !
« Tu as droit à une heure de repos avant le débriefing. »
Quelle générosité. J'ai envie de dormir deux jours d'affilée, mais on ne discute pas le règlement : j'ai accepté le poste, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
Je regagne ma cabine sur des jambes flageolantes ; après avoir programmé mon réveil pour qu'il sonne dans trois quarts d'heure, je m'effondre sur mon lit. Je pensais m'assoupir aussitôt, mais mon cerveau en ébullition refuse de tenir compte de l'épuisement de mon corps. Je me contente de regarder le plafond, en songeant aux étranges capacités des deux conseillers aux cheveux noirs.
L'alarme finit par retentir ; avec un soupir, je remets mes bottes et je quitte ma chambre, espérant ne pas me perdre en chemin. Mais il faut croire que plus je suis fatiguée, plus mon sens d'orientation fonctionne, car j'arrive sans encombre.
Bien entendu, Cipher se trouve déjà dans la pièce, aussi fraîche que si elle sortait d'un de nos entraînements quotidiens. C'est un peu humiliant, mais après tout, je suis loin d'avoir son expérience. Atina et Eïdo ont enfilé des vêtements plus confortables, les mêmes que ceux qu'ils portaient la première fois que j'ai comparu devant le conseil. Ils paraissaient tous les deux éreintés, sans doute encore plus que moi. J'en conçois un mélange de curiosité et d'inquiétude.
Je m'assois discrètement sur le dernier des trois rangs de chaises, tandis que l'Aïrin nous fait face, debout sur une petite estrade. Tout ceci est bien trop formel à mon gré. Cipher se tourne vers moi, comme pour m'inviter à me rapprocher, mais je suis particulièrement intimidée. Même si jamais je ne le reconnaîtrai ouvertement, mes trois camarades m'ont tellement impressionnée que je me sens comme un cloporte de serre à côté de papinacres.
Je dois avouer que je les trouve aussi un peu effrayants, à leur façon... Pas Cipher, bien sûr, mais Atina et Eïdo, très certainement. Ce sentiment provient en grande partie des préjugés profondément inscrits en moi par mon éducation. Je me dis encore et encore que tout ceci est ridicule : Atina utilise la magie des Abscura, mais elle ne vient pas des Profondeurs. Eïdo n'a rien d'un Abscura – même si je n'ai toujours pas la moindre idée de ce qu'il peut être.
Derrière l'Aïrin se trouve une station informatique avec un écran hololumineux ; il a placé sur sa tête une sorte de diadème argenté ; je devine qu'il s'en sert pour imprimer ses pensées sur la machine et mettre à plat notre rapport. Ses capacités sont vraiment particulières. Mais à la réflexion, pas plus que celles de nos deux autres compagnons. Dans le fonds, Cipher est plutôt rassurante... Au moins, je sais d'où lui viennent ses ailes !
« Je vous félicite de cette mission bien menée, déclare Elwen en souriant. Atina, Eïdo, Cipher, votre travail a été impeccable. »
Il ne m'a pas citée... J'en ressens une profonde déception que j'essaye tant bien que mal de dissimuler.
« Je tiens aussi à saluer tout particulièrement notre nouvelle recrue pour le cœur qu'elle a mis à faire de son mieux ! Prismè, tu peux être fière de tes résultats pour une première mission ! »
Je rougis légèrement ; l'Aïrin est peut-être l'héritier-lié de l'Agathos, il est aussi un jeune homme tout à fait charmant.
« Bien, nous pouvons commencer. Comme vous l'avez constaté, il s'agissait bien d'une déchirure de second type. »
Je n'ai aucune idée de ce que peut être une déchirure de second type. Encore une goutte dans un océan de choses à apprendre.
« Ce qui est étrange, c'est qu'elle se situe trop loin des zones de dispersion connues. J'ai vérifié dans la base des signalements : aucune autre déchirure n'a été répertoriée dans le périmètre. Pourtant, une semence a pu dériver jusque-là... »
C'est sans doute très inquiétant, mais je ne peux m'empêcher de regarder avec fascination les mots qui s'inscrivent sur l'écran-holo de l'Aïrin, au fil de sa pensée.
« Atina ? »
La femme brune acquiesce avant d'ajouter :
« Probablement une concentration de rejets Abscura qui s'est élevée depuis la surface.
— Ce qui signifie que l'activé des mages des Profondeurs s'est intensifiée... remarque pensivement Elwen.
— C'est assez difficile à dire, murmure Eïdo. L'énergie résiduelle s'est tellement amassée à certains endroits que des résidus peuvent filtrer et s'élever jusqu'à cette altitude. Nous ne le saurons sans doute jamais. »
Un moment de silence passa ; l'Aïrin soupire :
« Je vais quand même entrer ces hypothèses. Peut-être que nous parviendrons à générer une simulation. Vous n'avez pas senti quelque chose de particulier vis-à-vis en refermant la déchirure ?
— Rien de très spécifique, répond le conseiller aux yeux pourpres. Nous avons eu plus de mal que d'habitude à la canaliser. La déchirure n'était pas très large, mais elle dégageait une énergie considérable.
— Je confirme », renchérit Atina.
L'Aïrin acquiesce avant de se tourner vers Cipher :
« Et toi, qu'en as-tu pensé ?
— Sa production de semence était particulièrement intense. Je ne sais même pas si j'y serai arrivée seule. Même si la contribution de Prismè peut encore s'améliorer, elle a tout de même fait la différence. »
Je ne sais vraiment comment je dois prendre cela ! Dans le doute, je bafouille un vague « merci ».
« Je ne sais pas si nous parviendrons à expliquer l'apparition de cette déchirure, déclara Eïdo, un peu sceptique, mais je suppose que cela ne coûte rien d'essayer.
— Ce n'est pas comme si c'était un cas isolé », murmure Atina d'un air sombre.
Soudain, l'atmosphère dans la salle est devenue étrangement grave. Je me renfonce dans mon siège, en tentant de me faire aussi petite que possible.
« Peut-être que nous devrions rencontrer nos informateurs en surface, déclare enfin l'Aïrin en soupirant. Cela fait longtemps que nous n'avons pas eu de leurs nouvelles. »
La femme brune relève la tête un peu brusquement, avec une expression inquiète. Ce qui est logique, si elle vient elle-même de la surface. Peut-être que les gens dont parle Elwen sont sa famille, ou ses amis !
« Nous en reparlerons plus tard, reprend-il. En attendant, passez tous voir Izel pour la visite de contrôle. Eïdo et Atina en priorité. »
Je veux bien croire que l'effort qu'ils doivent fournir surpasse le mien et celui de Cipher. D'autant plus si Eïdo a souffert de blessures lors de mon sauvetage. Je regarde les symboles scintillants sur l'écran d'Elwen. Mes sourcils se froncent : les caractères ne sont pas ceux que nous employons à Ether. Comment est-ce possible ?
« Prismè ? »
La voix de Cipher me tire de mes pensées. Déjà, les deux conseillers aux cheveux sombres nous ont dépassés et gagnent le couloir.
« Va te reposer dans ta cabine. Izel t'appellera... »
J'acquiesce avec soulagement ; je sens soudain le poids énorme de ma fatigue me tomber sur les épaules. J'obéis sans broncher et bientôt, je m'écroule sur le lit, dans l'espoir d'attraper quelques miettes de sommeil supplémentaires.
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Pour être souvent épuisée – juste par mes journées de boulot ! – je plains franchement Prismè. Mais d'un autre côté, des perspectives passionnantes se dessinent. À quoi ressemble la surface d'Almaïa ? Je vous laisserai le découvrir le moment venu !
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