16 - La puissance de mes ailes

« Ne décolle jamais sans avoir rassemblé toute ta puissance. C'est une foi en vol que tu dois la réguler...

— Ce n'est pas ce qu'on m'a appris au cercle de vol... »

Cipher fronce les sourcils :

« Eh bien, tu vas oublier ce qu'on t'a appris ! »

Je dois avoir l'air un peu perdue, car elle pousse un soupir agacé :

« Je me demande comment tu as pu développer assez d'énergie pour tenir face à un démon avec une si mauvaise formation. »

Je la regarde avec perplexité :

« Tu n'as pas appris à voler à Ether ? »

Cipher esquisse un léger sourire :

« Oh, si. Mais mon instructeur, à mon arrivée sur l'Agathos, m'a offert le même discours que celui je te tiens aujourd'hui. »

Cette fois, j'ai compris la leçon et je ne demande pas ce qu'est devenu ce mystérieux mentor.

« Je vais essayer. »

Cipher hoche la tête avec approbation. Cela fait plusieurs jours que j'ai commencé mon entraînement avec elle ; elle ne se montre pas tendre avec moi. Mais elle est juste et s'applique à donner autant d'explications que possible.

Nous pratiquons nos sessions dans la baie d'atterrissage des aéroquartz, où nous disposons d'assez de place pour étendre nos ailes, et le ciel est à notre portée dans une sécurité relative. Mais pour l'instant, pas question de voler : elle m'entraîne à « décoller » correctement, et c'est d'autant plus frustrant que j'étais persuadée de savoir le faire. J'ai l'impression de devoir tout reprendre à zéro.

« Bien, commence par respirer profondément. Tes poumons doivent être à plein de leur capacité. N'oublie pas que nous sommes en altitude, et ton énergie dépend en partie de l'oxygène dont tu disposes. »

J'obéis docilement, prenant une respiration lente et profonde comme elle m'a appris à le faire. Je vide mes poumons plusieurs fois avant de les remplir à nouveau. Quand je me sens prête, j'appelle mon énergie ; le léger choc électrique à présent familier parcourt mon dos. Le flux commence à cnverger vers les taches brillantes sur ma peau. Elle se manifeste comme un fourmillement qui n'est heureusement pas désagréable. J'ai même fini par l'apprécier, d'une certaine manière.

Cipher m'engage à me concentrer, pour que je mobilise le plus d'énergie possible avant de faire surgir mes alaées. Mais elle m'inflige une nouvelle contrainte : garder mes lames une taille limitée, mais à leur puissance maximale. Cela demande un effort que je n'ai pas l'habitude de fournir. Rien que cet exercice me laisse épuisée.

Au terme de deux heures, je n'ai pas l'impression d'avoir fait des progrès. J'ai même le sentiment d'avoir régressé. Je me sens totalement découragée... Cela doit se voir à mon expression, car Cipher m'accorde un petit sourire – l'un des premiers que je surprends sur son visage austère :

« Ça ne vient pas en un jour. Tu as un bon potentiel, Eïdo n'a pas tort. Déjà, le fait que tu aies réussi à attirer son attention est un exploit en soi ! »

Je grimace légèrement, avant de prendre congé d'elle pour prendre une douche et me changer.

À part les entraînements dans nos spécialités respectives, hors des missions, il n'y a pas grand-chose à faire sur l'Agathos. D'autant que la plupart des tâches sont automatisées. Heureusement, certains des membres du Conseil apprécient ma présence et m'accueillent volontiers pour m'expliquer leur fonction. Déjà, Faïn m'a montré comment il gérait les différents besoins du croiseur. Je lui en suis reconnaissante, même si je dois admettre que le sujet ne me passionne pas.

L'intendant reçoit aussi les demandes de mission transmises par Marihel Arvo, ce qui est bien plus intéressant, et les soumet au Conseil pour décision. L'Agathos n'intervient que lorsque son équipage estime être le seul à pouvoir agir efficacement. Cette procédure s'applique même en cas d'urgence absolue ; heureusement, elle est rapide et bien rodée. Faïn s'occupe des préparatifs matériels indispensables aux opérations, qui peuvent être très variées : combattre des créatures qui se sont trop approchées des villes, refermer des brèches... voire se rendre à la surface d'Almaïa pour effectuer des sauvetages audacieux. Je me demande si je pourrai les accompagner tout de suite ou si je devrai attendre que mon entraînement soit terminé.

Les deux autres personnes que je côtoie régulièrement sont Izel et Atina. Le médecin est un homme enjoué et souvent amusant, qui ne semble pas prendre grand-chose au sérieux. J'ai passé une visite médicale complète, dans l'infirmerie aussi vaste qu'un petit hôpital. En examinant les taches lumineuses sur mon dos, il a remarqué que leur brillance était un peu plus soutenue que chez Cipher. Quand il a appris que ma mère était spécialisée dans la recherche concernant la santé des radiants, il m'a fait promettre de lui donner ses coordonnées afin de lui poser quelques questions.

