12 - L'engagement est signé
Je n'ai jamais eu de facilités particulières pour me lever, mais aujourd'hui, c'est différent. Bien avant que mon réveil sonne, je suis déjà parfaitement éveillée et pas moyen de me rendormir ! Marihel Arvo, l'employée du gouvernement qui est chargée des relations avec l'Agathos, doit venir à la maison pour discuter des modalités de mon transfert.
Des centaines de pensées tournent dans ma tête. Toutes les angoisses que je croyais maîtriser resurgissent. Je ne verrai plus mes parents... je m'y suis préparée. Mais ce sera pareil pour mes amis. Kara, et aussi Altera et Kiriss, des camarades de ma patrouille, ainsi que Lihin et Soll, mes compagnons d'enfance. D'autant que je ne pourrai pas leur donner la vraie raison de mon départ – il me faudra invoquer un prétexte crédible, comme un transfert dans une autre ville... Il y a parfois des échanges de troupes, je pourrai toujours prétendre que j'ai saisi l'opportunité de voyager un peu. De toute façon, je serai obligée de le faire par écrit. Je n'aurai sans doute pas le temps de leur dire adieux de vive voix.
Il fait encore sombre au-dehors ; la lumière de ma chambre surgit à ma commande vocale. Comme mes parents, je possède mon coin sanitaire privé dans une alcôve de la pièce. Après une douche rapide, je cherche frénétiquement quoi mettre ; après avoir envisagé quelques possibilités – trop enfantin, trop terne, trop fantaisiste, trop... vieillot ! –, je me résous à enfiler mon uniforme ; pas la combinaison de vol, la tenue plus formelle : une veste gris clair dont les deux rabats sont bordés de boutons argentés, avec un pantalon ample de même couleur et de hautes bottes gris foncé. Au moins, j'ai l'air d'une adulte. Je brosse mes cheveux, jetant un dernier regard dans le miroir pour vérifier que tout est parfait. Je grimace en apercevant les cernes sombres autour de mes yeux, mais je ne peux pas y faire grand-chose.
Puis, tant que j'ai encore le temps, je commence à rédiger mes adieux à mes amis. Je ne peux m'empêcher de sentir la tristesse m'envahir. Je retiens mes larmes ; il ne manquerait plus que j'aie les yeux rouges en plus de les avoir cernés. Au-dehors, le jour se lève enfin. J'entends une vibration légère à l'entrée de ma chambre.
« Entrez... »
Ma voix est moins assurée que je le souhaiterais. La porte s'ouvre, révélant la mère :
« Tout va bien, Prismè ? »
Je m'efforce de lui sourire :
« Oui, juste un peu nerveuse. J'espère que tout se passera bien...
— Il n'y a pas de raisons que ça ne soit pas le cas. »
Elle semble aussi nerveuse que moi, et je ne peux pas la blâmer.
« Viens au moins déjeuner... »
Je doute de pouvoir avaler quoi que ce soit, mais je n'ai pas envie de m'effondrer devant Len'Arvo. La cuisine est toujours aussi nette, avec ses murs jaune clair et ses systèmes domotiques performants. Tout me semble si... aseptisé. Je prends un bol de céréales avec du lait végétal et un jus de faskiame. Je dois me forcer pour terminer le tout, au point de me sentir légèrement nauséeuse.
Par la suite, je tourne littéralement en rond ; mon père s'est prudemment enfermé dans son bureau et ma mère n'a pas l'air plus fière que moi.
Finalement, le vibreur à la porte annonce l'arrivée de notre visiteuse. Je bondis littéralement sur place, mais ma mère me retient d'une geste, et va ouvrir elle-même. Je reste debout dans le salon, légèrement tremblante. J'entends leur échange à voix basse, puis leurs pas qui se rapprochent.
Len'Arvo ne ressemble en rien à l'image que je me faisais d'elle, à savoir une personne d'un certain âge, stricte et austère. Elle doit être en seconde moitié de vingtaine, tout au plus, avec des cheveux châtain-roux attachés en une longue queue de cheval ondulée. Elle porte une robe bleu pâle simple et élégante ; des bijoux discrets brillent à ses oreilles, ses poignets et ses doigts. Elle me semble enjouée et amicale.
Je me sens soudain ridicule dans mon uniforme...
« Cadette-patrouilleuse Prismè Kirrista ?
— Ou... oui... C'est bien moi...
— Je suis Marihel Arvo. Mais vous le savez déjà ! Len'Kirdarin, pouvons-nous nous asseoir au salon ?
— Bien sûr !
— Parfait. Prismè – si vous me permettez de vous appeler ainsi, vos parents peuvent rester si vous le souhaitez. »
J'hésite un peu. C'est de ma vie qu'il s'agit, mais d'un autre côté, j'espère que cela les rassurera sur mon sort. Tandis que ma mère va chercher mon père, elle s'installe le canapé à côté de moi, en insistant pour que je l'appelle Marihel.
« Ainsi, vous êtes la petite merveille qu'a trouvée Elwen ? »
Elwen ? Elle appelle l'Aïrin par son prénom ? Je la dévisage, bouche bée.
« Je suis heureuse que l'équipage de l'Agathos s'agrandisse. J'espère que vous vous y plairez. »
Devant mon désarroi évident, elle sourit avant de m'expliquer :
« Elwen n'a pas toujours vécu sur l'Agathos. Je l'ai connu avant qu'il ne devienne Aïrin, quand nous étions tous les deux étudiants à Nebula.
Ma stupéfaction fait place à la curiosité ; il n'est pas si étonnant de découvrir que les personnes qui occupent une position extraordinaire ont mené une vie normale, après tout.
« Bien sûr, il était de trois ans plus jeune que moi, mais c'était un garçon aussi charmant que brillant. Il aurait pu mener une belle carrière dans n'importe quel domaine, s'il n'avait dû reprendre la position d'Aïrin après que... »
Elle s'arrête subitement, comme si elle avait conscience d'en avoir trop dit. Mes parents reviennent dans la pièce et je leur adresse un sourire pour les mettre à l'aise. Marihel me tend une tablette formulaire :
« Nous allons commencer par remplir quelques formalités. Si vous avez des difficultés, n'hésitez pas à me poser des questions. »
Je déteste ce genre de choses. Royalement. Après tout, l'armée a toutes mes données dans ses ordinateurs, alors pourquoi me forcer à tout ressaisir ? J'essaye d'aller aussi vite que je peux, mais ce n'est visiblement pas la bonne stratégie. Je me trompe sans cesse, ce qui m'oblige à perdre un temps précieux en corrections.
Pour l'occasion, je lis le contrat d'engagement : je servirai comme apprentie pour une durée de deux ans, au terme desquelles , si je choisis de rester, je deviendrai définitivement une membre de l'équipage de l'Agathos – ou plutôt du « conseil », comme le veut la tradition sur le croiseur. Pendant cette période, je peux démissionner à tout moment et regagner mon poste de cadette patrouilleuse. Je suppose que ces dispositions vont soulager mes parents, qui me regardent comme si j'étais en train de signer mon arrêt de mort.
Ce qui est peut-être le cas, finalement. Vu que je suis la seule patrouilleuse parmi des centaines à tomber sur un démon à sa dixième sortie, sans compter un monstre de brouillard sombre chevauché par un membre du conseil de l'Agathos.
En songeant à Dan'Anagké, j'hésite soudain. Je me doute qu'il ne sera pas le plus agréable des compagnons d'aventure. Mais d'un autre côté, j'ai vraiment envie de savoir comment il peut voler sur le dos de cette créature et d'où viennent ses alaées noires.
« Prismè ? »
Les paroles de Mahirel me font revenir brusquement à la réalité.
« J'ai terminé... »
Je porte à la hauteur de mon œil le globe de saisie de la signature rétinienne pour authentifier le document. C'est fait...
« Merci, Prismè. Vous avez deux jours pour prendre vos dispositions, durant lesquels je vous transmettrai l'heure et la date du rendez-vous pour gagner l'Agathos. »
Après avoir salué mes parents et décliné une légère collation, Marihel prend congé. Dès que la porte s'est refermée, mon père et ma mère me serrent longuement dans leurs bras. Je ne sais pas quoi leur dire. Pas encore...
Puis je regagne ma chambre pour reprendre les messages à mes amis, mais je remarque qu'une autre communication est tombée, avec l'indicatif de l'armée. Intriguée, je l'ouvre.
« Je vous attends demain matin à mon bureau, à 8 éclats pile.
Signé : colonel Alkion ».
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[Marihel Arvo – Conseillère gouvernementale
Âge : 26 ans
Taille : 1,70 m
Cheveux : châtain-roux
Yeux : noisettes
Groupe sanguin : AB+
Type : neutre]
Il faut noter que les parents de Prismè s'appellent respectivement Adera Kirdarin et Selef Ristaven. Comme c'est de coutume à Ether, le nom de leur fille reprend une partie de chacun de leur nom : Kir et Rista, d'où « Kirrista ».
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