Atina, quant à elle, continue à me mettre un peu mal à l'aise, même si elle demeure charmante avec moi. Le thé de fin d'après-midi est devenu un rituel, qui me permet de mieux la cerner. Elle est calme et attentionnée et possède une culture très étendue ; elle connaît parfaitement tous nos compagnons et accepte parfois de me parler d'eux, sans jamais se montrer indiscrète. Je n'ose toujours pas lui demander si elle est réellement une abscura, mais je préfère jouer de prudence sur ce point. En tout cas, elle se révèle très observatrice à mon sujet comme à celui de tous les membres de cette famille pour le moins originale que constitue le Conseil.

« Pourquoi Eïdo et Izel semblent si peu s'apprécier ? »

Je sais que ma question est pour le moins abrupte.

« Izel et Eïdo... »

Elle éclate de rire :

« C'est vraiment l'impression que tu as ?

— Le premier jour quand je suis arrivée... Izel avait l'air contrarié qu'Eido se trouve dans la salle.

— Oh, ça ? Ne t'inquiète pas ! C'était la façon dont Izel montrait son inquiétude envers Eïdo. Ce qu'il avait fait pour te sauver l'avait laissé... affaibli, et notre médecin était juste fâché qu'il ne se repose pas. »

Je ne l'aurais pas deviné et pourtant, maintenant que j'y pense, il y a une certaine logique à l'affaire. Est-ce que cela veut dire aussi que son air revêche n'a pas grand-chose à voir avec moi finalement ? Il ne faut pas trop espérer, me souffle une petite voix.

« Et... Tiri ? »

Le visage d'Atina se ferme un peu :

« Pour être totalement honnête... Tiri ne s'est jamais rapproché de quiconque, à part Elwen, bien sûr. En tout cas, pas depuis mon arrivée. Elle voue une loyauté proche de la vénération à l'Aïrin.

— Je croyais qu'elle était de sa famille...

— Cette notion est particulière chez les mécamens. Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre. La lignée de l'Agathos vivait comme un clan élargi sur le croiseur, jusqu'au désastre dont ils ont été les seuls survivants. »

Je ne peux m'empêcher de frémir intérieurement... Le peu que j'ai entendu sur cette catastrophe me paraît horrible. Je me demande si Tiri a perdu son bras à cette occasion. Il y a encore tellement de secrets dans l'air... en dépit de l'ouverture que tout le monde semble montrer, je me doute bien qu'il se passera pas mal de temps avant que je parvienne à savoir même l'essentiel. Si c'est possible.

Je regarde Atina avec gravité ; la question me brûle les lèvres... et finalement je ne peux m'empêcher de la poser :

« Atina... Vous... Tu n'es pas obligée de me répondre, mais... est-ce que tu es une sorte d'abscura? »

Les yeux violets s'agrandissent légèrement, avant de se plisser songeusement :

« Et si j'en étais une, cela changerait quoi ? »

J'entends dans sa voix une certaine lassitude.

« Je... »

Mes yeux se baissent sur mes mains, serrées l'une contre l'autre sur mes genoux. Ma question n'a rien d'insultant en soi, mais je ne peux me cacher les sous-entendus qu'elle contient, quand elle vient d'une habitante d'Ether. Les mages ont toujours été les « méchants » de l'histoire pour nous. Après tout, leurs pouvoirs sont jugés responsables de la perte d'Almaïa.

« Tu as raison, cela n'a pas vraiment d'importance. »

Je vais du moins tenter de m'en persuader. Je sens une main se poser sur mon épaule.

« Je sais que les habitants d'Ether ont de grands préjudices contre les pouvoirs des abscura, murmura-t-elle gentiment. Et je ne peux pas les blâmer. Le contraire est aussi vrai, surtout pour ceux qui ont été chassés d'Ether, sans d'autres raisons que d'être nés avec ce type de pouvoirs et qui n'ont eu d'autre choix que de rejoindre les profondeurs... Je n'appartiens ni à l'un, des à l'autre de ces camps. Même si mon maître était originaire des Profondeurs, je suis née dans un des clans de la surface. Mon peuple possède de grandes facultés d'adaptation. Notre vie est trop difficile pour que nous passions notre temps à haïr les uns ou les autres... »

Atina n'a pas vraiment répondu à ma question, mais je me sens bizarrement soulagée par la neutralité de son discours. Même si mon corps de radiante tolère difficilement l'énergie magique en elle – pour le moment du moins–, je n'ai aucune raison de la craindre ou la détester.

Mais si elle était née des Profondeurs, aurais-je si aisément abandonné mes préjugés ?

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Je sais que ce chapitre apporte plus de questions que de réponses, mais c'est un peu normal, l'histoire en est toujours à ses débuts. Dans le prochain chapitre, Prismè continue à découvrir l'Agathos et ses occupants ! 

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